Michel-Edouard Leclerc n’est pas le seul à remplir ses paniers anti-inflation. Giphar, Well&Well, Lafayette, Aprium, ou encore LeaderSanté, pour ne citer que ces groupements, se préoccupent eux aussi du pouvoir d’achat des Français. Une sélection de produits d’hygiène, cosmétiques, produits bébés et autres articles de soins à prix constants constitue la bouée qui permettra de maintenir le flux de clients à flot et soigner l’image « prix » de l’officine. Giphar proposera de mai à août un panier de produits du quotidien à prix bloqués, composé à partir de marques nationales et de marque propre.
Pas tous dans le même panier
Reprenant les codes de la GMS, le groupement communiquera sur ce panier via des vidéos et un balisage en vitrine et des macarons sur les produits concernés. Une initiative qui avait été prise dès la rentrée de septembre par Pharmabest, tandis que Lafayette Pharmacie lançait une opération « Marge 0 » sur des produits du quotidien de parapharmacie « best sellers ».
Au printemps, Aprium et d'autres groupements confectionnaient eux aussi leur panier anti-inflation. Une formule qui laisse, en revanche, dubitatif Samuel Tordjman, directeur marketing de LeaderSanté : « Ces paniers anti-inflation sont limités dans le temps, ne sont-ils que des outils de communication ? » Il leur préfère une sélection régulière d'une vingtaine de produits à prix anti-inflation et signalés en tant que tels pendant une durée six semaines. « L'intérêt est d'offrir aux consommateurs des produits de saison à prix abordables. Un antipoux à prix attractif, c'est à la rentrée qu'il faut le proposer et non en plein mois d'août », expose-t-il, convenant que la réduction de marge induite par cette opération demande un effort de la part du laboratoire et du pharmacien. « Celle-ci sera compensée par le volume, grâce notamment à une vision plus globale que le consommateur aura des offres de l'officine et, in fine, par sa fidélisation », ajoute-t-il cependant. Les statistiques enregistrées par le groupement tendent à l'attester : 65 % de ventes (sell-out) supplémentaires ont été enregistrées sur les offres du flyer promotionnel de l'automne dernier par rapport à celles de la même période en 2021.
Soigner le pouvoir d'achat par la MDD
Ces différentes solutions illustrent le dilemme des groupements et, au-delà, de tout pharmacien. Car cette année l’issue des négociations avec les laboratoires leur laisse moins que jamais les coudées franches pour adapter leurs pratiques commerciales à la baisse du pouvoir d'achat de leurs clients. En effet, alors que les laboratoires ont, en moyenne, augmenté leurs tarifs de 5 à 10 %, les pharmaciens n'ont pratiquement aucune marge de manœuvre pour maintenir la stabilité des prix dans leur point de vente. Si ce n'est propulser la marque propre de leur groupement sur les devants de la scène.
C'est ce que propose Well&Well qui s'engage auprès de ses adhérents à bloquer les prix de ses produits à la marque. Nombre de groupements observent, du reste, que leurs fournisseurs partenaires sont curieusement parvenus, eux, à contenir la hausse de leurs tarifs. « Pour la majorité de nos produits à la marque, tels que gels douche ou lingettes, les prix facing n'ont pas bougé », affirme Chris Panaye, responsable marketing & développement commercial de la MDD chez LeaderSanté, indiquant que ces tarifs restent ainsi de 20 à 30 % inférieurs aux marques nationales. Signe des temps, les consommateurs sont réceptifs : LeaderSanté (1) a ainsi enregistré une croissance 3,5 fois de ses ventes de MDD par rapport à celles des marques nationales. Dans ce contexte, les marques propres restent donc la valeur refuge pour tempérer les effets de l’inflation auprès du consommateur. Et éviter ainsi la fuite vers la GMS des patients vaillamment reconquis pendant la crise sanitaire pour les achats de parapharmacie.
Il faut sauver la marge
Car les Français y regardent désormais à deux fois avant de dépenser dans ce contexte de pouvoir d’achat dégradé. Cela vaut également pour le médicament sans ordonnance. Alors que l’inflation s’affichait à 5,9 % en avril, selon l’INSEE, les résultats d’une étude IFOP pour Biogaran (2) démontrent que les patients sont plus attentifs au prix des médicaments sans ordonnance (70 %), qu’à leur marque (38 %). « 88 % se disent prêts à privilégier des produits de qualité équivalente aux grandes marques, mais à prix inférieur », note le Laboratoire Biogaran. Fort de cet enseignement, il vient de lancer une campagne « pouvoir d'achat » qui met l'accent sur sa gamme Conseil et ses « 60 produits proposés à prix serrés dans les pharmacies », couvrant la majorité des maux du quotidien.
Scandalisée par une flambée des prix qu'elle chiffre jusqu'à 44 % pour certains produits de première nécessité (hygiène intime, produits oculaires, couches, lait bébé…), Audrey Lecocq, fondatrice de la plateforme Pharmazon, s'apprête, elle aussi, à lancer des opérations anti-inflation : livraison gratuite, bons de réduction, french days et, plus original, sponsoring de l’émission « Le magazine de la santé ». « Une évidence pour Pharmazon puisque cette émission diffuse des bonnes pratiques en matière de soins. » La fondatrice de la plateforme espère également que l’État agira rapidement et que des prix plafonds seront fixés sur des produits dits de première nécessité. « Nous ne pouvons plus continuer à laisser les distributeurs et les consommateurs porter à eux seuls la charge des hausses tarifaires, nous mettons en place des « patchs » pour enrayer la spirale inflationniste, mais nous ne pourrons pas tenir des mois avec ce fonctionnement. Il faut que toute la chaîne, de la fabrication à la vente au détail, se mobilise et accepte de rogner sur ses marges pour servir la santé des Français. »
Difficile à croire cependant que les pharmaciens la suivront sur ce dernier point tant la préservation de la marge officinale est aujourd'hui un sujet crucial pour les titulaires. Ceux-ci sont d'ailleurs fortement incités par leurs experts-comptables à répercuter la hausse des prix – et de manière plus globale la hausse des coûts - sur les prix de vente. Car, comme le mettait en garde récemment Joël Lecoeur, président du réseau CGP, lors de la présentation des statistiques de la profession, « dans le cas contraire les effets seront catastrophiques pour le compte d'exploitation » .
(1) D'après une conférence de presse LeaderSanté.
(2) Menée en ligne du 5 au 11 avril 2023 auprès de 2 005 Français âgés de 18 ans et plus.
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