Le Quotidien du pharmacien. - Quel est aujourd’hui le niveau du recours des Français à la pharmacie pour leurs soins quotidiens ?
Luc Besançon. - Si l'on met de côté les 3 dernières années largement impactées par la crise du Covid, de façon générale on constate que les officines reçoivent en moyenne 310 millions de visites par an exclusivement motivées par le premier recours. Ce qui représente environ 25 % de toutes les visites en pharmacie. Parallèlement, plus de la moitié des visites qui concernent à la fois le prescrit et le non prescrit, sont l'occasion de dispenser des produits de médication familiale. Ainsi, sur les 87 % des Français qui ont eu au moins un des maux du quotidien dans l'année, 80 % ont eu à utiliser un des produits dits de premier recours.
En France, combien de temps médical fait gagner le passage à la pharmacie pour les « petits bobos » ?
Plusieurs enquêtes ont fourni des modélisations de ce paramètre. En moyenne, il ressort qu'on gagne 11 minutes de temps médical chaque fois qu'on recourt au pharmacien. Autrement dit, 1,2 heure est économisée par jour et par médecin. On pourrait trouver cela important, notamment en considérant la tendance à la désertification médicale, pourtant, comparé à la moyenne européenne, le système français est deux fois moins performant. Nous sommes donc un peu en retard par rapport à ce réflexe qui consiste à aller en pharmacie pour les maux du quotidien.
À quoi attribuez-vous ce retard ?
Il y a plusieurs éléments de réponse. Dans certains pays, l'accès au médecin est encore plus difficile que chez nous. Dans d'autres, le niveau de connaissance des patients est suffisamment élevé pour leur permettre d'identifier clairement si leur plainte est du ressort du pharmacien ou requiert l'expertise du médecin. Enfin, en France, la prise en charge sociale de certains médicaments amène parfois les patients à préférer le recours au médecin. Nous l'avons vu dans le dernier Baromètre santé (2021), sur l'ensemble des prescriptions, 87 millions des ordonnances ne sont composées que de produits de premier recours, autrement dit, qui auraient pu être dispensés directement en pharmacie. Il y a donc une marge de manœuvre en termes d'efficience du système de santé. À titre de comparaison, il faut savoir que nous avons environ 17 % des maux du quotidien qui sont traités en passant par la pharmacie, alors qu'en Allemagne, par exemple, on est à 23 %. Il faut aussi considérer que l'économie de temps médical se traduit également par une économie du temps du patient. Prendre rendez-vous, aller chez le médecin, attendre en salle d'attente… Tout cela est chronophage. On estime ce « temps du patient » à 50 minutes en moyenne par rendez-vous.
NèreS milite pour la création d’une Stratégie nationale de santé et de prévention de premier recours. Pouvez-vous nous en préciser les arguments et les objectifs ?
À la base de notre réflexion, il y a un constat : nous sommes sur un déficit médical qui, malheureusement, ne va pas se résorber facilement. Face à cette situation, nous avons besoin de solutions à court terme et d'autres à long terme. Ces solutions devront être à la fois structurées et coordonnées. Dans le but de libérer du temps médical, les pistes telles que celle de l'assistant médical sont certes intéressantes, mais il semble qu'on ait totalement omis dans la plupart des stratégies des dernières années, ce rôle de la pharmacie qui pourrait être promu, valorisé, facilité au travers de quelques mesures que nous détaillerons plus tard. Tout l'enjeu est de dire, n'oublions pas ce paramètre - le recours au pharmacien - qui a tendance à être invisible pour les pouvoirs publics. D'autant plus invisible qu'il n'y a pas de données sur cette intervention du pharmacien. Pas de données en provenance des pharmacies qui ne tracent pas ces dispensations de premier recours, ni du côté de la CNAM qui ne finance pas ces soins. Notre objectif est donc de rendre visibles ces 25 % de visites à l'officine afin de montrer le gain qu'elles représentent en temps médical. Par ailleurs, entre le reste à charge du patient et d'autres éléments, on pourrait avoir des leviers intéressants pour économiser du temps médical et de l'argent - 11 minutes à chaque visite en pharmacie et environ 13,55 euros pour l'assurance-maladie. L'intervention du pharmacien a vraiment un intérêt à la fois économique et en termes de fluidité du système de santé. Il faut valoriser ce rôle de l'officinal qui est historique, et pour lequel il a déjà des compétences, même s'il lui manque parfois quelques molécules et une meilleure promotion des produits dédiés au conseil. La question qu'il faut se poser, c'est comment stimuler ce réflexe auprès des patients et quel rôle peuvent jouer les pouvoirs publics pour soutenir cette démarche.
