Quelle est la différence entre un faux sac Vuitton et un faux médicament ? La question est lancée par Jean-David Levitte, ambassadeur de France, en préambule de la conférence sur la contrefaçon des médicaments organisée le 20 mai (1) par l’Institut international de recherche anti contrefaçon de médicaments (Iracm) et le comité national anticontrefaçon (Cnac). La réponse est simple. L’acquéreur d’un sac Vuitton sait qu’il achète un faux et il connaît les risques qu’il prend. Le consommateur de médicaments, lui, n’est jamais conscient des risques encourus.
On le sait, la production et la commercialisation de médicaments constituent une grave menace pour la santé publique à l’échelle planétaire. Elles seraient même la première cause de décès en Afrique, bien avant le SIDA, le paludisme et la tuberculose réunis. Ce que l'on sait moins, c'est que la contrefaçon, ou plus exactement la falsification de médicament, est aussi la principale source de financement du crime organisé et tout particulièrement du terrorisme.
Le rempart du monopole
Sensibles à ces menaces, les pharmaciens ont été les premiers à tirer la sonnette d’alarme. « Ils ont lancé le premier appel à Beyrouth en 2006, soit trois ans avant l’appel de Cotonou de Jacques Chirac », rappelle Marc Gentilini, professeur émérite des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (2).
Celui qui est aussi président honoraire de l’Académie de médecine, plaide avec conviction en faveur du monopole officinal, le seul capable de barrer la route à la contrefaçon qui pourrait « anéantir des décennies de progrès médicaux ». Le combat contre ce fléau doit, selon lui, devenir « une matière enseignée dans les facultés afin de sensibiliser les professionnels concernés à ses dangers ». Et de soutenir : « Plus qu’un scandale, la contrefaçon de médicament est un crime. »
Il est donc logique que la lutte contre la contrefaçon passe par l'officine. Aussi, Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre national des pharmaciens, appelle-t-elle la profession à la plus grande vigilance. « Les pharmaciens doivent connaître l’existence de la contrefaçon, reconnaître un faux médicament et, bien entendu, savoir comment ne pas tomber dans ce circuit. Si un pharmacien vient à se compromettre dans ce système, il peut déchirer son diplôme. Car, nous serons inflexibles », prévient-elle.
Un mythe vacillant
Pour l’heure, en France, le circuit légal du médicament reste hors d’atteinte. Ce qui n’est pas le cas d’autres pays européens, comme la Finlande, la Suisse, l’Italie ou l’Allemagne, où des médicaments falsifiés sont apparus il y a quelques mois dans les officines.
Le circuit français doit sa protection à une réglementation unique qui ne permet aux pharmaciens de s’approvisionner qu’auprès de grossistes-répartiteurs et de l’industrie. « La France est le seul pays où le médicament passe exclusivement d’un pharmacien à un autre pharmacien. En Grande-Bretagne, il suffit de quelques heures pour devenir grossiste-répartiteur, ceci sans diplôme », se félicite la présidente de l’Ordre.
Elle cite également la bonne couverture en matière de protection sociale et les prix bas pratiqués en France comme autant de freins au marché de la contrefaçon. La France a par ailleurs adopté très tôt des mesures dissuasives comme des emballages anti-effractions, anticipant ainsi sur la directive européenne « Médicaments falsifiés » qui entrera en vigueur le 9 février 2019.
