Le Quotidien du pharmacien.- Selon vos observations, un pharmacien a-t-il plutôt intérêt aujourd’hui à « bouger », c’est-à-dire à acquérir plusieurs officines au long de sa carrière, ou est-ce finalement plus rentable de rester sédentaire et de développer une seule officine ?
Bertrand Cadillon.- C’est une question toujours vaste et sans réponse unique, car elle dépend beaucoup du contexte géographique, de la taille de l’officine, du profil du pharmacien. Cela dit, après des décennies d’accompagnement des titulaires, nous notons que les mentalités ont effectivement beaucoup évolué. Autrefois, nous visons ici le pharmacien d’après-guerre jusqu’aux années 70/80, l’attitude dominante était celle de la sédentarité : on achetait une pharmacie, on y restait, on la transmettait souvent de génération en génération. Puis, au début des années 80, un premier vent de remise en question est apparu : des signaux d’alerte comme la remise en cause du monopole, la poussée de la grande distribution pour s’approprier la parapharmacie et surtout les premières politiques de maîtrise des dépenses de santé ont incité certains titulaires à se demander s’ils ne devaient pas changer d’air !
Le marché des cessions apparaît désormais comme « un marché à deux vitesses »
Le Quotidien du pharmacien.- L’augmentation du prix des fonds d’officine a-t-elle joué comme facteur accélérant le « nomadisme » du pharmacien ?
Bertrand Cadillon.- Oui, assez paradoxalement ! Alors que l’horizon s’obscurcissait, les prix des fonds d’officine montaient, ce qui rendait plus forte la motivation à céder. On entrait dans une logique selon laquelle on pouvait « capitaliser » en revendant une officine après 10 ans environ, profiter de l’effet levier (emprunts, fiscalité favorable…), puis en reprendre une autre plus grosse, souvent dans une ville ou un quartier plus dynamique commercialement. Ce schéma a largement fonctionné jusqu’à il y a environ dix-quinze ans.
Le Quotidien du pharmacien.- Et aujourd’hui, qu’en est-il en 2025 ?
Bertrand Cadillon.- Beaucoup de choses ont changé, et de façon assez profonde. Le marché de l’officine vit une réelle tension. Le nombre d’officines en France est passé sous la barre des 20 000 officines. La croissance du chiffre d’affaires des officines reste modérée si on neutralise l’effet boost des médicaments onéreux. En parallèle, dans la période post-Covid, les charges d’exploitation ont explosé notamment celles de personnel sur les trois dernières années. Le marché des cessions apparaît désormais comme « un marché à deux vitesses ». Les grosses officines restent attrayantes tandis que les petites, celles dont le chiffre d’affaires n’excède pas 1,5 million d’euros, sont plus difficiles à céder. Par ailleurs, de nouveaux défis s’ajoutent : digitalisation, automatisation, montée en puissance des nouvelles missions, mais aussi pression sur les marges liées aux remises sur les génériques. En résumé, trouver la bonne officine à dynamiser est beaucoup plus difficile.
Le Quotidien du pharmacien.- Peut-on en conclure que la sagesse reste la sédentarité ?
Bertrand Cadillon.- Pas nécessairement. Il y a encore des cas où changer d’officine ou acquérir une nouvelle peut avoir du sens, mais cela devient un pari beaucoup plus risqué. Le tableau présenté ci–dessous retrace les arguments pour et contre pour aider les titulaires ou futurs titulaires à décider en 2025.
Le titulaire doit être attentif aux évolutions réglementaires et fiscales : les effets-levier fiscaux et financiers que l’on connaissait il y a trente ans ne sont plus aussi forts.
Le Quotidien du pharmacien.- Au regard de ces éléments, que recommanderiez-vous à un pharmacien jeune ou plus avancé dans sa pratique professionnelle qui se pose cette question ?
Bertrand Cadillon.- Nous, en tant qu’experts-comptables, recommandons de faire d’abord un diagnostic précis de l’officine actuelle : zone géographique, dynamisme, chiffres récents, rentabilité, charges, potentiel d’évolution. Ensuite nous attirons l’attention des titulaires sur l’importance de mesurer rigoureusement le contexte d’une nouvelle acquisition : le prix du fonds et les frais annexes, l’EBE espéré, les coûts annexes de reprise, la valeur du personnel, l’intégration dans l’équipe, etc. On ne peut pas partir « à l’aveugle ». Si l’officinal décide de rester, il doit investir à court ou moyen terme dans la modernisation de son officine : agencements, digitalisation, nouveaux services, fidélisation de la clientèle, optimisation des achats, maîtrise des charges. Ce travail peut être très rentable, peut-être davantage qu’un changement risqué.
Si le pharmacien titulaire envisage de changer ou d’acquérir, que ce soit pour croître ou préparer sa sortie, alors il doit privilégier les zones à fort potentiel pour accéder à une taille critique, et il lui faut anticiper très tôt l’intégration d’associés pour rendre réel le développement. Le but n’est plus uniquement de revendre pour gagner, mais de maintenir une structure solide sur le long terme. Le pharmacien n’est pas un marchand de biens ! Enfin, le titulaire doit être attentif aux évolutions réglementaires et fiscales : les effets-levier fiscaux et financiers que l’on connaissait il y a trente ans ne sont plus aussi forts.
Le Quotidien du pharmacien.- Sur le plan juridique et fiscal, quel est le bon véhicule si l’on projette d’acquérir plusieurs officines au long de sa carrière professionnelle ?
Bertrand Cadillon.- À l’évidence le couple SEL et SPFPL est à privilégier car la cession successive des titres de SEL par la société mère bénéficie d’un régime fiscal favorable en matière de plus-values appelé niche Coppé. Pour l’instant, cette niche n’est pas remise en cause. À ce jour on peut ajouter que les dispositifs d’exonération partielle ou totale des plus-values en cas de départ en retraite sont toujours inscrits dans le code des impôts. Cela étant les discussions parlementaires concernant la prochaine Loi de finances se poursuivent et un rebondissement est toujours possible…
Le Quotidien du pharmacien.- En conclusion, comment résumeriez-vous ce débat ?
Bertrand Cadillon.- Le modèle « achat-revente-ascension » qui a pu fonctionner pendant des décennies n’est plus une garantie de capitalisation. Le pharmacien, aujourd’hui, gagne à avoir une stratégie réfléchie, bien calibrée, et à choisir entre stabilité et mobilité non pas par défaut mais par opportunité. La sédentarité peut être tout à fait judicieuse et rentable si on l’accompagne d’un pilotage fin et d’investissements adaptés. L’acquisition aussi peut avoir du sens, mais avec beaucoup plus de prudence, d’anticipation et de réalisme. En 2025, le marché impose plus de vigilance, plus d’efforts sur les services, la différenciation, la maîtrise des coûts, que l’on reste ou que l’on bouge.
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