Médecins surbookés, déserts médicaux, d’un côté, multiplications des missions, de l’autre : le pharmacien apparaît aujourd’hui de plus en plus comme un interlocuteur privilégié pour les patients. L’officine est même bien souvent l’une des premières étapes du parcours de soins. Dans un contexte de transition numérique, les outils digitaux et applications de suivi patient sont synonymes de gain de temps pour le titulaire et son équipe, alors que la liste de missions n’a eu de cesse de s’allonger ces dernières années. De plus en plus de solutions sont lancées sur le marché pour l’assister dans ses tâches et le conseil ne fait pas exception.
Les outils numériques vont faire office d’assistant pour le pharmacien
Le LGO, premier outil de conseil en pharmacie
Ces outils numériques d’aides au conseil s’adressent avant tout aux titulaires et, par rebond, aux patients. Depuis plusieurs années déjà, les logiciels de gestion d’officine (LGO) sont enrichis des bases de données médicamenteuses : Vidal, Claude Bernard ou Thériaque. Régulièrement actualisées, elles permettent aux équipes officinales « de suivre plus efficacement les dossiers pharmaceutiques des patients, de permettre à l’équipe officinale d’aller plus vite dans l’analyse clinique et in fine de fournir des recommandations et des informations plus précises sur les médicaments et les interactions médicamenteuses », décrit Thomas Brunet, pharmacien titulaire et fondateur de l’application, Apodis. « Nous sommes humains, et nous ne pouvons pas nous souvenir de tout », rappelle-t-il. C’est donc bien là l’un des premiers enjeux du numérique : venir en support pour combler d’éventuelles lacunes, afin d’être au final plus pertinent auprès du patient.
Les outils numériques vont faire office d’assistant pour le pharmacien. Il pourra, ainsi, personnaliser au mieux le conseil et l’adapter au plus proche des besoins spécifiques en croisant les données de santé et les données médicamenteuses, mais aussi en créant des profils patients détaillés, incluant les antécédents médicaux, les allergies, ses médications. Bref, toute data susceptible d’avoir une incidence sur le conseil prodigué par le professionnel. Une plateforme comme Bimedoc, par exemple, assure cette aide à la décision médicale en permettant aux pharmaciens de recueillir et de combiner des informations sur les patients pour l’accompagnement pharmaceutique.
Bon usage et observance
La Société Francophone des Sciences Pharmaceutiques Officinales (SFSPO) a développé l’Arbre Conseils sur le mal de tête, en partenariat avec Sanofi. Baptisé « Conseil Mal de tête », il permet, face à un patient souffrant de douleur, d'identifier la situation, de délivrer une prescription médicale facultative (PMF) et de proposer une orientation adaptée. Un autre service, l’application Apodis, développée par et pour les pharmaciens, permet d’accompagner le patient dans le bon usage et l’observance de son traitement tout en prodiguant des conseils au comptoir. Par exemple, sur la plateforme, qui réunit tous les patients d’une pharmacie, il est possible d’identifier tous ceux de 25, 45 ans et 65 ans devant faire un rappel du vaccin DTP. Si l’un d’entre eux vient en pharmacie et fournit sa carte vitale, un message va s’afficher indiquant qu’il est éligible au rappel. « C’est là que le pharmacien intervient pour sensibiliser la personne sur l’importance de cette thématique, et, le cas échéant, enchaîner sur une vaccination », décrit Thomas Brunet.
Le titulaire, souvent tributaire de son LGO, peut parfois ne pas en maîtriser toutes les fonctionnalités, encore moins exploiter les données qu'il contient. »
Hélène de Courteix, fondatrice de la société de conseil, La Pharmacie Digitale
Les Défis de la Numérisation Pharmaceutique
Prometteur ! Seulement, la transition numérique peut nécessiter des investissements importants en termes d'infrastructures et de formation du personnel. Un dernier point indispensable pour fournir les compétences nécessaires aux pharmaciens pour tirer pleinement parti des avantages offerts par le digital. Car si les outils comme les LGO, les applications et les plateformes apportent, certes, une valeur ajoutée pour résoudre les points problématiques au comptoir, encore faut-il qu’ils soient convenablement maniés, voire utilisés tout court. « Le titulaire, souvent tributaire de son LGO, peut parfois ne pas en maîtriser toutes les fonctionnalités, encore moins exploiter les données qu'il contient », prévient Hélène de Courteix, fondatrice de la société de conseil, La Pharmacie Digitale. Le constat est d’autant plus vrai pour les applications tierces qui, contrairement au LGO, ne font pas partie intégrante de la vie à l’officine et dont l'adoption est freinée par certains éditeurs de LGO. Ceux-ci « limitent l'interopérabilité en refusant certaines API (une interface qui connecte des logiciels, des services et des applications aux environnements différents afin qu’ils puissent connecter leurs données) ».
