La crise sanitaire a bousculé tous les repères. Jusqu’aux analyses des experts-comptables. La fameuse « prime à la taille » qui prévalait depuis plusieurs années pour expliquer les disparités de croissance et de rentabilité entre officines semble avoir disparu. Les bilans de l’année écoulée ont gommé cet axiome qui voulait que la santé économique d’une officine soit liée à l’importance de son chiffre d’affaires. Pour la première fois depuis six ans, les pharmacies d’un chiffre d’affaires de moins d’1 million d’euros, et celles entre 1 million et 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires renouent avec la croissance.
De même, toujours selon les statistiques présentées le 26 mars par le réseau d’experts-comptables CGP*, les pharmacies rurales et celles situées dans les gros bourgs affichent, avec respectivement +3,4 % et + 3,9 %, une performance de leur chiffre d’affaires bien supérieure à celle de leurs homologues des centres commerciaux (+ 2,4 %) et des centres urbains (+ 1, 20 %). Si ces dernières catégories dites « pharmacies de flux » ont le plus souffert des confinements, voire pour certaines des fermetures des commerces de leur environnement immédiat, elles n’en tirent pas moins leur épingle du jeu, avec une croissance supérieure à celle réalisée en 2018.
Au final, on se souviendra de 2020 comme d’une année record en termes d’activité pour l’ensemble du réseau officinal. « Avec une hausse du chiffre d’affaires (ventes et prestations) de 2,97 % à 1,936 million d’euros en moyenne, c’est la meilleure progression depuis quinze ans », constate Bastien Legrand, expert-comptable du cabinet FCC à Lille et membre du bureau du réseau CGP. Une réserve toutefois, « cette moyenne cache de grandes disparités d’une pharmacie à l’autre, un tiers des officines voit son chiffre d’affaires diminuer en 2020 », conviennent les experts-comptables.
Effets dopants
Très chahutées au cours des douze derniers mois, les officines ont vécu une année en dents de scie, avec une baisse vertigineuse, - 5,4 %, de l’activité en avril, qui a succédé à la hausse spectaculaire de la première quinzaine de mars 2020. Les pharmacies avaient alors vu grimper leur chiffre d’affaires de 27 % en moyenne, certaines doublant même leur activité à quelques jours du premier confinement. Comme en juin, le dernier trimestre a été marqué par un « effet rattrapage ». Les prescriptions hospitalières, en hausse de 5 %, et les services tels que le vaccin grippe et les tests antigéniques ne sont pas étrangers à ce phénomène. « Ils ont contribué à ramener du chiffre d’affaires supplémentaire en fin d’exercice », note Bastien Legrand, les courbes des bilans se relevant à + 6,05 % pour le seul mois de décembre.
L’élément prépondérant reste cependant la progression des médicaments chers au sein de l’activité officinale. 2020 n’a pas échappé à cette vague de fond observée depuis six ans. Quoique moins importante en valeur relative que les autres années (13,1 % contre 14,1 % en 2019), la hausse des ventes de ces médicaments n’en est pas moins significative pour l’économie officinale. Ces spécialités dont le prix excède 150 euros pèsent près de 409 millions d’euros et constituent désormais 29,4 % du chiffre d’affaires du médicament remboursable (TVA 2,1 %).
Mais cette embellie artificielle du chiffre d’affaires est aussi un talon d’Achille pour l’entreprise officinale. Car sous l’effet de ces précieuses ventes, le taux de marge brute globale en valeur relative baisse de 31,15 % en 2019 à 30,84 % un an plus tard. Heureusement, en valeur absolue, l’officine peut encore sauver la mise en 2020 et affiche une marge brute globale à 597 000 euros, excédant de 11 400 euros l’exercice précédent.
Une réforme à maturité
Dans ce contexte, et alors que la marge commerciale sur les ventes marque un nouveau recul de 7,23 points, les honoraires apparaissent comme l’élément régulateur majeur. Jouant pleinement leur rôle d’amortisseur de la baisse des prix des médicaments remboursables (2,61 %) et des volumes (3,16 %), ils constituent en effet un élément clé de la rémunération officinale. « Grâce aux honoraires qui s’élèvent désormais à 196 000 euros, soit une hausse de 23,7 % en un an, le segment des produits de TVA à 2,1 % représentent le segment qui a le plus progressé, après ceux dont la TVA est à 5,5 % », analyse Bastien Legrand, ajoutant que les honoraires constituent désormais 60 % de la rémunération officinale sur le médicament remboursable et 33 % sur la marge brute globale toutes activités confondues.
L’effet stabilisateur des honoraires semble avoir d’autant mieux joué que l’officine a dû faire face à la progression de deux postes de dépenses importants. Elle a ainsi enregistré une hausse de 3,47 % des frais de personnels, les titulaires ayant en moyenne déboursé 7 000 euros de plus pour leurs équipes en 2020 qu’en 2019. « Les salariés de l’officine ont été très sollicités par la gestion de la crise sanitaire et mobilisés dans les nouvelles missions », relève Bastien Legrand pour expliquer — entre autres — l’évolution de ce poste de dépenses. De fait, près de six titulaires sur dix ont versé une prime « Covid » à leurs équipes. Autres charges en hausse, le loyer qui subit une augmentation de 3,59 % et pèse en moyenne 27 700 euros, soit près d’un tiers des frais généraux.
Rien d’étonnant donc que l’excédent brut d’exploitation (EBE) ramené au chiffre d’affaires soit en recul à 12,30 % (12,59 % en 2019). Il en résulte cependant en valeur absolue un EBE à 238 000 euros, contre 236 700 euros l’an dernier. Le modèle économique de l’officine a par conséquent fait preuve de ses capacités de résilience en 2020. Il lui reste à prouver qu’il est capable de tenir sur la durée. Comme le soulignent les experts CGP, « l’année 2021 sera l’an 1 de l’avenant 11 de la convention pharmaceutique, avec un périmètre constant de rémunération car les tranches de MDL (marges dégressives lissées) et les honoraires unitaires seront pour la première fois identiques à l’année écoulée ». Reste donc à vérifier que, arrivée à maturité, cette nouvelle rémunération à l’honoraire pourra maintenir la performance économique dans les mois à venir.
*Sur un panel de 1 783 officines, dont 34 % situées en zone rurale, 33 % en zone urbaine, 25 % dans des gros bourgs et 8 % en zone commerciale. 50 % de cet échantillon sont composés par des officines d’un chiffre d’affaires entre 1 et 2 millions d’euros, 35 % entre 2 et 4 millions, 14 % en deçà d’1 million et 4 % d’un chiffre d’affaires supérieur à 4 millions. 55 % de ces titulaires exercent en SEL.
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