« Enceintes, les médicaments, c’est pas n’importe comment ! Ce slogan, vous allez l’entendre encore et encore », prévient Rose-Marie Tunier, directrice de la communication et de l’information à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. L’ANSM a lancé, depuis mardi dernier, une campagne de sensibilisation à l’intention des femmes enceintes ou ayant un projet d’enfant et des professionnels de santé qui les accompagnent, sur les risques liés à la prise de médicaments pendant la grossesse. Au programme : des bannières au ton humoristique sur différents sites Internet, des vidéos sur les réseaux sociaux, des encarts dans la presse magazine, des affiches chez les professionnels de santé et même un partenariat avec le médecin YouTubeur Corentin Lacroix (WhyDoc).
« La grossesse n’est pas un état pathologique », rappelle la directrice générale de l’ANSM, Christelle Ratignier-Carbonneil, mais il est essentiel de prendre en compte « la vulnérabilité du futur bébé à l’exposition de médicaments pris par la mère ». Pour prendre la bonne décision, la seule solution est d’échanger avec un professionnel de santé, en particulier son médecin traitant, son gynécologue, sa sage-femme ou son pharmacien, et cela dès le début de la grossesse, voire dès que le projet d’avoir un enfant devient concret. « Il y a des médicaments qu’il ne faut pas prendre deux ans avant la grossesse, d’autres juste avant la conception, certains traitements sont contre-indiqués au 1er trimestre, ou bien au 2e ou au 3e trimestre, et encore d’autres pendant l’allaitement », résume le Dr Sylvain Bouquet, médecin généraliste dans l’Ardèche et expert auprès de l’ANSM au sein du comité scientifique « reproduction, grossesse et allaitement ». Difficile de s’en sortir seule face à son armoire à pharmacie.
Quatre règles d'or
Les risques de malformation liés à la prise d’un médicament pendant la grossesse sont les plus hauts au premier trimestre, mais ils ne disparaissent pas complètement aux trimestres suivants. « Par exemple, les AINS comme l’ibuprofène sont contre-indiqués aux 2e et 3e trimestres car ils peuvent affecter la croissance et la maturation des organes de l’enfant à naître. D’autres médicaments, comme les psychotropes, ont des effets néonataux, c’est-à-dire à la fin de la grossesse ou au moment de l’accouchement. Enfin, certains traitements peuvent avoir des effets à distance, entraînant des troubles cognitifs, autistiques chez les enfants. Le risque n’est pas de 100 % mais une seule prise peut générer un effet, y compris des interruptions involontaires de grossesse », explique Céline Mounier, directrice de la surveillance à l’ANSM.
Selon une étude européenne, 2 à 3 % des bébés naissent avec une malformation majeure, parmi lesquels 5 % des cas sont liés à la prise de médicaments par la mère. Ramenés à l’échelle française, entre 800 et 1 200 bébés seraient concernés sur les plus de 800 000 naissances annuelles. A contrario, certains traitements chroniques ne peuvent pas être arrêtés en cas de grossesse, par exemple les antidiabétiques. « Il faut anticiper les risques en suivant quatre règles d’or, énumère Céline Mounier : préparer sa grossesse avec le médecin ou la sage-femme, ne pas s'automédiquer, ne jamais arrêter seule un traitement prescrit, et informer tous les professionnels de santé consultés de sa grossesse. »
Des risques mal connus
Selon une enquête menée par « ViaVoice » auprès de femmes de 18 à 44 ans ayant un projet de grossesse ou étant enceintes, fin 2019 et réactualisée fin 2020, seulement 30 % des femmes interrogées se disent bien informées des risques liés aux médicaments pendant la grossesse, loin des près de 70 % obtenus lorsqu’il s’agit du tabac ou de l’alcool. Le niveau de connaissances semble « friable » face à des affirmations comme « la consommation de médicaments est déconseillée pendant la grossesse » puisque le taux de répondantes qui sont d’accord passe de 78 % à 70 % entre 2019 et 2020. Par ailleurs, 22 % des femmes ayant un projet de grossesse en 2019 n’en ont informé aucun professionnel de santé, un taux qui gagne 4 points en 2020. Et 17 % des femmes enceintes ou ayant déjà un enfant avouent avoir arrêté, au cours de leur grossesse et sans avis médical, un traitement prescrit. Tandis que la prise d’un médicament sans avis médical semble courante : 89 % des femmes ayant un projet de grossesse le font, ainsi que 36 % des femmes enceintes de leur premier enfant et 48 % des femmes enceintes de leur 2e enfant (ou plus). Parmi ces répondantes, 39 % n’ont demandé aucun conseil à un professionnel de santé et une proportion non négligeable explique avoir réutilisé un médicament issu d’une ancienne prescription.
« Le sentiment de risque pour soi comme pour le bébé reste assez minime lors de ces pratiques », note Amandine Messina, de l’institut Viavoice. Enfin, face aux maux de la grossesse tels que fatigue, jambes lourdes, nausées, etc., les personnes sondées indiquent se tourner vers leur médecin ou sage-femme (32 à 44 %), se reposer (18 à 37 %), demander conseil au pharmacien (7 à 12 %) ou à des proches (9 à 10 %). « Je martèle le message de cette campagne, insiste Christelle Ratignier-Carbonneil, il est indispensable que ces femmes ne restent pas seules, elles doivent être accompagnées par des professionnels de santé. »
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