C’EST LA CRISE ! À force d’être utilisé, le terme en perdrait presque son sens… Si la réalité n’était là pour nous le rappeler : pouvoir d’achat en berne, difficultés pour se loger, se vêtir, se nourrir. Pour beaucoup, les achats du quotidien sont devenus chers, pour certains, ils sont inabordables… À moins de se fournir auprès des hard discounters, ces réseaux de distribution qui vendent leur marchandise à très bas prix, voire à prix coûtant. Le phénomène a depuis longtemps gagné le secteur alimentaire et les ED, Leader Price ou Lidl, dont on a observé avec curiosité l’implantation il y a près de vingt ans, font désormais totalement partie des habitudes d’approvisionnement.
Les produits de santé-beauté suivront-ils la même évolution ? Certes, les chaînes de parapharmacie censées tirer les prix vers le bas se sont multipliées ces dernières années. Mais un phénomène bien plus extrême commence à alerter la profession officinale : l’émergence de pharmacies « low cost » qui cassent les prix d’un secteur entier de l’officine - parapharmacie essentiellement, mais aussi produits OTC devant le comptoir - qui, s’il ne compte que pour 15 % de son chiffre d’affaires, génère une grande partie de sa rentabilité. Le principe du low cost n’est pas nouveau et certaines officines l’ont mis en place de façon isolée. En revanche, il peut inquiéter lorsqu’il s’érige en chaîne, essaimant alors un modèle commercial que certains confrères jugent très agressif. Et pour cause ! Installé depuis deux ans à la tête d’une officine réputée pour pratiquer des prix intéressants sur la parapharmacie, un titulaire a vu s’implanter une pharmacie hard discount dans son environnement. « C’est difficile à vivre, confit-il. Au départ, on ne comprend pas comment ils peuvent fonctionner avec des marges aussi faibles et puis le temps passe et on réalise qu’ils sont toujours présents et qu’ils subsistent malgré tout. »
Un cercle vicieux.
Il faut dire que, d’emblée, les attraits du low cost paraissent évidents : multiplication par cinq (au moins) du trafic en quelques semaines, retombées proportionnelles en termes de vente, y compris de produits sur ordonnance, dynamisme qui peut s’avérer attractif pour un investisseur potentiel. Le revers de la médaille est, quant à lui, moins enviable. Car le low cost a ses impératifs, comme celui de délaisser une partie d’un métier voué à la santé pour se recentrer sur les secteurs de l’hygiène et de la beauté, accepter de réduire de beaucoup la marge de ses produits, et donc, celle de ses bénéfices, être prêt à travailler plus pour pouvoir répondre à la demande, s’équiper et s’organiser pour pouvoir assumer une forte rotation de stocks, le tout sans avoir de garantie sur la viabilité de l’affaire. « Tous les modèles low cost ne fonctionnent pas, reprend le titulaire. Certains vivotent tant bien que mal là où d’autres font carrément faillite. Et ça n’est pas étonnant quand on constate que les marges sur les produits n’atteignent pas plus de 5 % à 10 % ! Comment faire pour payer ses frais fixes quand on a aussi peu de bénéfices ? On est obligé de continuer sur une lancée de forte rotation avec peu d’argent à la clef et un gros travail à fournir. Une fois en place, ça peut facilement devenir un cercle vicieux dont on ne peut plus se sortir. » Malgré tout, il y a toujours des candidats au low cost, qu’ils soient séduits par l’idée d’un fort trafic ou acculés à cette solution extrême. « Il existe des procédés de recrutement de pharmaciens à l’initiative de chaînes hard discount qui font miroiter des chiffres prometteurs au candidat potentiel. À l’inverse, d’autres estimeront que la concurrence du low cost est inévitable et, pour ne pas la subir, ils deviendront eux-mêmes des hards discounters. »
Dans tous les cas, l’implantation d’une telle concurrence peut être très déstabilisante pour les confrères car les règles du métier sont alors totalement différentes : « C’est le principe du business total qui est appliqué et ce avant tout aux dépens de l’exercice officinal. Mais l’ensemble du schéma local s’en trouve déstructuré. Même les parapharmacies sont durement concurrencées. Quant aux pharmaciens concernés, il n’est pas rare qu’ils paniquent face à la menace. »
Prix juste contre prix cassé.
Toutes les officines ne sont cependant pas fragilisées par le phénomène. Une des meilleures réponses aux hards discounters peut probablement être apportée par les pharmaciens les plus traditionnels, ceux qui se sont spécialisés, ceux qui sont impliqués dans le conseil et le service de proximité et qui ont fait de la santé leur cœur de métier. Cette pharmacie-là est alors tellement différente qu’elle n’offre pas de prise à la concurrence du low cost. Quant aux officines qui ont choisi de développer leur rayon de parapharmacie, elles ont tout de même un recours de poids pour faire face à l’agressivité des hards discounters de la profession : elles peuvent mobiliser les forces que certaines enseignes mettent à leur disposition.
