« La pharmacie est ouverte de 9 heures à 13 heures et de 14 heures à 19 heures », peut-on désormais entendre sur le répondeur de la pharmacie mutualiste de Calais. Pourtant, avant le 1er mars et le départ à la retraite d'un pharmacien, puis la démission d'un autre membre de l'équipe pour choix personnel, cette officine implantée dans un centre commercial du centre-ville ouvrait ses portes en continu du lundi au samedi.
« Nous avons dû réduire nos amplitudes horaires car nous n'avions pas d'autre solution pour assurer la permanence d'un diplômé au comptoir », regrette la responsable. Au mois d'août, la pharmacie a même dû fermer ses portes quatre samedis consécutifs. Dans la ville portuaire, la population avertie par affiches et voie de presse n'en a pas tenu rigueur à ces officinaux. Une lueur d'espoir quand même, la pharmacie mutualiste s'apprête à embaucher une préparatrice. Mais pas l'ombre d'un pharmacien en dépit des avantages, tickets-restaurants, chèques vacances, prime de Noël et autres primes, sans compter une officine refaite à neuf, équipée d'un robot et proposant de nombreux services aux patients. La situation risque même de s'aggraver avec un nouveau départ à la retraite à la fin de l'année et un autre courant 2023.
Seule aux manettes
La situation à Calais n'est pas un cas isolé. Dans l'ensemble du réseau officinal, les ressources humaines sont en crise. Fin 2021, déjà, les syndicats déploraient un manque de 10 000 collaborateurs dans les officines. Mais selon Aurélien Filoche, cofondateur de la plateforme Ouipharma, ils sont désormais 15 000 à manquer à l’appel. De fait, les témoignages de titulaires se multiplient face aux difficultés de recrutement, que ce soit dans la presse locale ou sur les réseaux sociaux. Aussi, épuisés par la pandémie et le manque de bras au moment où les pharmacies ont été les plus sollicitées, certains, comme à Calais, n’ont trouvé d’autre solution que de réduire leurs horaires d’ouverture.
Marie-Charlotte Georget, installée à Nîmes (Gard) depuis 13 ans, n’a jamais connu pareille situation. À chaque fois qu’un pharmacien adjoint a quitté son officine, elle a trouvé un remplaçant dans un délai raisonnable de trois mois. Cette fois, ses recherches n’ont pas abouti, et ce depuis mars 2021, lorsque la pharmacienne adjointe a pris son congé maternité qui s’est poursuivi par un congé parental pour se conclure par une démission. « J’ai multiplié les recherches sur tous les sites possibles, sans succès, j’ai fini par abandonner par manque de temps », explique la titulaire, à la tête d’une pharmacie de 980 000 euros de chiffre d’affaires. Seule pharmacienne avec une préparatrice (et une autre en cours de formation), elle n’a eu d’autre choix que de revoir ses horaires d’ouverture à la baisse : la fermeture a désormais lieu à 19 heures au lieu de 19 h 30 en semaine et la pharmacie a abandonné l’ouverture du samedi matin.
« On manque de pharmaciens et, en plus, des gens se détournent de l’officine. Le Covid n’a pas aidé, la période qu’on a traversée a révélé la possibilité d’une certaine qualité de vie associée à un aménagement des horaires de travail, ce qui fait fuir le personnel de certains secteurs et l’officine n’est pas la seule concernée », analyse Marie-Charlotte Georget.
Difficile, dans sa situation, de s’investir dans les nouvelles missions avec une si petite équipe. La titulaire est néanmoins engagée dans la lutte contre le Covid (tests et vaccins) et participe chaque année à la campagne antigrippale, alors même que la préparatrice ne vaccine pas. Seule aux manettes, elle reconnaît que sa passion d’officinale est davantage vécue comme un sacerdoce aujourd’hui et se pose la question de l’avenir. « J’attends la fin de l’année mais je pense mettre mon officine en vente. »
Super-héros
Dans le même état d'esprit, parce qu'ils n'ont pu se résoudre à réduire l'activité de leur officine - la seule à plusieurs kilomètres à la ronde et fréquentée par une population âgée très fidèle -, Lucile et Thierry Ferrand vivent sur leurs dernières réserves d'énergie. « Cela fait plusieurs mois que nous cherchons à recruter un pharmacien et deux préparateurs. Sans succès », constate amèrement le titulaire de la pharmacie des remparts à Saint-Aulaye-Puymangou (Dordogne). Le couple, proche de la soixantaine, ne cache pas être au bout du rouleau. « Je travaille au moins 80 heures par semaine », lâche Thierry Ferrand. Car pour maintenir sa présence au comptoir, le pharmacien n'a d'autre choix que de reporter son travail administratif, après la fermeture… Entre 22 heures et 1 heure du matin.
