Apparus fin octobre en pharmacie, les tests antigéniques se sont rapidement imposés comme un maillon fort de la stratégie mise en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Une mission dont les officinaux ont su s'emparer avec efficacité. Aujourd'hui près d'un pharmacien sur deux propose ces tests à ses patients selon les chiffres d'IQVIA. À tel point que la réalisation des tests antigéniques est devenue « un business très rentable » pour les officinaux, si l'on en croit le titre d'un reportage diffusé la semaine dernière dans le « 20 heures de TF1 ».
Ce reportage a mis en lumière l'existence de sociétés privées proposant aux pharmaciens un service « clé en main » qui leur permet d'être délestés, presque complètement, de cette tâche chronophage. Sous un barnum, fourni par le prestataire, des étudiants s'occupent de prélever les patients. Payés à l'acte (5 euros par test) et donc sans salaire fixe, ils ont tout intérêt à travailler avec efficacité pour obtenir une rémunération correcte à la fin de la journée. Quitte à recruter directement sur le trottoir et à inciter des passants, qui n'en ont pas réellement besoin, à venir se faire introduire un écouvillon dans les narines. Un productivisme qui ne coûte rien aux patients, mais qui n'est bien sûr pas gratuit pour la Sécurité sociale. Pour savoir ce que proposent précisément ces entreprises aux officinaux, le « Quotidien du pharmacien » a pris contact avec deux d'entre elles après avoir été aiguillé par le président du Conseil régional de l'Ordre des pharmaciens d'Île-de-France, Bruno Maleine, qui s'intéresse de près au sujet depuis plusieurs semaines déjà (voir ci-dessous).
Un « autoentrepreneur » teste les patients
En nous présentant comme un pharmacien installé dans le 12e arrondissement de la Capitale, nous appelons, un brin dubitatif, une première entreprise, CapellaMed. Sur son site Internet, cette société précise en effet qu'elle est « spécialisée dans la distribution et la logistique de fourniture médicale auprès des centres hospitaliers, des collectivités locales et des acteurs privés de la Santé ». Un catalogue liste les EPI (équipements de protection individuelle) proposés à la commande, mais nulle mention d'un service à destination des pharmaciens pour l'installation de barnums et la réalisation de tests antigéniques. Au téléphone, un salarié de cette société, un peu étonné par notre appel dans un premier temps, va finalement nous détailler le service proposé par CapellaMed. « On fournit le barnum, les tests, tous les équipements de protection individuels (EPI), la table, les chaises… On s'occupe du planning, de recruter et de rémunérer la personne qui effectuera les prélèvements et on assure, en interne, l'inscription des résultats sur la plateforme SI-DEP ».
Le pharmacien n'a donc plus rien à faire, ou presque. « L'officinal se charge de la lecture du résultat, c'est obligatoire », précise en effet le salarié de l'entreprise. Une première question se pose alors spontanément : qui sont précisément les personnes employées pour effectuer le prélèvement ? « Nous avons un pool de 50 à 100 personnes qui peuvent réaliser les tests. Des étudiants qui ont validé leur première année, notamment en médecine ou en pharmacie, des sages-femmes, des infirmiers, des kinés… des personnes qui ont le droit de faire ces tests selon les règles fixées par l'ARS. Ils sont rémunérés directement par notre société et travaillent avec le statut d'autoentrepreneur », précise-t-il.
Multiplier le nombre des tests par 2 ou 3
Même service ou presque proposé par la deuxième société avec qui nous prenons contact : Test Express. « On s'occupe de tout, de A à Z. On vous envoie des étudiants formés qui peuvent tester toute la journée. Le patient arrive sous la tente, l'étudiant lui fait remplir la feuille de traçabilité, il réalise le test. La personne attend 10 minutes, elle se présente au comptoir de la pharmacie. Entre-temps, l'étudiant a donné la feuille et les résultats au pharmacien qui n'a plus qu'à les annoncer au patient. La seule chose dont on ne s'occupe pas c'est la facturation », détaille-t-il. Grâce à différents systèmes, l'entreprise peut utiliser elle-même la e-CPS du pharmacien pour enregistrer les résultats sur SI-DEP. Une fois réalisée, cette opération se fait « automatiquement ».