Et de ressources, ces structures ne manquent pas. Habituées à travailler les prix, elles fournissent à leurs membres une batterie d’outils qui peut s’avérer très utile dès lors que l’on doit affronter la concurrence d’un hard discounter : aide au référencement, études marketing, études de clientèle, outils merchandising et de communication, campagnes promotionnelles négociées en amont avec les laboratoires… Dans ce cadre, la politique de prix n’est qu’un des moyens existant pour exprimer un positionnement. C’est pourquoi les groupements à l’origine des enseignes défendent la notion de prix juste et non celle de prix cassé. « Attention à ne pas galvauder notre profession en bradant nos produits car, quand nous ferons notre métier de pharmacien, nous n’aurons pas cette image sérieuse et médicale pour laquelle nous avons travaillé. Nous ne vaudrons pas plus que ce prix cassé aux yeux du public », prévient Lucien Benattan. Pour le dirigeant du groupe Pharma Référence-Viadys, on accorde bien trop d’importance au prix et on lui prête des pouvoirs qu’il n’a pas comme celui de fidéliser la clientèle. « Pourtant les études montrent que les gens ont souvent deux pharmacies de prédilection ! ».
En revanche, l’offre commerciale a tout son rôle à jouer dans le modèle futur de la pharmacie. Elle est même au centre d’un positionnement d’avenir qui préserverait l’éthique de la profession officinale sans lui enlever sa dimension commerciale. Et cet avenir est, pour une part, aux mains des enseignes et groupements. « Les low cost ne résisteront pas à la mise en place des réseaux et chaînes de pharmaciens qui se forment actuellement. Quand ce sera fait, l’intérêt du prix s’effacera face au bénéfice du conseil », affirme Lucien Bennatan.
L’avenir aux enseignes.
Et, de fait, le modèle des enseignes semble séduire un nombre croissant de titulaires. Les deux concepts, Pharm&Price et Pharm Eco, élaborés par le groupement DirectLabo, ont ainsi séduit une vingtaine de pharmaciens en seulement deux ans d’existence. Même tendance pour FamilyPrix, la plus jeune enseigne de Plus Pharmacie, que 45 officines ont adopté en façade (180 adhérents) en un an, sans parler de l’enseigne historique, Pharmavie, qui compte désormais 120 pharmacies au concept global (plus de 700 adhérents). Pour toutes, la notion de prix est primordiale, mais elle ne cède pas le pas aux valeurs de conseil, d’information, de prévention qui font la force de la profession. « Nous pouvons pratiquer des prix très attractifs sans oublier de répondre aux attentes du public », affirme Joseph-Philippe Benwaïche. Nullement inquiété par la multiplication des hards discounters, le dirigeant de Plus Pharmacie considère qu’il « faut de tout pour faire un monde » et que, si l’on prend l’exemple du secteur de l’agroalimentaire, on peut conclure que chacun a sa place sur le marché, quelle que soit sa politique commerciale. En outre, il se déclare prêt à combattre la concurrence avec ses propres armes, c'est-à-dire le prix. Tout aussi combatif, le dirigeant de DirectLabo, Yves Morvan, a voué ses deux enseignes à un seul objectif : rendre la parapharmacie accessible au plus grand nombre de consommateurs. Le parfait positionnement pour entrer en concurrence frontale avec toute pharmacie low cost. Il faut dire que la méthode appliquée ici n’a rien à envier aux discounters : « On se fixe sur la pharmacie la moins chère de la zone afin de garantir au client le prix le plus intéressant. » Ce qui ne signifie pas « casser les prix », une attitude néfaste qui, selon DirectLabo, conduirait à dénaturer la profession. D’accord, donc, pour entretenir une saine concurrence entre confrères, mais attention à ce que celle-ci ne verse pas dans une guerre totale des prix, qui décrédibiliserait le produit vendu et la profession en général. Si l’avenir de l’officine appartient aux enseignes, il reviendra à chacune le devoir de défendre âprement la frontière qui la sépare des discounters. Une frontière parfois ténue entre deux modèles économiques qui usent d’armes semblables. « Nous sommes impliqués dans une logique qui impose des prix calculés au plus juste et des marges de plus en plus étroites », rappelle Lucien Benattan. Pour les défenseurs de l’éthique officinale, le combat qui s’annonce sera quotidien.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion