Bien que l’une des actualités du moment soit centrée sur les ruptures d’approvisionnements en médicament – près de 5 000 déclarées l’année dernière – le rôle des exportations parallèles n’est que rarement évoqué et encore moins analysé parmi les facteurs responsables de ce fléau. Cependant, un tiers des ruptures serait étroitement lié à des compétitions entre marchés, selon Sylvain Bouton, directeur général Théa Pharma France.
Une réforme profonde de la législation pharmaceutique, dénommée « paquet pharmaceutique (1), a pourtant été annoncée par la Commission européenne le 26 avril 2023, son objectif étant de rendre les médicaments plus disponibles, plus accessibles et plus abordables. Toutefois, aucune mention n’est faite de la problématique des exportations parallèles. Un oubli essentiel à l’origine de nombreuses difficultés, issues des effets pervers de la libre circulation des médicaments au sein de l’Union européenne.
Selon Sylvain Bouton, les conséquences délétères des exportations parallèles sont multiples et bien connues : pénuries dans les pays où les prix sont les plus bas, chaînes de distribution illisible, perte de traçabilité par les laboratoires, absence de transparence sur les prix ; sans oublier les retards, voire l’absence, de lancements de médicaments innovants dans les pays « exportateurs ».
Des différences de prix parfois considérables d’un pays à l’autre
Les seuls gagnants sont les importateurs et autres « shortliners » qui encaissent les différences de prix.
Quelques chiffres apparaissent particulièrement éclairants.
C’est ainsi que Sylvain Bouton cite l’exemple de l’un des collyres antiglaucomateux de son laboratoire vendu 7,50 euros en France, contre 10 euros en Espagne et 13 euros en Allemagne. Au moins 5 % des volumes sont expédiés en Allemagne où 40 % des volumes proviennent d’exportations parallèles (2).
La France est un des pays où les prix des médicaments sont parmi les plus bas. Baisses des prix aidant, les écarts se creusent de plus en plus avec les autres pays. À titre d’exemple, le prix moyen d’un collyre atteint 4,44 euros, soit – 12 % depuis 2010 en France, contre 6,85 euros en Italie, 8,43 euros en Suisse et 10,49 euros en Allemagne. Une étude suédoise de 2020 a montré que les écarts de prix existant entre les pays de l’Union européenne peuvent aller jusqu’à 140 %.
La question est donc de savoir s’il convient de conserver la libre circulation totale des médicaments
Les exportations parallèles, qui sont en croissance constante ces dernières années, représentaient environ 6,3 milliards d’euros en 2021, soit de l’ordre de 5 % du marché européen (8 % des médicaments vendus en Allemagne et 25 % au Danemark proviennent d’exportations parallèles !). Situation qui ne profite, in fine, ni aux laboratoires (manque à gagner et difficulté de prédictibilité des volumes de fabrication), ni aux officines, ni aux patients, ni même aux systèmes de santé (relevant de la souveraineté des État). Les seuls gagnants sont les importateurs et autres « shortliners » qui encaissent les différences de prix.
Cette situation résulte d’un paradoxe : la circulation des médicaments est soumise à des mesures très libérales alors même que le système de prise en charge est très administré.
Inverser la problématique ?
La question est donc de savoir s’il convient de conserver la libre circulation totale des médicaments alors que leurs prix sont administrés par chaque pays et qu’il existe actuellement pour ces produits des disparités politiques et économiques majeures d’un État à l’autre.
Pour Sylvain Bouton, il conviendrait peut-être de raisonner à l’inverse de la situation actuelle. C’est-à-dire de faire en sorte que la circulation des médicaments soit très encadrée, avec la possibilité de faciliter temporairement cette dernière en cas de pénurie, sous l’égide d’une coordination au niveau européen.
D’après une séance de l’Académie de pharmacie du 7 février dernier.
(1) Simplifications administratives, raccourcissement des délais d’évaluations, incitations à commercialiser dans un délai court dans les 27 pays de l’UE, obligations renforcées de notifier les pénuries et retraits par les laboratoires, mesures sur l’étiquetage et l’information du patient.
(2) À noter qu’en Allemagne, les pharmaciens d’officine sont obligés par les caisses d’assurance-maladie d’importer au moins 5 % de leurs stocks.
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