Insolite

Bioterrorisme online

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Publié le 27/06/2024
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L’expérience a de quoi faire frémir. Imaginez quelque personne mal intentionnée, un tant soit peu experte en manipulation de matériel génétique. Imaginez qu’elle soit aussi adepte de l’achat en ligne en tous genres. Qu’elle commande les fragments d’ARN ou d’ADN ad hoc et sache remonter, comme un mécano vivant, les différentes séquences capables de recomposer le virus de la grippe espagnole ou la redoutable toxine de la ricine… C’est exactement ce type de scenario catastrophe qu’ont voulu tester des chercheurs du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT). Avec deux de ses étudiants, et sous la supervision du FBI, le généticien Kevin Esvelt a tenté de contourner les dispositifs qui empêchent les apprentis biologistes d’utiliser du vivant à des fins terroristes. Et il y est parvenu. Pour opérer ce « crash-test », grandeur nature, il a ciblé trente-huit fournisseurs situés aux États-Unis et dans des pays desquels il est licite d’importer des produits biologiques, à des fins médicales ou de recherche. Parmi ceux-ci, treize sont membres d’un consortium international qui engage ses membres à vérifier si les séquences génétiques commandées présentent un risque, et si leurs clients potentiels sont autorisés à les manipuler en toute sécurité. Las, les commandes ont été honorées par la grande majorité des fournisseurs (y compris ceux appartenant au consortium). Il faut dire que les faux bio hackeurs avaient pris soin de « camoufler » les séquences problématiques du virus à ARN de la grippe espagnole en leur adjoignant des bouts correspondant à des grippes bénignes et qu’aucune commande ne couvrait plus d’un tiers du virus grippal ou de la ricine. Pour leur défense, les fournisseurs assurent qu’il est impossible de détecter des demandes illicites où chaque pièce du puzzle serait commandée séparément à différents fournisseurs, sauf à ce que tous adoptent un système centralisé de surveillance. « J’espère sincèrement me tromper sur le risque d’utilisation abusive délibérée, conclut Kevin Esvelt, avant d’ajouter : je préférerais vivement qu’aucun être humain n’acquière le pouvoir de provoquer seul une pandémie jusqu’à ce que nous disposions de bien meilleures défenses.  » Comme on le comprend.

Didier Doukhan

Source : Le Quotidien du Pharmacien