LA RÉDACTION, par l’Ordre des pharmaciens, d’un document sur l’indépendance professionnelle est à saluer car le sujet est d’importance. Il est vrai que, dans un climat de doute constant par rapport au mercantilisme de quelques industriels et de suspicion vis-à-vis d’un système sanitaire français quelque peu corrompu, rappeler quelques exigences déontologiques de base s’impose. Nos instances professionnelles ont la tâche de nous redire inlassablement, comme l’article R 4235-3 l’énonce clairement, que le pharmacien, quel que soit son secteur d’activité, « doit veiller à préserver la liberté de son jugement professionnel dans l’exercice de ses fonctions » et « s’abstenir de tout fait ou manifestation de nature à déconsidérer la profession ».
Rappel nécessaire, mais est-ce que cela suffira pour remettre de l’ordre dans nos pratiques et dans nos rangs ? En se limitant au secteur officinal, nous pouvons illustrer la situation par quelques exemples. Qui n’a pas reçu un représentant venant proposer des produits, souvent douteux quant à leur efficacité thérapeutique, arguant du plan de communication de son laboratoire, agrémenté d’un « vu à la télé » incontournable. Comment se fait-il que notre profession continue de supporter ce genre de discours ? Autre situation, lors de salons professionnels, où les ateliers-débats organisés pour promouvoir des stratégies plus rémunératrices ne manquent pas. Ainsi celui-ci : « Comprendre la personnalité du patient pour développer vos ventes ». Le patient n’est-il pas explicitement considéré principalement comme une ressource à exploiter plutôt que comme une personne venant nous demander conseil ? Ou encore, à côté des laboratoires qui nous envahissent et viennent dénaturer nos vitrines, évoquons la politique de certains groupements qui imposent leurs gammes de produits conseil à promouvoir avec des quantités à ne pas discuter et une stratégie commerciale à respecter. Que devient l’équipe officinale chargée d’accompagner les patients dans leur traitement ? Ne tend-elle pas à disparaître pour mettre en avant une enseigne et un style ?
Même s’il faut prendre en compte le contexte économique actuel, ne devons-nous pas cependant nous poser la question : ne subissons-nous pas davantage que nous ne prenons d’initiatives ? Notre indépendance et notre liberté d’entreprendre ne sont-elles pas mises à mal ? Face à ces questions, notre code de déontologie suffit-il pour nous orienter ? Ses règles et ses devoirs déterminent un espace intérieur rassurant pour nos professions. Mais la « liberté de jugement » passe également par le filtre du discernement éthique. En effet la démarche éthique prend en compte la complexité du réel ; elle nous fait réfléchir et nous aide à quitter les systèmes d’influence pour prendre une décision plus libre au lieu de la subir. De l’engagement personnel qui en découle, naît une responsabilité pleine et entière, prenant véritablement en compte les conséquences de nos choix.
Ce passage obligé par une initiation à la réflexion éthique avait été proposé en 2003 dans les recommandations du rapport « Éthique et professions de santé » rédigé par Alain Cordier, ancien directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et créateur de l’espace éthique de l’APHP. Il y faisait mention de la nécessité absolue d’intégrer l’éthique dans la formation initiale des différentes professions de santé. Ne pourrait-on pas envisager que des formations soient organisées tout au long du cursus universitaire, avec présentations de cas réels, favorisant ainsi confrontations et questionnements ?
Respecter notre déontologie et pratiquer un discernement éthique sont indissociables pour affirmer une véritable indépendance professionnelle. Ils nous aident aussi à mieux concilier l’aspect individuel de notre exercice avec la dimension collective de notre profession. Mais cette cohésion ne commence-t-elle pas à être mise à mal aujourd’hui… ? Aussi il devient urgent de la reconsidérer afin d’assurer notre avenir.
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