Le Quotidien du pharmacien. – L’histoire de la Sécurité sociale montre combien les liens entre l’assurance-maladie et les pharmaciens se sont resserrés au cours des dernières années. Quelles sont les raisons de cette évolution ?
Thomas Fatôme. – Je pense qu’il y a trois raisons principales. Il y a d'abord la conviction fermement ancrée que le maillage territorial pharmaceutique est un atout majeur pour l'accès aux médicaments. Le second élément fort, c'est l'essor du rôle de santé publique des pharmaciens et le déploiement de leurs nouvelles missions. Au-delà même de la vaccination, l'assurance-maladie et les pharmaciens ont souhaité les faire émerger et puis les développer de manière continue. La dernière raison, c’est que les officinaux jouent un rôle crucial sur l’ensemble des enjeux autour du bon usage du médicament et de la lutte contre la fraude. Sur le 1er point, l’aide accordée aux pharmacies en territoire fragile traduit cette volonté de l'assurance-maladie de soutenir et de consolider le réseau officinal. Volonté qui naît d’un diagnostic partagé, celui d’un risque dans certains territoires de connaître des déserts pharmaceutiques. C’est un danger que l'assurance-maladie et les syndicats représentatifs de la profession œuvrent à éviter.
Les craintes pesant à terme sur la solvabilité de la Sécurité sociale remettent-elles en question la capacité de l’assurance-maladie à financer les missions confiées au réseau officinal et, de manière plus générale, la dispensation du médicament dans sa majeure partie ?
C'est une situation qui constitue un défi pour l'ensemble des acteurs du système de santé, dont les pharmaciens constituent une des forces majeures. Là encore, nous partageons ensemble un attachement à un système public qui couvre à haut niveau les dépenses de santé et les pharmaciens ont un rôle à jouer dans les leviers à mobiliser face aux défis de ce déséquilibre financier durable. Le rapport Charges et produits pour 2026 développe cette logique de juste soin au juste prix, avec cette nécessité de favoriser le bon usage du médicament. Une politique dans laquelle les pharmaciens sont naturellement les acteurs clefs. Il n’est donc pas question de remettre en cause le soutien économique de l’institution au réseau officinal, mais de le consolider et de travailler avec les pharmaciens pour approfondir un certain nombre de sujets majeurs, qui participeront à redresser la trajectoire financière de l’assurance-maladie. Le sujet essentiel est celui de la bonne utilisation des ressources de l'assurance-maladie : nous devons avoir pour objectif de développer encore les médicaments génériques et les biosimilaires, de faire mieux respecter les indications thérapeutiques remboursables, de lutter contre le trafic de médicaments… Les 60 propositions que le rapport Charges et produits contient s’inscrivent dans cette dynamique et un certain nombre d'entre elles sont reprises dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026. Restaurer la soutenabilité financière de l’assurance-maladie est sans nul doute le défi des prochaines années.
Ce virage du numérique en santé, je souhaite qu'on l’accentue avec les pharmaciens
Faut-il considérer la santé comme un coût ou un investissement ?
C'est un investissement, largement financé par de l'argent public : dans notre système, la collectivité rembourse à peu près 80 % de la dépense de santé avec des ressources publiques. Cet investissement est porteur de croissance dès lors qu’il est réalisé à bon escient. C'est aussi un investissement un peu particulier, qui représente près de 250 milliards d'euros chaque année. Un montant colossal. Il est donc de notre responsabilité de garantir que cet investissement s’opère dans des conditions optimales. Notre système de santé a des forces, mais aussi des faiblesses. Je pense, entre autres, aux problématiques de prévention, d’efficacité du parcours de soins ou encore de respect des bonnes pratiques. Si un investissement est bien réalisé, un financement public est pleinement justifié, mais encore faut-il s'en assurer. J’ajouterai que nous pouvons nous appuyer sur des perspectives encourageantes : je pense notamment au numérique en santé et au digital. Je suis persuadé que dans les années qui viennent, l'évolution des outils informatiques offrira des leviers de consolidation et d’amélioration de notre système. Que ce soit des outils destinés aux patients avec Mon espace santé, déjà plébiscité par 23 millions de personnes, ou ceux dédiés aux professionnels de santé, dont les pharmaciens, avec les évolutions de l’Intelligence artificielle, des outils de détection des fausses ordonnances comme Asafo. C’est d’ailleurs un terrain sur lequel, historiquement, l'assurance-maladie et les pharmaciens ont fait beaucoup ensemble. Il n'y aurait pas eu de carte Vitale si les pharmaciens ne s'étaient pas emparés de ce sujet. Ce virage du numérique en santé, je souhaite qu'on l’accentue avec les pharmaciens. Cela va être notre priorité aussi des prochains mois, des prochaines années.