Le cannabis contient des dizaines de (phyto)cannabinoïdes, des molécules complexes qui lui sont spécifiques et forment une famille homogène. Chez l’homme, ils interagissent avec le système endocannabinoïde (SEC) physiologique, qui associe des récepteurs membranaires centraux et périphériques (récepteurs CB1 et CB2), des ligands endogènes (endocannabinoïdes) et des enzymes responsables de leur synthèse et de leur dégradation. Les endocannabinoïdes sont des dérivés d’acides gras formés à partir des lipides membranaires : les deux principaux (anandamide et 2-arachidonoylglycérol) sont issus de l’acide arachidonique.
Les récepteurs CB1 sont exprimés principalement dans les neurones du cerveau, de la moelle épinière et du système nerveux périphérique, mais ils sont également présents dans certains organes périphériques (glandes endocrines, rate, leucocytes, cœur, tractus urinaire, tube digestif, organes reproducteurs). Les récepteurs CB2 sont situés principalement sur les cellules immunitaires.
Deux cannabinoïdes nous intéressent ici : le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD), qui ont des effets pharmacologiques différents malgré leurs similarités chimiques. Le THC a une affinité comparable pour CB1 et CB2 dont il est un agoniste : son action domine toutefois sur le psychisme, la mémoire, l’humeur et sous-tend l’euphorie accompagnant l’usage de cannabis récréatif qui en contient beaucoup, et l’addiction qu’il suscite. Le CBD est dépourvu d’action euphorisante et addictive mais a des effets sédatifs, anxiolytiques, antiémétiques, anticonvulsivants, antidystoniques, anti-inflammatoires et antalgiques. Son mécanisme d’action n’est pas entièrement élucidé mais il a été suggéré qu’il pourrait s’agir d’un modulateur allostérique des récepteurs CB pour lesquels il ne possède pas d’affinité directe mais dont il augmenterait la sensibilité à l’anandamide physiologique.
Agréé dans de nombreux pays. Le terme générique de « cannabis médical » fédère un ensemble de médicaments réalisés avec diverses variétés de cannabis, contenant un mélange de THC et de CBD. Il a, en fonction des symptômes à soulager, une concentration relative plus ou moins élevée en THC ou en CBD expliquant des propriétés nuancées, antiémétiques, analgésiques, anti-inflammatoires ou encore des propriétés antiépileptiques, antispastiques et myorelaxantes, orexigènes (il stimule l’appétit). Diverses sociétés européennes ou américaines commercialisent de tels produits, comme par exemple la société Bedrocan aux Pays-Bas qui propose une gamme de cinq variétés de sommités fleuries de cannabis adaptées à diverses indications (Bedrocan, Bedrobinol, Bediol, Bedica, Bedrolite) et qui développe aussi des extraits (huiles) de cannabis à visée médicale.
La situation du cannabis médical reste confuse depuis un demi-siècle : certains gouvernements en prohibent l’usage ou même les essais cliniques alors que d’autres l’organisent. De nombreux patients désireux de se traiter par usage de cannabis produisent les pieds par culture hydroponique en intérieur (indoor) ou en extérieur (outdoor) : cette culture, même à visée thérapeutique, reste dans les faits interdite dans de nombreux pays. Lorsque l’usage de cannabis médical est autorisé, il est contrôlé au niveau de sa production comme de son circuit commercial. Dans l'Union européenne, 21 pays sur 27 autorisent cet usage selon des modalités contrastées. Les Pays-Bas furent pionniers en permettant dès 2003 aux personnes atteintes de certaines maladies graves (SEP, sida, cancer, syndrome de la Tourette…) ou de douleurs chroniques de se procurer en pharmacie, sur ordonnance, des médicaments à base de cannabis ou du cannabis. En Allemagne, le cannabis thérapeutique est légalisé depuis 2017, sous forme de sommités fleuries ou d’extraits standardisés dispensés en officine. Citons également l'Italie, la République tchèque (prescription et délivrance extrêmement limitées, avec une cinquantaine de médecins et environ quarante pharmacies concernés), la Macédoine du Nord (cannabis disponible sans ordonnance), la Norvège (usage autorisé au cas par cas) mais aussi la Belgique, la Suisse, diverses régions d’Espagne, le Portugal, etc… Transfuge de l’Union européenne, le Royaume-Uni a autorisé le cannabis médical en 2018 : il y est prescrit que par des médecins spécialistes si tous les autres traitements ont déjà été tentés, en cas d’épilepsie sévère chez l’enfant, et, chez l’adulte, en accompagnement de chimiothérapies ou de SEP. Au Canada, en Australie, dans vingt-trois états américains, dans de nombreux pays d’Amérique du Sud, etc. la prescription médicale du cannabis ou de ses dérivés est possible (rappelons toutefois que même si certains pays asiatiques comme la Thaïlande sont ouverts à cette question, d’autres le sont bien moins : un thérapeute a ainsi été condamné à la peine de mort en 2018 en Malaisie pour avoir traité par de l’huile de cannabis certains de ses patients, une peine confirmée en appel en 2019).