Qu'en est-il du coût pour le pharmacien intéressé par ce type de service ? « Il s'agit d'une rémunération variable, à l'acte, explique le représentant de Test Express. L'idée c'est de ne pas payer quelqu'un qui ne travaille pas. On prélève 15 euros par test (remboursé à hauteur de 28,99 euros par l'assurance-maladie aujourd'hui) et le reste c'est pour le pharmacien. » À l’instar de la première entreprise que nous avons contactée, cette société peut également réaliser des tests PCR. « L'étudiant se charge du prélèvement, puis l'échantillon est amené par un coursier dans un laboratoire avec qui nous sommes conventionnés. Le laboratoire reverse 2,50 euros par test au pharmacien, ce n'est pas énorme mais le test PCR, comme le barnum, sont des produits d'appel. » Ils ont donc l'avantage d'attirer davantage de patients, selon lui. Comme cet interlocuteur nous le confirme, travailler avec son entreprise peut s'avérer très rentable pour le pharmacien. « Même si on prélève 15 euros par test, cela reste très intéressant pour le titulaire car on peut facilement multiplier le nombre de tests réalisés par 2 ou 3. Un pharmacien parisien réalisait 20 tests antigéniques par jour avant de travailler avec nous, aujourd’hui il en fait 60 », nous explique-t-il.
Les étudiants en pharmacie invités à ne pas donner suite
C'est essentiellement à Paris, et dans quelques autres grandes villes, que des barnums ont été installés sur le trottoir. Il convient toutefois de rappeler que, dans l'immense majorité des cas, ce sont les pharmaciens eux-mêmes qui s'occupent de la logistique autour des barnums, les tests étant effectués par des membres de l'équipe officinale ou par des étudiants directement rémunérés par la pharmacie. Les officines qui ont fait appel à ces sociétés extérieures sont très difficiles à quantifier mais sans doute cela reste-t-il très minoritaire.
Si ce phénomène a été porté à la connaissance du grand public suite au reportage de « TF1 », les associations étudiantes et les syndicats l'ont repéré, eux, depuis bien plus longtemps. « Dès le mois d'octobre, ces sociétés ont tenté de recruter des étudiants, un peu partout en France. On a littéralement été harcelé, explique en effet Adrien Cazes, vice-président de l'Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF). Nous avons vite alerté les étudiants en pharmacie, en leur conseillant de ne pas donner suite et de privilégier des contrats normaux avec un titulaire et payés à l'heure, plutôt que d'accepter de travailler avec le statut d'autoentrepreneur. Les associations locales ont également relayé ce message et je pense qu'il a été plutôt bien entendu. » Adrien Cazes a de plus constaté que ces sociétés n'hésitaient pas à contourner les règles pour recruter des petites mains. « Ils ont fait travailler des étudiants en kiné pendant plusieurs mois, alors que ceux-ci n'avaient pas le droit de réaliser des tests antigéniques (ceux ayant validé leur première année n'y sont autorisés que depuis le 24 décembre après publication d'un arrêté). En cas de problème, ils n'auraient donc pas été couverts », souligne Adrien Cazes.
« Cela fait deux mois qu'on alerte »
Lors de ses Webinaires du dimanche matin, Gilles Bonnefond, le désormais ex-président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), avait lui aussi alerté sur cette pratique. « J'ai été très étonné par cette façon de faire. C'est un mode de fonctionnement qui invite le patient au dépistage. Déléguer un acte pharmaceutique à une société extérieure, cela n'est pas approprié selon moi. De plus, comment fait-on pour savoir qui est vraiment présent dans le barnum et s'il est réellement compétent ? En acceptant de faire appel à ces entreprises, le pharmacien engage son diplôme. Si le jeune qui prélève fait une erreur, c'est de la responsabilité du pharmacien », tient à rappeler Gilles Bonnefond.
C'est essentiellement en Île-de-France que ces sociétés tentent de prospérer, confirme-t-il. « J'ai signalé ces pratiques à l'ARS et à l'Ordre. Le président de l'URPS Île-de-France s'en est également ému. Le directeur de l'agence régionale de santé (ARS) m'a fait part de son étonnement vis-à-vis de ces pratiques, liste Gilles Bonnefond. Cela fait deux mois qu'on alerte et maintenant on attend. On aurait tout de même aimé que cela puisse se régler avant qu'un reportage de TF1 ne s'empare du sujet », regrette-t-il.
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