Où en est la réflexion sur les paniers de soin ?
Sur ce sujet, nous travaillons collectivement avec les syndicats, le LEEM, et les complémentaires pour essayer de structurer cette réflexion. L'un des points clés par rapport à ces forfaits d'automédication, est la question de la télétransmission. Comment faire en sorte qu'il y ait une dispense de frais ? S'il faut éditer une facture ou un ticket de caisse que le patient devra envoyer, les coûts de traitement seront très importants pour les organismes payeurs. Un de nos groupes de travail qui a réfléchi sur le sujet présentera en février ses conclusions.
En matière de soins, les habitudes des Français sont en train de changer. Comment NèreS et l’ensemble des acteurs du marché des spécialités grand public intègrent ces évolutions ?
La crise du Covid a indéniablement renforcé l'image du pharmacien en tant que professionnel de santé. Il y a un renforcement du rôle de l'officine, par exemple sur le marché des compléments alimentaires. Par ailleurs, les nouvelles missions - Covid ou hors Covid - ont stimulé les visites en pharmacie. La notion de proximité semble avoir gagné en importance. Les officines parviennent mieux qu'avant à recapter une partie des consommateurs qui avaient l'habitude - comme pour le complément alimentaire, par exemple - de visiter d'autres réseaux de distribution. Pour confirmer le rôle des pharmaciens dans l'esprit du public, NèreS a mené sa troisième campagne « Ma pharmacie, mon conseil santé ».
Le rayon conseil des officines s’enrichit moins de nouveaux médicaments que de compléments alimentaires et autres dispositifs médicaux. N’est-ce pas dommageable à l’efficacité et à la crédibilité du conseil officinal ? Comment analysez-vous cette évolution ? Peut-on encore espérer des délistages ?
Il faut d'abord bien avoir à l'esprit que l'innovation dans le domaine des compléments alimentaires ou des dispositifs médicaux, est une innovation ex nihilo. En revanche, sur le monde du médicament, surtout sur les nouvelles molécules, on va devoir passer par le stade du médicament de prescription obligatoire qui sera par la suite éventuellement délisté. De fait, on a très peu eu de nouvelle molécule qui soit passée directement en prescription médicale facultative. La seconde raison qui explique la rareté des « switches » est la relative frilosité de l'Agence du médicament lorsqu'elle traite les demandes de délistage des laboratoires. Ce qui est un peu paradoxal, c'est que d'un côté on fait confiance au pharmacien pour de nouvelles missions, en revanche, sur des rôles qui font partie de leur cœur de métier, les pouvoirs publics hésitent encore… En clair, on leur confie la dispensation protocolisée et sur un mécanisme déjà existant - le délistage - on observe des freins importants. En 2021 en France, on avait 98 médicaments disponibles sans ordonnance, tandis qu'il y a encore 110 autres molécules disponibles sans prescription dans au moins un pays de l'Union européenne. Donc on a une marge de développement… Par ailleurs, ces 5 dernières années, on constate une part plus importante des produits à visée de prévention. On est ainsi passé de 34 à 39 % du marché. Cela veut dire que dans notre secteur du premier recours, cette prévention est portée essentiellement par du dispositif médical et du complément alimentaire. Et puis pour finir, que le produit conseillé soit un médicament ou un complément alimentaire, le patient s'en fiche un peu. Ce qu'il veut, c'est que le produit reçu, recommandé par son pharmacien et accompagné d'un conseil, réponde à son besoin.
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