Les travaux sur d’autres cannabinoïdes naturels, comme la tétrahydrocannabivarine (THCV) progressent bon train et suggèrent leur intérêt thérapeutique : il est probable que les années à venir verront s’élargir encore le champ des possibles en matière de cannabis médical.
Expérimentation française. Accusant un retard dans l’offre thérapeutique à base de cannabis médical (comme de cannabinoïdes), la France progresse depuis quelques mois. En octobre dernier, les députés ont autorisé son expérimentation. Elle devrait débuter en septembre prochain et durer 2 années. Ce délai étant court, l’ANSM envisage de recourir à du cannabis fourni par des producteurs étrangers car la législation française interdit toujours la culture de plants de cannabis excédant 0,2% de THC.
Le cannabis sera administré sous plusieurs formes : médicaments à base de sommités fleuries séchées ou extraits à spectre complet (THC, CBD). Il y aura des formes à effet immédiat (présentations sublinguales et présentations destinées à l’inhalation comme de l’huile ou des sommités fleuries séchées pour vaporisation…) et des formes à effet prolongé (solution buvable, capsules d’huile…). L’usage de cigarettes est proscrit car la combustion expose à l’inhalation de goudrons nocifs. Cinq ratios THC/CBD devraient être disponibles : 1/1, 1/20, 1/50, 5/20, 20/1. Il faut noter que la proportion de CBD est supérieure à celle de THC, sauf dans le dernier ratio. Le choix de la formulation et du ratio dépendra de l’indication, de la cinétique recherchée en regard de la pathologie et de la clinique, mais aussi des effets iatrogènes associés au cannabis. Les formes d’action rapide seront ainsi mieux indiquées dans le traitement des douleurs.
L’expérimentation concernera au maximum 3000 patients atteints de maladies graves (épilepsie sévère pharmacorésistante, SEP avec spasticité douloureuse, douleurs neuropathiques résistantes), victimes d’effets secondaires de chimiothérapie anticancéreuse (nausées, vomissements, anorexie) ou encore des patients en soins palliatifs. La prescription sera possible quel que soit l’âge si le bénéfice est supposé favorable compte tenu de la sévérité du trouble. Dispensé gratuitement, le cannabis sera prescrit en dernière ligne, donc en cas d’échec des traitements antérieurs. Il sera contre-indiqué chez la femme enceinte et allaitante et imposera la mise en place d’une contraception efficace chez la femme en âge de procréer. Il s’accompagnera d’une mise en garde sur l’aptitude à conduire des véhicules et à utiliser des machines.
Cette phase de test sera conduite dans plusieurs hôpitaux, en particulier dans des centres de référence pour les pathologies concernées. La prescription initiale sera effectuée par un médecin spécialiste, neurologue ou médecin de la douleur notamment. La participation se fera sur la base du volontariat et les médecins devront obligatoirement avoir été formés au préalable pour pouvoir prescrire le cannabis médical.
Les patients se procureront d’abord le cannabis en pharmacie hospitalière puis, une fois leur état stabilisé, ils pourront renouveler le traitement dans certaines officines, sur prescription de médecin généraliste. Le suivi sera sécurisé avec mise en place d'un registre national électronique qui recueillera également les données cliniques d’efficacité et de sécurité. L’objectif de cette expérimentation est moins d’établir la pertinence de l’administration du cannabis sur ces pathologies - elle est déjà démontrée par de nombreuses études - que de tester un système de prescription et de dispensation fiable et, surtout, de vérifier l’existence d’une attente véritable de la part des patients.
Toxicité potentielle. Le cannabis est riche en nombreux principes actifs puissants. Son usage non contrôlé, et surtout bien sûr celui des variétés sélectionnées fortement concentrées en THC et proposées sur le marché illicite comme « récréatives » affectent de nombreuses fonctions physiologiques essentielles. Au plan psychique notamment, un usage prolongé de cannabis concentré en THC induit une dépendance et s’associe à des exacerbations anxieuses, des troubles de l’humeur, des bouffées délirantes, des réactions d’allure psychotique (un usage précoce et chronique de la plante augmenterait la sensibilité à la schizophrénie de sujets présentant une prédisposition génétique). Ceci explique le soin porté au choix des variétés de cannabis utilisées à des fins médicales, à la qualité et à la titration des extraits, etc.
Une récente méta-analyse australienne incluant 40 études contrôlées et randomisées vs placebo a montré que THC comme CBD n’avaient pas ou peu d’action significative sur les pathologies psychiatriques ciblées : il est donc logique que les experts n’aient pas retenu en France des indications relatives aux pathologies mentales pour l’expérimentation future.
Enfin, lorsqu’il est fumé, le cannabis crée une inflammation durable de l’arbre respiratoire associée à une bronchite chronique et expose au développement de cancers des voies respiratoires (goudrons). Ces risques sont prévenus par l’usage du cannabis médical sous des formes adaptées.
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