Tadeusz Pankiewicz reprit peu avant la guerre la « pharmacie de l’Aigle » qu’avait ouverte son père dans le quartier de Podgorze, séparé par la Vistule du centre de Cracovie. Rien ne destinait alors ce jeune officinal passionné d’art et d’histoire à devenir un héros, jusqu’au jour où l’occupant allemand décida de regrouper les Juifs des principales villes polonaises dans des quartiers réservés, notamment à Cracovie.
Du jour au lendemain, ces quartiers furent vidés de leurs habitants non Juifs, remplacés par des dizaines de milliers de Juifs, soumis à des conditions de vie misérables, avec impossibilité d’en sortir hormis pour aller travailler pendant la journée. Tadeusz Pankiewicz obtint le droit de rester à Podgorze et de continuer à exercer : il devint ainsi le seul et unique pharmacien polonais non-Juif à se retrouver dans une telle situation.
Très vite, il s’organisa pour trouver les médicaments nécessaires à la population, puisqu’il pouvait se rendre librement dans le reste de la ville. Il les fournissait gratuitement aux malades incapables de les payer, mais son engagement ne se limita pas à son rôle de pharmacien : le soir, les habitants pouvaient se réunir en secret dans sa pharmacie, discuter et se tenir informés ; il leur procurait parfois des faux laissez-passer ou autres documents pouvant leur sauver la vie.
Juste parmi les Nations
Surtout, entretenant des relations cordiales avec les occupants, qui ignoraient tout de son double jeu, il n’hésitait pas à participer à des soirées bien arrosées avec eux. Ceux-ci, une fois ivres, lui donnaient de nombreuses informations, notamment sur les arrestations et les rafles prévues dans le ghetto. Il pouvait ainsi prévenir les habitants, mais aussi en cacher certains dans l’officine… parfois même sous le comptoir pendant les perquisitions dans le quartier.
À partir de 1943 toutefois, les rafles s’intensifièrent et les habitants du ghetto furent massivement déportés dans plusieurs camps des environs de la ville. Le pharmacien assista même aux exécutions sommaires de certains d’entre eux, sur la place principale du quartier, sur laquelle donnait l’officine. Il parvint plusieurs fois à éviter la fermeture de son officine mais, finalement démasqué, il fut brièvement arrêté lors de la « liquidation » du ghetto et échappa in extremis à la déportation. Il reprit son activité normale de pharmacien après la guerre, mais comme directeur d’une autre officine car le régime communiste, dès 1948, nationalisa toutes les pharmacies. En 1983, l’État d’Israël lui décerna le titre de « Juste parmi les Nations », récompensant les personnes ayant sauvé des Juifs durant l’Holocauste.
Voisin de Schindler
Par bien des aspects, l’histoire de la pharmacie de l’Aigle évoque la fabrique d’émail de l’industriel Oskar Schindler qui, à quelques centaines mètres de l’officine, mais à l’extérieur du ghetto, a sauvé des milliers de Juifs en les faisant travailler dans son usine pour les soustraire à la déportation. Moins connu que ce dernier, Tadeusz Pankiewicz a toutefois écrit un livre de souvenirs, « La pharmacie du ghetto de Cracovie », qui a été publié en français aux Éditions Acte Sud il y a quelques années.
Aujourd’hui, l’usine de Schindler et la pharmacie de l’Aigle font partie du réseau des musées historiques de Cracovie. La pharmacie a été soigneusement remise dans l’état où elle se trouvait avant la guerre : elle offre donc le visage d’une officine de quartier des années 1930, avec ses présentoirs, son comptoir, son préparatoire, et même la chambre de garde du pharmacien. Mais les armoires et les nombreux tiroirs du comptoir ne renferment pas que des formulaires pharmaceutiques et des boîtes de médicaments : plusieurs d’entre eux s’ouvrent en fait sur des petits écrans présentant des films et des photos sur la ville et le ghetto pendant la guerre. Tous ces documents permettent, à travers toute l’officine, de mieux comprendre ce que furent les années noires de l’occupation nazie à Cracovie, et de revivre l’engagement admirable de ce pharmacien courageux.
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