Protection des données oblige
Dans un monde de plus en plus numérisé, la donnée, c’est l’or noir. Et pour assurer des conseils toujours plus personnalisés et pertinents, il n’y a pas le choix, il faut analyser. Toutefois, ladite analyse présente quelques défis. Il s’agit tout d’abord de la protection des données médicales des patients. Elle reste une préoccupation majeure car il est essentiel de garantir la sécurité et la confidentialité de ces informations sensibles. Sur ce point, les fournisseurs de services sont tenus de stocker les données de santé auprès d’hébergeurs de données de santé (HDS). Cette certification, qui concerne tous les organismes publics ou privés qui hébergent, exploitent un système d’information de santé ou réalisent des sauvegardes pour un établissement de santé ou un tiers de santé, est normalement synonyme de sécurité. Pourtant, malgré des dispositifs de sécurité renforcés, notamment issus de l’ISO 27001, la norme la plus connue au monde en matière de systèmes de management de la sécurité de l’information, les HDS ne sont pas infaillibles. En témoigne l’attaque par le groupe de rançongiciels Lockbit qui a touché l’entreprise de services numériques Coaxis, pourtant certifiée HDS.
Il faudra d’abord travailler sur des modèles qui, contrairement à ChatGPT, fonctionnent en vase clos et sont entraînés sur des sources données, fiables, protégées et validées par la profession.
Les modèles d’IA pour du conseil augmenté
Il y a fort à parier que cette question de la gestion, du stockage et de l’analyse de ces données de santé tendra à se complexifier à l’avenir. L’approche actuelle de ces outils numériques repose pour l’essentiel sur l’algorithmie, soit la description d'étapes visant à aboutir à un résultat final. Pour la suite, les modèles d'intelligence artificielle (IA) offrent une perspective intéressante dans le domaine du conseil pharmaceutique. Et ce en proposant des parcours et des recommandations toujours plus personnalisés, grâce à une analyse approfondie des données que seule autorise l’intelligence artificielle. À quand un grand modèle de langage (LLM), sur le modèle ChatGPT, pour le pharmacien ? Une perspective qui, pour l’heure, selon les termes de Thomas Brunet, est « un fort potentiel qui reste encore largement empirique ». D’après son analyse, il faudra d’abord travailler sur des modèles qui, contrairement à ChatGPT, fonctionnent en vase clos et sont entraînés sur des sources données, fiables, protégées et validées par la profession. Mais Thomas Brunet ne doute pas que des healthtechs s’empareront très vite du sujet.
Les usages évoluent
Les consommateurs ont désormais accès à de nombreux médias qui assurent un service de conseil tendant à se substituer au pharmacien, notamment en ce qui concerne les produits de parapharmacies. En témoignent les nombreux influenceurs, coach santé sur Instagram et TikTok qui font la promotion de divers produits/cosmétiques, sans formation aucune, et parfois au mépris des risques. Dans un autre registre, ce sont aussi les applications mobiles de scan, qui décryptent la composition des produits de soin cosmétiques achetés en magasin.
Comment, alors, valoriser le rôle de l’officine dans ce contexte ? « Il s'agit d'un équilibre délicat entre la préservation de la santé publique, qui est le rôle essentiel du pharmacien, et les attentes des consommateurs qui parfois estiment que certaines questions ne relèvent pas de la compétence du titulaire. Cette frontière floue est souvent entretenue par des discours marketing », analyse Hélène de Courteix pour qui le pharmacien est un peu responsable de cette situation. « Nous ne pouvons pas prétendre d'un côté avoir des remèdes pour la gueule de bois et les vendre en pharmacie alors qu’ils ne fonctionnent pas, tout en prétendant ensuite avoir les compétences pour conseiller sur ce qui est bon ou mauvais pour la santé », pointe-t-elle. De son avis, c’est bien à travers la qualité du conseil et le professionnalisme dans la pratique du métier que le professionnel se démarquera. Les obligations de développement professionnel continu (DPC) tendent par exemple à uniformiser la qualité du service afin de rendre les pratiques plus cohérentes et conformes aux attentes des clients.
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