La question fait débat depuis 1976, date du premier changement d’heure en France. Mais la 84e chronorupture fixée au 25 mars prochain pourrait-elle être la dernière, après la résolution votée le 8 février par 384 députés européens, contre 153 ?
La Commission de Bruxelles va sans doute prendre son temps, mais la cause semble déjà entendue. « Ça coûte plus cher de changer d’heure que de ne pas en changer », estime le Dr Damien Davenne, chronobiologiste (Université de Caen, COMETE). L’argument économique invoqué historiquement a fait long feu : en France, la dernière étude réalisée conjointement par le ministère de l’Industrie, EDF et l’ADEME chiffrait l’économie à 0,015 % de la consommation énergétique en 2014, une proportion en baisse régulière avec la généralisation des lampes fluorescentes, des LED et l’amélioration de l’efficacité énergétique. Commentaire de la Commission européenne : « Des économies difficiles à déterminer et, en tout cas, relativement limitées. »
Le sujet doit désormais être arbitré à partir des données médicales et sociales. « Bien sûr, note le neurobiologiste Jorge Mendoza (Institut de neurosciences de Strasbourg), la chronométrie du système nerveux central est parfaitement en capacité de gérer deux fois par an un changement d’une heure. Chez 15 à 20 % des gens le nouveau réglage se fait en l’espace d’une journée, pour 50 % deux ou trois jours seront suffisants et les plus sensibles auront besoin d’une semaine de transition. Pour autant, il serait médicalement préférable de maintenir la même heure tout au long de l’année. »
« Même si les effets négatifs paraissent limités, il n’y a en effet que du négatif à changer d’heure deux fois par an, comme le montrent toutes les études, confirme le Dr Joëlle Adrien, présidente de l’Institut national du sommeil et de la vigilance. Du négatif qui impacte plus ou moins la santé des personnes selon leur chronotype et leur vulnérabilité. »
« Le changement d’heure est une aberration biologique d’autant plus néfaste qu’il est cyclique et se répète deux fois chaque année, s’emporte le Dr Marc Schwob, auteur des " Rythmes du corps : chronobiologie de l’alimentation, du sommeil, de la santé" (Odile Jacob).
Jet-lag sociétal massif
Le mini-Jet-lag lié au changement d’heure serait bénin s’il ne survenait dans un contexte de Jet-lag sociétal massif sur lequel les chronobiologistes lancent l’alerte : « Le manque de sommeil dans la population générale, notamment chez les jeunes, est considéré par les spécialistes comme une véritable épidémie qui frappe de nombreux pays, explique le Dr Adrien. Cette dette de sommeil impacte le fonctionnement diurne en réduisant la vigilance, les capacités d’attention et de concentration, l’apprentissage et la performance. À plus long terme, elle augmente la consommation d’excitants, les risques de surpoids et de maladie, ainsi que la vulnérabilité au stress, aux troubles anxio-dépressifs et aux addictions. »
« Dans ce contexte qui affecte massivement la cognition et la physiologie, observe Jorge Mendoza, il est très difficile d’isoler le paramètre du changement horaire, d’autant plus qu’interviennent des facteurs liés à la saisonnalité et aux variations de lumière qu’elle entraîne. » Ce qui n’est pas douteux, c’est que « l’horloge biologique est de moins en moins respectée et c’est cette évolution qui est dramatique, souligne Claire Lecomte. Des campagnes pour l’alimentation sont régulièrement lancées, alors qu’aucune sensibilisation du public n’est faite pour lutter contre les perturbateurs endocriniens que sont les jet-lags. »
La chronobiologie est une spécialité récente dont « les avancées ne sont prises en considération ni par les pouvoirs publics, ni par les acteurs économiques, ni même par le système médical, qui ne soucie pas plus de chronothérapie que de chronotypologie », déplore le Dr Damien Davenne. Bref, selon les spécialistes, avec le changement d’heure, on marche sur la tête : c’est à la physiologie de se caler sur les horaires publics, alors que les montres devraient se régler sur l’horloge biologique, en lien avec le rythme circadien. « C’est ballot », conclut (provisoirement) le Dr Davenne.
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