Autant de raisons qui permettent à la présidente de l’Ordre d’affirmer que, « en France, le médicament falsifié en pharmacie est encore un mythe ». Mais pour combien de temps encore ? Car la contrefaçon rôde d’ores et déjà autour de la pharmacie. La présidente de l’Ordre en veut pour preuve ces consommateurs français abusés sur Internet, dont le cas connu d'un patient victime d’un AVC après avoir pris ce qu’il croyait être la fameuse pilule bleue. Malheureusement, la copie contenait cinq fois plus de principe actif que l’original…
Faux médicaments sur sites falsifiés
Mais plus grave encore, la contrefaçon sur Internet s’étend aussi aux sites de pharmacie en ligne qui sont copiés, usurpés et détournés à des fins criminelles. L’Ordre des pharmaciens enregistre chaque jour ces invraisemblables dérives où l'on voit de faux sites de pharmacies porteurs d'une adresse en « .fr » hébergés aux Seychelles. Ce sont encore d’anciens noms de domaines désactivés par les titulaires mais qui restent accessibles à tous, et donc exploitables par des organisations crapuleuses.
« Il faut sensibiliser les patients à ces dangers et les inciter à n’acheter que sur les quelque 300 sites autorisés en France », répète-t-on à l’Ordre des pharmaciens. Mais que faire lorsque des pages entières de ces sites officiels sont reproduites par des hébergeurs criminels pour servir d’hameçon ? L’Ordre lui-même convient du caractère dérisoire des moyens techniques et juridiques face à l’ampleur de cette cybercriminalité. « Le temps d’enclencher la machine et qu’Interpol intervienne, les sites ont disparu. Nous sommes face à une scène très mouvante », déplore Isabelle Adenot, faisant allusion à un site polonais ou à un autre basé en Bolivie.
Les remparts à la contrefaçon sont d’autant plus fragilisés que certaines caractéristiques du marché du médicament peuvent inciter, dès aujourd’hui, à recourir à ce marché parallèle. Parmi elles, le prix élevé de certains médicaments conduit des patients à s’exposer aux risques des produits falsifiés. Récemment encore, des malades atteints d’hépatite C qui n’entraient pas dans les critères permettant de bénéficier d’une prise en charge par un antiviral d’action directe (3) reconnaissaient acheter en ligne des traitements produits en Inde, en Égypte, au Bangladesh, à des tarifs 80 fois moins élevés que les prix pratiqués en France. La pratique a eu cours jusqu’à ce que Marisol Touraine, ministre de la Santé, proclame fin mai l'accès universel aux traitements de l'hépatite C.
Faussaires et trafiquants
Rien ne met à l’abri, demain, d’autres malades exclus de traitements trop onéreux d'être aussi tentés par ces filières d’approvisionnement occultes. C’est également le risque qu'encourent des patients confrontés à des ruptures d’approvisionnement. Claude Monneret, président de l’Académie de pharmacie, cite ainsi l’exemple de patients devant interrompre subitement leur traitement antidépresseur devenu indisponible. Cette incapacité de la chaîne du médicament à répondre aux besoins des patients est une autre source de clients pour ces filières illégales.
Les circuits parallèles séduisent également les patients porteurs de fausses ordonnances, rejetés, et pour cause, des circuits légaux. Cette pratique actuellement en recrudescence et farouchement combattue par les pharmaciens, précipite en effet ces faussaires dans les bras des trafiquants.
Comme la plupart des titulaires, Isabelle Adenot doit faire face chaque jour à plusieurs de ces cas : « Je sais qu’aujourd’hui je vais devoir encore refuser de délivrer des produits comme des benzodiazépines car l’ordonnance sera fausse. Et je sais, dans le même temps, que la personne, parce que j’aurai refusé de délivrer son médicament, ira s’approvisionner sur Internet. » Au-delà des difficultés d’accès au médicament, le contournement de la chaîne pharmaceutique est une autre porte d’entrée de la contrefaçon.
(1) Organisée par l’Institut international de recherche anti contrefaçon de médicaments (Iracm) et le comité national anticontrefaçon (Cnac).
(2) Auteur avec Yves Juillet du rapport sur les médicaments falsifiés présenté le 8 décembre 2015. Délégué général de la fondation Chirac pour l’accès aux médicaments et à une santé de qualité.
(3) sofosbuvir, siméprévir, daclatasvir, dasabuvir…
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