En proposant de devenir le « room service des infirmiers libéraux », Suite de Soins ne s’est pas fait que des amis. Déjà victimes de captations d’ordonnances lors de la sortie hospitalière de certains patients, les pharmaciens ont vu rouge avec l’arrivée de ce nouveau réseau concurrent. L’agence pilote bâtie à Lyon en 2012 ayant donné satisfaction, Suite de Soins est passé à la phase de développement en concessions en 2014. Un développement à grande vitesse puisque 25 agences sont désormais réparties sur le territoire. Objectif ? Une centaine, répartie par bassin de population. De quoi donner la migraine aux officinaux concernés par leur implantation. Mais le réseau, par la voix de son directeur du développement Olivier Bouvard, se défend de toute concurrence déloyale. « Le patient choisit en connaissance de cause de passer commande des pansements dont il a besoin chez nous. Les infirmières doivent expliquer à leur patient les différentes manières de se fournir, donc chez leur pharmacien ou par un prestataire de services comme nous. Le patient est bien propriétaire de son ordonnance, qu’elle émane d’un médecin ou d’une infirmière et c’est bien le patient, ou son entourage proche, qui nous contacte. »
Également accusé d’offrir des cadeaux et des formations aux infirmières pour les convaincre d’utiliser ses services, Suite de soins jure qu’il n’offre aucun cadeau. Quant aux formations, « il s’agit d’une obligation faite aux prestataires de service de santé, prévue dans le décret de décembre 2006 qui encadre nos activités ». Une obligation qu’il décline en formations sur les dispositifs médicaux qu’il propose et une aide à la prescription des infirmières. « Elles peuvent communiquer avec une infirmière possédant un DU en cicatrisation, par téléphone ou par le biais d’un logiciel que nous avons mis en place, Tom 3, pour le suivi imagé de la plaie », indique Olivier Bouvard. Une obligation utilisée comme un outil de fidélisation, même si le directeur du développement assure que l’avantage principal de Suite de Soins est la livraison à domicile en quelques heures. « Certaines officines offrent ce service, mais pas toutes. On travaille uniquement dans le cadre de la LPPR* et sans dépassement. Notre activité est parfaitement encadrée par une convention signée avec l’assurance-maladie. Nous respectons le libre choix du patient. Suite de Soins est doté d’un service juridique qui s’assure que toute notre activité s’effectue dans le respect de la réglementation en vigueur. » Plus que tout, Olivier Bouvard affirme que l’action de Suite de Soins est entièrement tournée vers l’intérêt du patient, en apportant des services en faveur d’une bonne prise en charge à domicile.
Lien hôpital-ville
Une défense qui fait tousser Pierre Kreit, président de l’URPS Champagne-Ardenne et président du syndicat de pharmaciens de la Marne. « Nous ne sommes pas dupes, la santé de nos concitoyens pour les prestataires de services, c’est du business. Ils utilisent des manières déguisées pour obtenir l’ordonnance comme les formations offertes sur les pansements qu’ils proposent. » Pour le professionnel de santé, Suite de soins surfe avec la réglementation pour rester dans les clous. Il reste dubitatif. « Je ne parle pas de ce réseau mais d’autres prestataires n’hésitent pas à capter l’ordonnance dès sa rédaction. J’en ai des exemples tous les jours. La semaine dernière, le service pneumologie de l’hôpital a prescrit un appareil pour l’apnée du sommeil à une patiente qui n’a jamais vu l’ordonnance. Le pharmacien a appelé le service pneumologie qui lui a répondu que le service ne donnait jamais l’ordonnance au patient et la transmettait directement au prestataire de services. Le pharmacien a insisté, une infirmière du service l’a rappelé pour lui dire que si la patiente ne voulait pas de son appareil, il fallait qu’elle leur envoie une décharge écrite… Le confrère a expliqué que la patiente voulait simplement son ordonnance, on lui a répondu que ce n’était pas possible. Et on nous parle d’améliorer le lien hôpital-ville… » En juin 2012, l’agence régionale de santé (ARS) de Champagne-Ardenne s’est fendue d’une circulaire aux professionnels de santé hospitaliers pour leur rappeler que l’ordonnance est la propriété du patient et qu’ils ne peuvent en disposer. Suivie de peu d’effet. « Pire, des prestataires fabriquent des ordonnances et les envoient aux médecins pour qu’ils les signent, en les faisant culpabiliser. Par exemple, en expliquant qu’ils ont dû équiper tel patient d’un lit médicalisé. Une fois sur deux le médecin se sent coupable de ne pas avoir prescrit ce lit qui semble nécessaire à son patient et il signe », témoigne encore Pierre Kreit.
Face à ces pratiques commerciales dignes du pied dans la porte, Suite de Soins ressemble à un concurrent éthique pour le pharmacien. Oui mais ! Depuis le 31 mars 2012, les infirmiers peuvent prescrire certains dispositifs médicaux d’une liste limitative dans des conditions précises. « Grâce au dossier pharmaceutique, nous constatons parfois qu’ils prescrivent sans l’accord du médecin, qu’il s’agit d’une prescription initiale, et nous leur expliquons alors que nous ne pouvons délivrer. Non seulement les prestataires de service n’ont pas le DP, mais ils ne refuseront jamais une délivrance, ils ne sont là que pour le business. » Le sujet a le don d’exaspérer Pierre Kreit, il enrage de voir certains prestataires de services qui le concurrencent « cotés en bourse, alors qu’ils sont payés par le contribuable et l’assurance-maladie ». Il conclut : « c’est ça le ras-le-bol des confrères : on leur pique leur travail et après on leur dit que le déficit de la Sécu c’est de leur faute, donc qu’on va faire peser sur eux la majorité des économies pour s’en sortir ».
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