Le Quotidien du pharmacien.- La Suisse compte un grand nombre de pharmaciens étrangers, notamment Français : avez-vous du mal à trouver des jeunes pharmaciens suisses, et si oui, pourquoi ?
Martine Ruggli.- Je pense que le besoin en pharmaciens a fortement augmenté ces dernières années. En effet le modèle d’un seul pharmacien dans sa pharmacie est révolu. Maintenant chaque pharmacie compte au moins deux pharmaciens car pour fournir des prestations, il faut plus de personnel qualifié ! Les plus jeunes veulent souvent travailler à temps partiel, ce qui augmente aussi le nombre de personnes nécessaires pour assumer les tâches. D’une manière générale, la Suisse souffre d’une pénurie de personnel dans le domaine de la santé. La pénibilité du travail, les horaires, la forte féminisation avec la difficulté de concilier travail et famille (horaires des écoles, structures d’accueil) mènent encore trop souvent à un abandon du métier après quelques années ou à une réduction des temps de travail. En ce qui concerne la pharmacie, les études sont longues et, pour exercer dans une officine, nécessitent encore une formation postgrade. La structure du marché s’est également complexifiée. Il devient de plus en plus difficile d’exercer à titre d’indépendant. Ces aspects freinent les jeunes à s’engager dans cette profession pourtant variée et enrichissante, au contact et au service de la population.
Quelles sont selon vous les principales raisons pour laquelle votre pays est si attractif pour les pharmaciens des pays voisins ?
Il est bien connu que les salaires sont sensiblement plus élevés et très intéressants, notamment pour les personnes habitant non loin de la frontière qui bénéficient ainsi d’un pouvoir d’achat supérieur. Nous avons la chance de proposer de nombreuses prestations en officine, ce que tous les pays étrangers ne peuvent pas faire. Nous avons le droit de remettre des médicaments sur ordonnance sous notre propre responsabilité par exemple. La vaccination s’est maintenant généralisée, mais il y a 5-7 ans la Suisse était un des pays les plus en avance après le Portugal.
Dans un environnement professionnel plus concurrentiel qu’en France, les pharmacies suisses développent de nombreuses initiatives au profit des patients. Comment voyez-vous l’avenir des officines, et craignez-vous la poursuite du développement des ventes en ligne ?
Depuis une dizaine d’années, la loi a renforcé la place des pharmacies dans les « soins de base ». Le pharmacien est passé du statut de « détaillant spécialisé » à celui de prestataire de soins. Il a reçu des compétences supplémentaires au niveau du triage pharmaceutique, de la remise de médicaments soumis à ordonnance, de la vaccination. De plus, la pandémie a mis en évidence le rôle indispensable des pharmacies au sein du système de santé publique. Le commerce en ligne de médicaments et la transformation digitale de la médecine sont des évolutions sociétales à laquelle les officines doivent s’adapter, mais l’offre de proximité et les conseils personnalisés ne pourront pas être remplacés aussi facilement. Nous appelons nos membres à être visionnaires, à combiner intelligemment l’offre de proximité avec une offre en ligne et à établir durablement une offre de prestations de soins primaires mettant l’accent sur l’humain et la confiance.