Le Quotidien. - Le scientifique chinois He Jiankui a annoncé avoir manipulé le génome de trois bébés à l’aide des ciseaux moléculaire CRISPR-cas9. Que pensez-vous du fait qu’il ait décidé seul de cette manipulation ?
Axel Kahn. - On sait bien que le premier scientifique qui réussira à faire naître un bébé génétiquement modifié aura peut-être de graves ennuis, peut-être sera-t-il mis en prison mais il laissera son nom dans l’Histoire. Cela peut-être une motivation incroyablement forte.
Quand un scientifique dispose d’un outil aussi puissant que CRISPR, n’est-il pas tentant de l’utiliser de cette manière ?
C’est un mécanisme extrêmement fréquent dans l’histoire des sciences. « La folle témérité du savant l’a emporté sur la conscience de l’homme », avait dit Charles Nicolles, élève de Pasteur. Cette citation convient bien à cette situation. Nicolles s’était exprimé ainsi après que Pasteur eut envoyé une lettre à l’empereur du Brésil Pedro II. Il y demandait de lui remettre des condamnés à mort afin d’expérimenter sur eux ses candidats vaccins contre la rage. Charles Nicolle y avait vu un manquement aux règles éthiques.
Pourquoi ne voit-on pas de témérité dans l’expérience de He Jiankui ? Nombre de grandes avancées scientifiques ont choqué leurs contemporains.
On ne peut pas saluer cette décision. S’il s’agissait d’une méthode héroïque pour guérir un malade dans une situation terrible, on pourrait saluer ce scientifique et lui pardonner le fait qu’il n’en ait pas parlé à un comité d’éthique. Mais ici, il s’agit d’une décision totalement insensée. Parce que cette audace n’est pas nécessitée par l’état de santé du malade, qu’elle peut avoir des conséquences imprévisibles sur un bébé à naître et qu’elle n’a pas d’utilité pour les générations futures. La modification de l’ADN des enfants a été réalisée par CRISPR-cas9, or on sait que cet outil entraîne de manière imprévisible et non contrôlée des modifications ailleurs dans l’ADN, qui peuvent être délétères. En outre, pour protéger des petites filles du sida, on crée des lignages ad vitam aeternam chez lesquels on a inactivé un récepteur physiologique, CCR5 qui, cela va sans dire, n’a pas été sélectionné par l’évolution comme récepteur du sida. Cette expérience est une folie et, en tant que telle, elle est en dehors de toute considération éthique. Ce qu’a fait ce Chinois mérite d’être sanctionné par les instances de son pays.
Si cette manipulation est confirmée scientifiquement, il s’agit du premier cas d’homme augmenté.
Et même de femme augmentée ! En réalité, si c’est validé, il s’agit de la première enfant née d’une modification correspondant à certains des projets détonants du transhumanisme (qui vise l’amélioration de l’espèce humaine et son immortalité, ndlr). Historiquement, c’est très important. Les promoteurs de ce courant estiment qu’il serait extraordinaire de faire naître des enfants présentant une immunité vis-à-vis de certaines maladies. Quand on dit cela, on pense au sida. La manipulation chinoise n’est pas un hasard.
L’utilisation de CRISPR-cas9 pour modifier le génome humain était-elle évitable ?
On s’y attendait totalement, de même qu’on s’attend au passage à l’acte du transhumanisme. Il s’agit d’un mouvement extrêmement puissant qui a la motivation idéologique et les moyens puisque Google en est le leader américain. Mais, en réalité, les indications de l’utilisation de CRISPR-cas9 à des fins de thérapie génique germinale sont très faibles. Si on veut corriger le génome d’un embryon, il faut d’abord obtenir des embryons in vitro puis réaliser un diagnostic préimplantatoire pour voir s’ils sont porteurs de la mutation délétère. Une fois ce diagnostic réalisé, dans l’immense majorité des cas, on a à la fois des embryons malades et d’autres qui ne sont pas destinés à développer la maladie en question. Le tri d’embryon serait donc plus simple que d’essayer de les corriger avec les incertitudes que la manipulation comporte. Les deux équipes chinoises qui ont rapporté avoir modifié des embryons humains (notamment pour leur éviter la bêtathalassémie, ndlr) avaient en réalité en tête le transhumanisme. Il y a de nombreux fantasmes derrière la notion d’homme augmenté, à commencer par celui de créer un homme immortel. On a déjà bien du mal à rendre le ver Ceanorhabditis elegans immortel (965 cellules) alors on n’est pas près de rendre immortel des jumeaux à 5 000 milliards de cellules.
Si l’immortalité semble hors d’atteinte, quelles manipulations peuvent être imaginables à l’aide de CRISPR ?
Créer des champions d’haltérophilie, des personnes de grande taille pour jouer au basket… On peut essayer de rendre résistant à des maladies mais il ne faut pas se faire d’illusion : on ne rendra pas, par modification génétique, quelqu’un résistant au cancer puisque le cancer s’adapte systématiquement aux barrières qu’on lui présente. Quant à faire un homme plus intelligent, cela ne dépend pas d’un seul gène.
Quel doit être le rôle du Comité consultatif national d’éthique ?
Son rôle est de dire ce qui est. Le comité d’éthique de l’Inserm, à mon avis, n’avait pas été clair lorsque les deux équipes chinoises avaient rapporté les premières modifications sur l’embryon avec CRISPR. Il n’avait pas soulevé le problème de la faiblesse des indications dont je parlais plus tôt. Or cet aspect est très important. Les scientifiques ne doivent pas dire ce qu’ils aimeraient voir advenir, ils doivent dire ce qu’ils savent et ce qu’ils croient. Avoir une vision pragmatique des problèmes. Je crois à la sincérité. La science est l’idéal de l’objectivité et de la sincérité. Mais ce sont des femmes et des hommes qui font la science. Ils ont leurs passions, leur engagement, la folle audace que la passion inspire au savant, comme dirait Charles Nicolles.
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