DIRIGÉS par des médecins ou des pharmaciens biologistes, les 8 000 laboratoires de biologie médicale français constituent une exception dans le paysage de la biologie médicale européenne, de plus en plus dominée par quelques grands groupes et, surtout, beaucoup plus éloignée des malades qu’en France : dans de nombreux pays, les laboratoires travaillent directement avec les médecins traitants, lesquels effectuent eux-mêmes la plupart des prélèvements. En 2006, un groupe de laboratoires international basé à Bruxelles, Labco, a saisi la Commission européenne au motif que la France interdisait à des non-biologistes de détenir plus de 25 % du capital des laboratoires, mais aussi à toute personne, biologiste ou non, de posséder des parts dans plus de deux laboratoires. La Commission a donc sommé la France d’adapter sa législation sur ces deux points. Celle-ci ne l’ayant finalement pas fait, la Commission a transmis l’affaire à la Cour de justice européenne, au motif de la violation, par la France, de l’article 43 du traité européen relatif à la liberté d’établissement.
Arguments de santé publique.
L’avocat général auprès de la Cour, Paolo Mengozzi, vient de rendre un avis en 240 articles, dans lequel il suggère à la Cour de donner partiellement raison aux deux parties. En se fondant sur les arguments et la jurisprudence née de l’affaire opposant, en 2009, l’Italie à la Commission sur le capital des pharmacies, la France a démontré à la Cour que la règle des 25 % était liée à des impératifs de protection de la santé, impératifs qui priment donc sur le respect de l’article 43. En garantissant l’autonomie des laboratoires par rapport à la domination de groupes financiers, a fait valoir la France, on s’assure que le choix de leurs actes est dicté par des arguments thérapeutiques et non pas économiques.
L’avocat général a accepté cette argumentation, relevant d’ailleurs l’« absolue similitude entre les activités des laboratoires et des pharmaciens » en terme de santé. Il a admis, de même, que des laboratoires dictés principalement par le souci de rentabilité pourraient favoriser « la surconsommation et donc le gaspillage des ressources affectées à la santé », et considéré que la règle des 25 % était « proportionnée à l’objectif recherché ». En revanche, M. Mengozzi considère que l’interdiction de détenir des parts dans plus de deux laboratoires, par exemple via les sociétés d’exercice libérales, est une mesure disproportionnée, comme, ajoute-t-il, la France semble le reconnaître elle-même. La Cour rendra son arrêt dans quelques semaines, sachant qu’elle suit l’avis de son avocat général environ huit fois sur dix.
Le problème du capital.
Les biologistes français se félicitent de la reconnaissance, par la Cour, du caractère médical et particulier de leurs laboratoires, qui les distingue donc d’une simple société de service, laquelle devrait, elle, se plier à l’article 43. En revanche, l’injonction faite à la France de supprimer la règle des deux participations maximales suscite l’inquiétude de certaines de leurs organisations professionnelles, à l’image du Syndicat des jeunes biologistes médicaux : le Dr Géraldine Jacob, secrétaire générale de cette organisation, explique au « Quotidien » que la suppression de la règle des deux parts de SEL permettrait aux groupes financiers, par un mécanisme de démembrement des parts sociales, de mettre la main sur de nombreux laboratoires indépendants. On verrait ainsi des biologistes qui, tout en restant propriétaires de leurs laboratoires, se retrouveraient sous la coupe d’investisseurs ayant capté l’essentiel des pouvoirs de décision. Selon elle, une « financiarisation » des laboratoires se traduirait par une baisse de qualité de l’accueil, une disparition des petites structures au profit de grands laboratoires « industriels » et une course à « la productivité et la consommation ».
Pour ce syndicat, le problème du capital des laboratoires est « semblable en bien des points à celui des pharmacies ». Néanmoins, si la Cour exige de la France qu’elle rapporte la règle des deux parts, la publication de décrets prévus par l’article 5-1 la loi MURCEF de 2001 pourrait, selon lui, mettre un terme à cet « engouffrement » des groupes financiers, tout en restant conforme avec la législation européenne. Pour sa part, le Syndicat des biologistes, majoritaire chez les installés, salue par la voix de son président, le Dr Jean Benoît, la reconnaissance du droit, par la France, de « protéger ses patients contre une prise de contrôle de la biologie médicale par les financiers », mais souhaite, lui aussi, plus de cohérence face à la loi MURCEF qui n’a pas pu empêcher certains montages financiers « instables et incertains ».
S’il est permis d’espérer, comme lors des arrêts précédents de la CJE, une nouvelle confirmation de la primauté de la santé sur l’économique, l’affaire des biologistes n’en concerne pas moins l’ensemble des professions de santé, y compris les pharmaciens. En effet, la CJE remettra en perspective la question centrale de la détention du capital des outils de travail des professionnels de santé, mais montrera aussi les limites de cette argumentation face aux autres grands principes de la construction européenne.
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