LA QUESTION de la préparation des doses à administrer continue de faire débat. La convention entre les EHPAD* et les officines prévue par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2007 et permettant de mieux encadrer cette pratique, n’est toujours pas finalisée. En novembre dernier, la ministre de la Santé avait pourtant indiqué qu’un décret réglant le sujet venait d’être adressé à l’Ordre et aux syndicats pour consultation. Quatre mois plus tard, rien n’a encore été officiellement publié. Du coup, le flou juridique persiste. Et de nombreux pharmaciens pratiquant le déconditionnement-reconditionnement en piluliers continuent de faire l’objet de plaintes.
Lundi 23 mars, trois d’entre eux étaient convoqués devant la chambre de discipline du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens (CROP) d’Ile-de-France. Les titulaires incriminés n’étaient pas véritablement jugés pour s’être livrés à cette pratique, mais plutôt pour les conditions dans lesquelles ils réalisaient la préparation de doses à administrer. Des conditions souvent déplorables : emploi de personnels non qualifiés pour effectuer cette tâche, utilisation de locaux inadaptés, mal tenus, sales, voire insalubres dans certains cas.
Fait apparemment aggravant pour eux, le nombre d’établissements desservis. Le premier préparait des piluliers pour 13 EHPAD et 5 foyers d’accueil pour personnes handicapées, soit environ pour 1 100 à 1 200 patients ; le deuxième approvisionnait 240 résidents de 6 EHPAD dont une située à 50 km de son officine ; le troisième délivrait des doses unitaires à environ 300 malades répartis dans 5 établissements, là aussi parfois éloignés de sa pharmacie (l’un situé à 50 km et un autre à 60 km).
On reproche également à ces trois titulaires d’avoir bafoué le principe du libre choix du pharmacien par le malade et la non-transmission à l’Ordre des conventions conclues avec chacun des établissements.
Une absence de règle.
L’un des avocats des pharmaciens jugés, Me Gérard Bembaron, s’est dit étonné de la tenue d’une telle séance disciplinaire. Car, a-t-il plaidé en substance, habituellement les affaires sont statuées à partir de règles de droit déterminées. Or, a rappelé l’avocat, dans le cas de la préparation des doses à administrer, les modalités devaient être précisées par une convention prévue par la loi qui, après plus de deux ans, n’a toujours pas vu le jour. « Il est ainsi demandé à la chambre de discipline, hors de tout principe de légalité, d’apprécier, et le cas échéant de sanctionner un exercice professionnel, dont les modalités n’ont pas encore été réglementées, a-t-il ajouté. Aujourd’hui, nous avons un débat d’idées abordé sous un angle disciplinaire. On met la charrue avant les bœufs ». Me Bembaron a poursuivi : « C’est à l’État et aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités et de trancher les désaccords existant entre les représentants des EHPAD et ceux de la profession pharmaceutique. Certes, cette convention ne plaira pas à tout le monde, mais des règles seront enfin définies ». En attendant, il a estimé qu’un certain nombre de reproches fait à son client étaient donc infondés.
Une macédoine juridique.
Plaignant dans l’une des affaires, le président du CROP de Rhône-Alpes, a affirmé, au contraire, que les règles de droit existent d’ores et déjà, notamment à travers l’article R. 4235-48 du Code de la santé publique. De plus, pour lui, la préparation des doses à administrer pour les EHPAD ne représente pas un acte de dispensation, mais de livraison. Pis, il considère que le déconditionnement-reconditionnement s’apparente à une falsification de médicament, ou tout du moins à la préparation d’un médicament à identité falsifiée. Son argument : en déconditionnant une spécialité, on casse son autorisation de mise sur le marché (AMM).
Face à lui, Me Alain Fallourd ne partage pas cet avis. Quoi qu’il en soit, l’avocat a estimé que « nous sommes aujourd’hui dans une espèce de macédoine juridique », l’Ordre étant lui-même hésitant sur ce sujet. « Le pharmacien a sa place dans les EHPAD, mais pas pour y faire n’importe quoi », a souligné Me Fallourd.
Troisième avocat à plaider ce jour-là, Me Assunta Sapone, a avancé pour sa part que, pour juger de l’existence d’une infraction ou non, il fallait d’abord se demander si les conditions de sécurité sanitaire étaient garanties avec la préparation de doses à administrer. Il faut aussi s’interroger sur le respect de la déontologie et notamment sur le libre choix du patient. Ensuite, il est nécessaire de regarder dans quelles conditions la pratique est elle-même réalisée.
En attendant que le débat soit définitivement tranché, les trois pharmaciens convoqués à la chambre de discipline ont tous été condamnés à des peines d’interdiction d’exercice allant de 3 à 9 mois, assortis plus ou moins d’une période de sursis.
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