En 2023, 11 millions d’euros de fausses ordonnances ont été signalés par les pharmaciens, selon des chiffres communiqués par l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, contre 8,5 millions d’euros en 2022. Un phénomène que l’assurance-maladie souhaite inverser : « plus qu’un simple enjeu financier, il s’agit également d’une question de santé publique : nous avons vu avec Ozempic que de nombreux problèmes d'accès aux soins ont été causés par les fraudes et détournements, qui en ont réduit la disponibilité chez ceux qui en ont réellement besoin », explique Fabien Badinier, directeur adjoint chargé du contrôle et de la lutte contre la fraude à la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM).
C’est dans ce contexte que le dispositif d’« Alerte sécurisée aux fausses ordonnances » ou ASAFO, élaboré et testé en Île-de-France en 2011, a été étendu au reste du pays le 2 août sous une nouvelle mouture dénommée ASAFO-pharma. Mais peut-il faire la différence pour les pharmaciens débordés qui, aujourd’hui encore, doivent passer par de nombreux appels ou l’entraide officinale sur les réseaux sociaux pour déceler le vrai du faux ?
Une utilisation en hausse
Selon Fabien Badinier, les officinaux sont de plus en plus nombreux à avoir recours à ASAFO-pharma : « la semaine dernière*, plus de 1 200 pharmacies se sont connectées à l’outil et nous avons reçu 200 suspicions de fraudes d’ordonnance, comparé à 600 pendant le reste du mois d’août. Lorsque l'utilisation était limitée à l'Île-de-France, nous n'avions que quelques dizaines de signalements mensuels ». Un paramètre important, car son efficacité est directement proportionnelle à son nombre d’utilisateurs. À terme, l’analyse des médicaments les plus représentés dans ces fausses ordonnances permettra de détecter rapidement les nouveaux trafics populaires, facilitant la mise en place de mesures de contrôle adaptées.
Un outil encore rigide
Souvent décrié comme peu maniable, l’outil a été amélioré et rendu plus interactif, avec un échange d’informations dans les deux sens qui permet aux CPAM de partager aux pharmaciens les alertes de fausses ordonnances. Mais pour les utilisateurs interrogés par « Le Quotidien », il reste encore beaucoup à faire : « Le système est bon, mais pas sans inconvénients. L'accès est en double saisie, par amelipro puis ASAFO. Cette procédure manque de fluidité et de rapidité. L'interface est globalement bien conçue, mais n’est pas toujours intuitive, avec certains éléments, comme la possibilité de sélectionner par région ou ville, qui ne sont pas assez mis en avant », nous explique une pharmacienne de Montpellier.
Pour Guillaume Racle, utilisateur du logiciel ainsi que conseiller économie et offre de santé pour l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), la faiblesse d’ASAFO-pharma réside dans son manque de réactivité : « Il a mis plus d’une semaine à vérifier une ordonnance que j’avais déposée, alors que ça devrait être fait dans les 24 heures ! ». D’autant que les pharmaciens, déjà débordés, n’ont pas le temps de le consulter quotidiennement. Pour lui, « il est indispensable qu’ASAFO soit intégré aux logiciels de gestion d’officine (LGO), afin de comparer les ordonnances déposées avec la base de données. Sans investissement concret dans cet outil, il ne sera qu’une mesure politique comme tant d’autres ».
Une ROSP de 100 euros à l’usage
Pour améliorer l’appropriation de l’outil par les pharmaciens, ces derniers peuvent toucher une rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) de 100 euros à l’usage. Pour ce faire, les officinaux doivent se connecter au moins une fois par semaine à ASAFO-pharma pendant 90 % de l’année, ce qui équivaut à au moins une connexion pendant 46 semaines.
Et l’ordonnance numérique ?
En tout cas, l’assurance-maladie dit être à l’écoute : « nous avons entendu cette demande des syndicats, et c’est un sujet qui est aujourd'hui à l'étude. Nous restons ouverts aux suggestions d’améliorations, comme nous l’avons été avec l'évolution des connexions (CPS, puis eCPS, et maintenant CPE) », affirme Fabien Badinier. Mais l’investissement en vaudra-t-il la peine, alors que l’ordonnance numérique (censée considérablement réduire les fausses ordonnances), est pour bientôt ? « Nous célébrerons le jour où ASAFO-pharma sera obsolète, mais ce n'est pas pour tout de suite ». En effet, l'obligation de l'utilisation de l’ordonnance numérique en janvier 2025 ne concerne que les prescriptions exécutées en ville. Pour les hôpitaux, où sont prescrits la majorité des anticancéreux et des médicaments chers, cela n'est pas encore prévu. Et ce, bien que des travaux soient en cours…
La semaine dernière, nous avons reçu 200 suspicions de fraudes d’ordonnance, comparé à 600 pendant le mois d’août. Lorsque l'utilisation était limitée à l'Île-de-France, nous n'avions que quelques dizaines de signalements mensuels
Fabien Badinier, directeur adjoint chargé du contrôle et de la lutte contre la fraude à la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM)
L’efficacité d’ASAFO est directement proportionnelle à son nombre d’utilisateurs
*Semaine du 26 août 2024
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