Dans son souhait de verdir le système de santé, l’assurance-maladie a émis plusieurs propositions visant à lutter contre le gaspillage des produits de santé, et accessoirement faire des économies sur les dépenses de santé. Pour elle, « un produit dispensé doit être un produit utilisé ». L’une des mesures proposées dans son « Rapport charges et produits 2025 » publié en juillet, qui donne le ton sur les prochaines mesures économiques dans la santé, consiste à identifier avec les pharmaciens les médicaments non utilisés (MNU) ramenés à l’officine et expérimenter leur réutilisation.
Un produit dispensé doit être un produit utilisé »
CNAM
« La première phase serait d’analyser avec des officines volontaires les produits non utilisés ramenés par les patients (type de produits, date de péremption, quantité, etc.). Une deuxième phase qui pourrait être l’expérimentation de la remise dans le circuit de médicaments non utilisés ne pourra être mise en œuvre sans évolutions juridiques, et ce même dans un cadre expérimental », explique prudemment la Caisse nationale de l’assurance-maladie (CNAM). Un changement de cap total, qui laisse émerger une foule de questions : Quels médicaments seront concernés ? Sur quels critères un pharmacien jugera-t-il qu’un MNU peut être remis dans le circuit ? Quelle rémunération pour le pharmacien ? Et quid de la sérialisation ou encore de la responsabilité du pharmacien en cas de problème avec un MNU réutilisé ? Le projet étant encore au stade de l’embryon, il est prématuré de répondre, d’autant que, si l’idée est retenue, il y a toute une réglementation à modifier. Aujourd’hui, toute distribution et toute mise à disposition des MNU sont interdites (article L.4211-2 du Code de la santé publique). « Le gisement total de MNU est de 13 443 tonnes en 2022, sur lequel Cyclamed en a collecté 9 415 tonnes (taux de collecte de 70 %) », rappelle la CNAM.
L’exemple des Pays-Bas
Ce n’est pas la première fois que la CNAM émet une telle idée, elle l’avait déjà glissé dans son précédent « Rapport charges et produits », en 2023. La piste semble d’autant plus tenace que « des échanges ont également démarré avec la direction générale de la santé (DGS) pour lancer une expérimentation à l’hôpital sur la base d’expérimentations menées aux Pays-Bas. Même chose, nous sommes au stade de l’étude », explique l’assurance maladie.
L’étude ROAD menée dans les pharmacies de ville néerlandaises entre février 2021 et février 2023 a permis en effet d’évaluer la réduction des déchets et les économies nettes réalisées grâce à la réutilisation de médicaments anticancéreux oraux inutilisés chez des patients suivis dans quatre hôpitaux du pays. Les pharmaciens évaluaient la qualité des produits retournés selon 4 critères : sac scellé non ouvert ; conditionnement extérieur intact ; durée de conservation de 6 mois ou plus ; stockage des médicaments selon le résumé des caractéristiques du produit, mesuré par un indicateur temps-température.
Sur 1 071 participants (âge médian 70 ans), 171 (soit 16,0 %) ont retourné 335 boîtes non utilisées sur 13 069 unités dispensées, dont 228 ont été redistribuées. Résultats : les déchets ont été réduits de 68,1 % par rapport aux pratiques courantes. La redistribution de médicaments anticancéreux oraux non utilisés représentait 2,4 % du coût total des anticancéreux oraux dispensés, ce qui représente une économie annuelle nette moyenne de 680 dollars à 1 591 dollars par participant.
L’assurance-maladie mise aussi sur la coordination interprofessionnelle
« Les résultats de cette étude d'intervention multicentrique indiquent que la redistribution de médicaments anticancéreux oraux non utilisés est associée à une réduction des déchets et des coûts, ce qui pourrait à son tour améliorer l’accessibilité et la durabilité du traitement du cancer », concluent les auteurs, qui ont publié leurs résultats dans « JAMA Oncology » en novembre 2023.
« Show me your meds »*
En France, l’assurance-maladie mise aussi sur la coordination interprofessionnelle. Elle propose ainsi la mise en place de protocoles entre médecins, pharmaciens et infirmiers pour ajuster la délivrance des médicaments prescrits, comme le programme « Arrêtons de délivrer tous les médicaments prescrits et non utilisés » établi en sein de la maison de santé pluridisciplinaire (MSP) d’Urfé dans la Loire pour limiter le nombre de MNU. Selon leur protocole, les professionnels de santé interrogeaient les patients pour connaître leur stock de médicaments avant dispensation, utilisaient un codage harmonisé comme la mention « NPD » (pour « ne pas délivrer ») pour indiquer les médicaments non-utiles au patient, notamment. Ce protocole a eu des effets positifs sur l’environnement, les professionnels de santé, les usagers et l’organisation, avec des économies à la clé.
Dans le même esprit, une expérimentation qui impliquerait notamment les infirmiers et les médecins est en réflexion. « Il s’agit de réaliser au domicile des patients un diagnostic de la consommation réelle de médicament, diagnostic qui serait réalisé le plus souvent par l’infirmier. Elle s’inspire d’une expérimentation menée en Angleterre nommée « Show me your meds please ». Sur la base de ce diagnostic, un échange doit avoir lieu avec le médecin et le pharmacien afin d’ajuster le traitement, le suivi du patient le cas échéant dans le but d’éviter les gaspillages, la mauvaise observance, etc. », explique la CNAM.
L’assurance-maladie a aussi pour priorité de « valoriser le rôle des infirmiers dans l’évaluation des besoins des patients, notamment par l’intervention pour détecter les prescriptions problématiques, identifier les médicaments potentiellement inappropriés (…) et les prescriptions non pertinentes du matériel et des pansements post-chirurgie. » Elle souhaite ainsi limiter la délivrance des pansements et des produits nécessaires au traitement des plaies à sept jours de traitement, en sortie d’hospitalisation ou non.
Enfin, dans les mesures « antigaspi » cette fois plus abouties, une consultation de déprescription pour des patients hyperpolymédiqués est inscrite dans la convention médicale. Elle met aussi en place un indicateur de sobriété gratifiant pour les médecins généralistes et fixe 8 objectifs relatifs aux produits de santé dont les antibiotiques, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), les antalgiques opioïdes, le matériel d’autosurveillance glycémique, etc.
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