Dix ans que les pharmaciens n’étaient pas descendus dans la rue. Le 21 novembre, la profession a battu à nouveau le pavé. Cette fois, par le truchement des étudiants, soutenus par les doyens des facultés de pharmacie et par les représentants des syndicats de titulaires et des groupements. Dans pas moins de onze villes, les futurs pharmaciens ont défilé sous une bannière appelant à la R3C (réforme du troisième cycle).
Au long des cortèges, ce mot d’ordre réclamant la mise en œuvre d’une réforme propre à la filière officine s’est décliné dans de nombreuses versions. Humoristiques, « Pharmacien, pas pharmachien », « Vous voulez du Doliprane, nous, on veut la réforme », parfois potaches comme ce serpent d'Asklépios-spermatozoïde surmonté d’une allusion à un « troisième cycle » ou cette pancarte indiquant « Sept ans d’abstinence », en référence à la durée des concertations sur cette réforme, alarmistes : « sans R3C, plus de professionnels de santé », « Pharmas négligés, profession en danger », désespérées « Combien d’années à redoubler pour avoir la R3C ? », ou encore « La réforme n’avance pas, bientôt sous Seresta », ou parfois même coercitives : « On veut une R3C, pas de réforme bâclée », « Pas de R3C, patients en danger », « Pharmacies désertes, facs abandonnées, pas de R3C » … Toutes traduisaient l’urgence exprimée par les étudiants d’appliquer la réforme du troisième cycle de leur cursus universitaire.
Plus de moyens, plus de pratique
« Cette réforme, les étudiants la réclament depuis sept ans et nous sommes toujours au point mort. Pendant ce temps, le métier de pharmacien n'a cessé d'évoluer », s'exaspère Lysa Da Silva, présidente de l'Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF), présente lors de la mobilisation parisienne. « Nous nous battons pour la qualité de notre formation, pour la qualité de notre diplôme », renchérissent, dans le cortège, certains étudiants. En d'autres termes, ces futurs diplômés qui se destinent à l'officine réclament les moyens matériels, c'est-à-dire une rémunération et une indemnisation forfaitaire d’hébergement (IFH), leur permettant d'effectuer au cours de ce cycle court (un an) un stage plus long (12 mois au lieu de 6 mois) et dans des territoires éloignés de leur faculté.
Ce stage tel qu’il est conçu pour ce troisième cycle aura pour avantage de relever deux défis. Les étudiants auront, d’une part, l’opportunité d’acquérir sur une période longue une formation pratique, notamment dans les nouvelles missions, et de s'approprier les clés de la communication avec le patient. De plus, cette immersion en milieu rural, ou dans des zones éloignées de leur faculté d’origine, ouvrira les étudiants à un exercice officinal sous de nouvelles perspectives.
Seuls volontaires pour aller dans les territoires
Face à l’ampleur de ces enjeux, le refus des gouvernements successifs de mettre en œuvre cette réforme laisse perplexe. L'immobilisme des services de l'État – ministère de la Santé et ministère de l'Enseignement supérieur - apparaît d’autant plus paradoxal que cette réforme est calquée sur le modèle du DES de médecine générale. À moins que l'État redoute que cette réforme ouvre les digues dans d'autres filières de santé, maïeutique, odontologie… Mais dans aucun autre cursus, le chantier n'est aussi avancé qu'en pharmacie. Cette inertie des ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur suscite l'incompréhension de Vincent Lisowski, président de la conférence des doyens de facultés de pharmacie et doyen de la pharmacie de Montpellier. « Ceci est d'autant plus remarquable qu'il s'agit de la seule filière de santé qui accepte et même réclame d'aller dans les territoires. Or on lui en refuse les moyens. » Les étudiants peuvent en effet se prévaloir du soutien de leurs doyens. Ceux-ci misent également sur l’introduction d’un statut de maître de stage universitaire (MSU) qui permettrait aux pharmaciens souhaitant recevoir un stagiaire d'obtenir une qualification adéquate. Cette perspective fait grincer des dents du côté des titulaires d’officine, mais elle aurait pour avantage de répartir les étudiants en zones sous-dotées. Et ainsi d’assurer un niveau de formation homogène sur le territoire.