Heureusement, certains confrères parviennent malgré tout à recruter. C’est le cas de Fanny Dulucq, installée depuis 13 ans à Castelnau-Rivière-Basse (Hautes-Pyrénées). Sa méthode ? L’humour et la créativité. Son annonce, diffusée sur les réseaux sociaux, a associé un ton aussi dynamique que sympathique à une photo de l’équipe où chaque membre portait un costume de super-héros. Résultat, un futur préparateur rejoint la pharmacie occitane dès le mois d’octobre, le temps pour lui d’aller au bout de son préavis. Au-delà de la publication d’une annonce qui se démarque, c’est peut-être l’image de bonne ambiance qui fait la différence. C’est en tout cas le critère privilégié par le groupement Médiprix qui mise ainsi sur la cooptation par les membres de l’équipe qui vont mettre en avant l’atmosphère au travail. Car celle-ci reste le facteur numéro un du recrutement, selon Jérôme Escojido, cofondateur du groupement. « Bien avant le niveau de rémunération », affirme-t-il. Et parce que cette ambiance au travail s'entretient, le groupement organise des week-ends de team building.
Mieux, la marque propre du groupement devient la « marque employeur », car la marge effectuée sur les produits à la marque est redistribuée aux salariés. « Des incentives mensuels pouvant aller jusqu’à 150 euros/net par mois par collaborateurs », relève Jérôme Escojido. Le groupement va aujourd'hui plus loin dans la motivation des équipes. Dans le Nord, plutôt que de recruter un commercial pour la marque propre, Médiprix a eu l'idée de proposer à un membre de chaque équipe officinale de devenir ambassadeur de la marque. Ce commercial dédié bénéficie de formations et d'une rémunération supplémentaire chaque mois. À l'heure des réseaux sociaux, auprès d'une population jeune et même très jeune en ce qui concerne les préparateurs, le buzz et la réputation font indéniablement la différence sur un marché du travail très concurrentiel.
La faute aux nouvelles missions ?
Face à cette pénurie de personnel, le groupement d’employeurs Team Pharma remporte un succès grandissant. Le principe : mettre à la disposition de ses 300 adhérents les services de diététiciennes, mais aussi à partir du mois d’octobre, de préparateurs en pharmacie et de rayonnistes, puis de pharmaciens en janvier prochain et enfin d’infirmiers vers avril 2023. Le recrutement est en cours, car la demande est forte et même urgente, explique Lucien Bennatan, fondateur de Team Pharma. « Nous recevons nous aussi des témoignages de titulaires contraints de réduire leurs horaires d’ouverture et qui nous pressent de leur proposer les services de préparateurs et de pharmaciens. »
À en croire son analyse, personne n’a su prendre à bras-le-corps « l’enjeu temps et l’enjeu humain » qui transparaissaient pourtant dans « les articles 36 et 38 de la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires) de 2009, le premier étant consacré à l’accès aux soins et l’autre aux missions obligatoires et facultatives des pharmaciens ». Résultat, les nouvelles missions ne peuvent être mises en place dans toutes les pharmacies faute de temps disponible et de professionnels pour les réaliser.
Travail à temps partagé
Toujours est-il que le principe du travail à temps partagé proposé par Team Pharma séduit de plus en plus de pharmaciens. Trois groupements viennent de signer un protocole de partenariat et sept autres sont en discussion. Pour autant, Team Pharma ne pourra pas répondre à toutes les demandes et incite donc les titulaires à réorganiser le travail de leurs équipes. « Ceux qui cherchent un pharmacien à temps plein vont devoir réfléchir et s’adapter », et éviter de leur confier des missions qui ne nécessitent pas les compétences auxquelles ils ont été formés. « Les pharmaciens et préparateurs qui font ou vont faire partie de nos équipes veulent réaliser un travail intéressant, et non pas ranger la réserve ou les livraisons de commande. C’est d’ailleurs pour répondre à ce besoin que nous allons proposer les services de rayonnistes dès le mois d’octobre. De plus, pharmaciens et préparateurs veulent aller d’officine en officine pour multiplier les types d’exercice et ne pas être « attitrés » en permanence à une pharmacie », relève Lucien Bennatan.
Serait-ce ce qui les décide à postuler à Team Pharma plutôt qu’aux annonces des titulaires ? « Faire un véritable travail de pharmacien ou de préparateur reste la motivation numéro un… suivie du salaire. Chez Team Pharma, on offre la rémunération la plus haute dès l’embauche parce qu’on considère qu’un bac +6 doit être correctement rémunéré. En contrepartie, ils savent qu’ils vont faire des kilomètres en voiture, qu’ils vont couvrir deux, trois ou quatre départements et qu’ils devront rédiger des comptes rendus à leur responsable. »
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