L’opération n’est pas passée inaperçue. Courant octobre, le fonds d’investissement Five Arrows Managers, entité du groupe Rothschild, s’est porté acquéreur de LAF Consulting, MASLAF et JMW Holding, trois sociétés du groupe Lafayette (réseau de 130 pharmacies adhérentes).
Selon le marché, cette participation pourrait monter de 46 millions d’euros aujourd’hui à 100 millions d’euros dans trois ans. En Occitanie, berceau du groupe Lafayette, cette transaction a été immédiatement dénoncée par des membres de la profession, comme une main mise de capitaux étrangers sur l'officine. Michel Laspougeas, président du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens d'Occitanie, réclame, pour sa part, de la transparence. « Notre préoccupation principale est la sauvegarde de l’indépendance du pharmacien », déclare-t-il. À proximité des pharmacies Lafayette, les titulaires redoutent avant tout que la guerre des prix ne s’amplifie.
Il en faudrait davantage cependant pour ébranler les convictions d’Hervé Jouves, président du groupe Lafayette, qui voit dans cette prise de participation « d’un groupe familial, tourné vers les PME », l’opportunité de donner une stature nationale à un réseau qui n’entend pas démentir ses ambitions. « Outre le développement de notre écosystème bâti sur la pharmacie, le MAD et l’optique, cet actionnaire adossé à trois grandes banques* va permettre d’accélérer notre montée en puissance en recrutant plus de pharmacies et d’émettre des offres de financement à l’installation des adjoints », décrit-il. Se voulant rassurant, il déclare : « le nouvel actionnaire ne va pas venir gérer à ma place. » Une vision défendue par Emmanuel Roth, président du fonds Five Arrows Managers (voir ci dessous).
Ce n’est pas la première fois qu’un groupement de pharmaciens suscite la convoitise du capital-investissement. Il y a un an, de manière beaucoup plus discrète, le fonds Sagard prenait le contrôle du groupement Paris Pharma (200 adhérents) via la création d’une holding. Le directeur général du fonds Sagard France, Frédéric Stolar, occupe aussi la présidence de la holding Paris Pharma. Sollicité par « le Quotidien », il n’a pas souhaité s’exprimer sur les motivations qui l’ont conduit à un tel montage financier.
Un appétit nouveau pour la pharmacie
Ces deux opérations intervenues à moins d’un an d’intervalle suffiraient-elles à dégager une tendance ? Elles signalent en tout cas un intérêt décomplexé des investisseurs pour le secteur de la pharmacie d’officine. Dans un environnement de rendement bas et volatil, le capital-investissement, dont le rendement annuel sur dix ans est à 10 %, soit deux fois plus élevé que celui des marchés d’actions cotées, affiche une santé resplendissante. En 2015, ce secteur enregistrait une croissance pour la troisième année consécutive et augmentait de 52 % le volume des levées de fonds comprises entre 50 et 100 millions d’euros dans des entreprises non cotées.
C’est dire les disponibilités en capitaux de ces fonds représentant pour la plupart les intérêts de familles d’industriels. Pour autant, cet appétit soudain pour un marché aussi réglementé que celui de la pharmacie laisse perplexes certains acteurs du marché. « Cette réglementation peut être considérée a priori comme un inconfort mais elle peut être également une source d’opportunité dans la mesure où elle va forcer les acteurs à évoluer. Tout dépend cependant du modèle économique qu’il convient dans chaque cas d’évaluer », relève Simon Ruchaud, économiste de l’Association française des investisseurs pour la croissance (AFIC). Richard Brague, président de RTFS Advisory**, reste encore plus circonspect : « Chaque montage doit être certes interprété de manière différente. Chaque investisseur doit avoir des éléments qui lui permettent de croire en une valeur ajoutée. Or, dans un domaine d’activité qui souffre et qui est soumis à une forte pression réglementaire, cela me semble, à l'heure actuelle, assez hypothétique. Dans le secteur de la pharmacie d'officine, nous n’avons aucune visibilité à cinq ou sept ans. De plus, les évolutions du marché m’incitent à être prudent. Car demain, s’il y a un appel d’air, il sera certainement en faveur d'une libéralisation du secteur, ce qui pourrait profiter à la grande distribution. »
Craintes de « titrisation »
Les pharmaciens partagent également ces interrogations sur le véritable dessein des fonds d’investissement. Des titulaires adhérents de groupements sujets à ces prises de contrôle s’inquiètent pour leur avenir. Ils se sentent pris au piège et craignent de ne pas pouvoir monnayer leur sortie. De sources syndicales, certains envisagent même la cession de leur officine.
Il est vrai que la stratégie classique des fonds a de quoi inquiéter les pharmaciens. « Beaucoup de fonds visent une plus value rapide avec une revente au bout de cinq ans, mais la stratégie peut être aussi de consolider un secteur qui est atomisé », souligne Philippe Becker, expert-comptable chez Fiducial. Convenant que l’opération entre Five Arrows Managers et Lafayette peut susciter des craintes, Philippe Becker n’en relève pas moins un point positif : « Il y a des investisseurs financiers qui croient encore à l’avenir de l’officine ! » Et si la porte leur en reste interdite par le code de la Santé publique, rien n’empêche légalement les fonds de tabler, via le rachat des groupements, sur la valorisation d'une marque et d'une stratégie de conseils.
Les fonds d’investissement, dont certains affirment avoir été récemment approchés par un troisième groupement et des groupes de pharmaciens informels, se substitueraient-ils in fine aux banquiers, dont la frilosité est souvent déplorée par la profession ? Cette perspective suscite encore beaucoup de résistance parmi la profession. Pourtant, en région, certains responsables ordinaux et syndicaux ne manquent pas de rappeler que la « titrisation » de la pharmacie est d’ores et déjà en marche. Des inquiétudes sur lesquelles le Conseil national de l'Ordre ne souhaite pas, pour l'instant, se prononcer.
*BNP, Crédit agricole et Société générale.
**Société en conseil d'investissement financier (CIF) auprès d'institutionnels.
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