Car, c’est à souligner, la génération montante réclame à cor et à cri une formation de qualité en adéquation avec les nouvelles pratiques officinales et l’avènement de nouvelles missions, dont celles prévues au PLFSS pour 2024 (renouvellement des ordonnances de trois mois pour les patients chroniques, délivrance d’antibiotiques pour l’angine et la cystite après TROD…). C’est dire si cette réforme détient, aussi, les clés de la réussite de la transition démographique. Car de la capacité de la R3C à convaincre les jeunes à s’engager dans des études de pharmacie dépendra la relève de demain, la présence de professionnels de santé compétents pour prendre en charge la santé des Français sur l’ensemble du territoire et in fine la pérennité du maillage pharmaceutique. Les projections estimant que 1 500 diplômés manqueront à l’appel dans cinq ou six ans, conséquence du manque d’inscrits aux deux dernières rentrées universitaires, ne font qu’ajouter aux inquiétudes.
Des officinaux fatigués
Les étudiants ont donc eu toutes les raisons de faire entendre leur exaspération dans les rues de Paris et de dix autres villes. D’ailleurs, le ras-le-bol qu’ils manifestent face à l’immobilisme de l’État déborde des amphis et semble partagé jusque derrière les comptoirs des pharmacies. « Les pharmaciens n'ont pas pu rejoindre le mouvement car ils sont au comptoir, ils ne peuvent s'éloigner de leur officine », constate, dans le cortège parisien, Laetitia Hible, présidente de l'association Pharma Système Qualité (PHSQ). Elle fait référence à la pénurie de personnels dans le réseau officinal : 12 000 personnes manquent à l'appel. « Les pharmaciens sont fatigués. Et inquiets pour l'avenir économique de leur officine. Les difficultés structurelles qui avaient été occultées par le Covid réapparaissent au grand jour. Il leur faut à nouveau de l'oxygène et il est important de leur redonner confiance car ils vont devoir donner la preuve à l'avenir de leur capacité à remplir leurs nouvelles missions, compliquées en l'état actuel à mettre en place. Or cet oxygène, ce sang neuf, ce sont aussi ces jeunes qui ont envie de travailler. »
Absents des défilés du 21 novembre, les officinaux ne sont donc pas moins conscients de l'urgence à faire aboutir certains chantiers, la R3C qui, par extension, les concerne tous, mais aussi les négociations du volet économique de la convention pharmaceutique qui devraient démarrer dans les prochaines semaines. Le ministre a fait savoir que la lettre de cadrage serait adressée au directeur général de l'assurance-maladie, une fois la mobilisation passée. Les présidents des deux syndicats représentatifs de la profession cachent mal leur impatience à négocier une revalorisation des honoraires et des actes pharmaceutiques suffisante pour garantir la pérennité de l'économie officinale dans un contexte chahuté par l'inflation et la hausse des coûts salariaux.
Un mouvement qui pourrait se durcir
Afin de mieux se faire entendre auprès des pouvoirs publics et alerter les patients sur les menaces qui pèsent sur la profession, le réseau officinal diffuse depuis le 21 novembre une pétition en ligne reprenant l'intitulé de la manifestation des étudiants « Se mobiliser aujourd'hui, pour que la pharmacie de proximité existe encore demain ». Une semaine plus tard, cette pétition a récolté plus de 27 000 contributions. Signe que les thématiques évoquées, accès aux soins, désertification médicale et pénuries de médicaments fédèrent pharmaciens d'officine et patients. Ce constat conforte les syndicats à ne pas pénaliser la population par une fermeture des officines comme en 2014. « Au contraire, nous voulons avoir les patients avec nous », souligne Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Tandis que Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), appelle les pharmaciens « à soutenir ce mouvement ». Les instances de la profession se réservent toutefois l'éventualité de faire monter le ton. Et n'excluent pas d'autres actions de mobilisation courant décembre et en début d'année 2024. En fonction de la tournure que prendront les négociations avec l'assurance-maladie.
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