Douze mois que les pharmaciens ont appris à vivre avec le virus et à adapter leur exercice professionnel à la lutte contre la pandémie. Pourtant, toutes les officines ne sont pas égales face à la crise. Comme en attestent les données du GIE GERS DATA pour 2020, si les pharmacies rurales semblent avoir le mieux résisté, d’autres au contraire ont été touchées de plein fouet par les deux confinements. Ces officines ont subi un ralentissement de leur trafic de 2 à 4 % pour celles dont le chiffre d'affaires est inférieur à 7 millions d'euros et jusqu'à 17 % pour celles d’un chiffre d’affaires supérieur. Pour ce début d'année, GERS DATA note une inflexion de la fréquentation à partir de la quatrième semaine. Les pharmacies de centres commerciaux ont ainsi enregistré une baisse de 18 % de leur trafic, contre -11 % en centre-ville, -9 % en périphérie et -8 % en milieu rural.
Mais les officines implantées dans les centres commerciaux ne sont pas seules. D'autres typologies de pharmacies sont également durement frappées par les restrictions. Plus de 300 officines, dont une bonne centaine située en haute montagne, rencontrent de graves difficultés liées à une baisse drastique de leur chiffre d’affaires. Quand elles ne sont pas tout simplement fermées en raison de mesures gouvernementales. Cela va ainsi faire près d'un an que la pharmacie de Michel*, située dans un grand aéroport français, n'accueille plus aucun client. Contrainte à la fermeture en mars lors du premier confinement, elle n'a pu rouvrir depuis. Si aucun collectif n'a été créé pour permettre aux pharmacies d'aéroport de faire front face à la crise, Michel sait que certaines souffrent. « Un ami pharmacien dans un autre aéroport n'a pas fermé, lui. Il m'a dit qu'il préférerait être à ma place qu'à la sienne. » Entre son installation et le début de la crise du Covid, Michel n'aura pu travailler dans son officine que pendant un an, mais il ne regrette pas son choix pour autant. « J'aime travailler ici, c'est un lieu qui est très agréable pour exercer. Ça va finir par repartir. Peut-être que dès cet été ça ira mieux, grâce à la vaccination », déclare-t-il avec optimisme.
Ambiance glaciale
Un optimisme que ne partagent pas ses confrères implantés dans des centres commerciaux de plus de 20 000 m2 dont la totalité des magasins non-alimentaires ont dû fermer le 31 janvier. C’est le cas de David Benamram, titulaire de la pharmacie du centre commercial des Quatre-Temps à la Défense (Paris). « Je coche toutes les cases. Entre le premier et le deuxième confinement qui avaient porté un coup d’arrêt brusque à mon activité, j’ai eu des difficultés à remonter la pente en raison du télétravail, 60 % de ma clientèle étant composée de salariés de bureaux. Et la dynamique de juillet n’a pas suffi. Alors, avec cette nouvelle mesure, la situation ne fait que s’aggraver », déplore le confrère qui a déjà perdu 50 % de son chiffre d’affaires sur l’année 2020. À Clermont-Ferrand, la croix verte de Stéphane Laporte reste la seule animation du centre commercial Jaude 1, aux côtés du boulanger et de l’épicier-traiteur. Ce titulaire qui perd 60 % de son chiffre d’affaires vit cette situation comme une punition. « Je subis une distorsion de concurrence, car les confrères installés dans des centres commerciaux avec des surfaces alimentaires ne connaissent pas mon sort. Pour eux, tout continue comme avant », dénonce-t-il.
L’ambiance glaciale de ces galeries commerciales désertées n’est pas pour remonter le moral de ces pharmaciens. Au Forum des Halles à Paris, Jean-Charles Rossi encaisse mal le coup. « Nous avons rempli toutes nos missions de service public, distribué des masques, effectué des campagnes de dépistage par tests antigéniques, installé une borne pour la téléconsultation, vacciné contre la grippe et nous sommes prêts à vacciner contre le Covid… Et pourtant, la fermeture des commerces non-alimentaires décrétée fin janvier a réduit de moitié notre chiffre d’affaires. Cela, bien entendu, ne figurait pas à notre prévisionnel », déclare le titulaire qui, en septembre, a déplacé sa pharmacie sur 1 550 m2 de surface de vente.
Jouer collectif
Pourtant, pas question pour ces pharmaciens de centres commerciaux de baisser le rideau. Mission de santé publique oblige, mais aussi la crainte de ne pas parvenir à redémarrer. Mais la tentation est là. Car les frais fixes continuent de courir et la trésorerie s’érode. Jusqu’à présent, les titulaires ont essuyé des refus auprès des bailleurs des centres commerciaux, hermétiques à toute demande de report de loyers. Michel, le pharmacien de l’aéroport, est finalement plus « chanceux ». « En restant fermé, je suis exonéré de loyer. Si la pharmacie était restée ouverte, elle serait dans un état critique aujourd’hui. Nous aurions eu un peu de monde au moment des grands départs et plus rien ensuite, nous aurions perdu trop d'argent », explique-t-il. Il bénéficie aussi d'aides venues de la société qui gère l'aéroport et d’un prêt garanti par l'État (PGE). Une dernière éventualité qu’écartent pour l’instant les trois titulaires de centres commerciaux interrogés. Quant aux soutiens de l’État, aucune ligne ne prévoit pour l’instant les officines des centres commerciaux, si ce n’est le chômage partiel auquel ces entreprises de 20 à 30 salariés recourent désormais.
L’État, et même la région Auvergne Rhône-Alpes, avaient promis en revanche de voler au secours des pharmacies de montagne pénalisées par la fermeture des remontées mécaniques. Près de deux semaines après ces annonces, Vladimir Poinsotte et son associé n’ont toujours rien obtenu pour leur officine des Gêts (Haute-Savoie), dont l’activité habituelle s’est réduite de 500 clients/jour à moins d’une centaine. « Apparemment, il faudrait être situés en stations de haute montagne et perdre 80 % de notre chiffre d’affaires pour être éligibles à ces aides. Or nous enregistrons une baisse de 62 % en janvier, et en février nous subirons vraisemblablement une chute de 68 % », résume-t-il.
En altitude comme en plaine, l'horizon n'est cependant pas totalement bouché. Les pharmaciens, qui se reconnaissent volontiers individualistes en temps ordinaire, ont eu l’idée de s’organiser en collectifs. C’est ainsi que sont nées l’association des pharmaciens de montagne et celle des pharmacies de centres commerciaux. Faisant le choix du jeu collectif, elles ont toutes deux pour objectif de défendre ces officines face aux pouvoirs publics.
*Le prénom a été modifié à la demande du titulaire.
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