Nous sommes le 18 mai 2026, Xavier Vitry sort d’une consultation chez son médecin avec une prescription de médicaments après avoir réalisé un bilan sanguin quelques jours plus tôt. Son ordonnance en main, très exactement dans son espace santé auquel il accède par une appli de son téléphone, le directeur de projets à la délégation ministérielle au numérique en santé la transmet immédiatement à sa pharmacie depuis sa messagerie sécurisée et se félicite de pouvoir la retrouver facilement au besoin. Peu de temps après, « la pharmacienne me dit que les médicaments sont prêts et me propose un rendez-vous pour faire un point sur mes traitements ». Xavier Vitry se sent un peu perdu dans ses prescriptions et accepte avec plaisir. « Le temps que j’arrive, la pharmacienne a reçu les résultats de biologie accessibles depuis son logiciel métier et, en accord avec mon médecin, a modifié mon ordonnance. Ces résultats de biologie peuvent aussi être consultés par mon cardiologue et tous mes professionnels à qui j’ai donné accès à mon dossier médical. Je repars avec mes traitements après avoir fait un bilan partagé de médication (BPM) et je reçois une alerte sur mon portable, via mon espace santé, avec un récapitulatif des conseils reçus, tout cela en toute confidentialité, par messagerie sécurisée. »
Nous sommes le 18 mai 2022, au forum du bon usage du médicament qui se tient au ministère de la Santé. Xavier Vitry vient de partager de manière concrète ce que le Ségur du numérique s’attelle à construire pour l’avenir des patients et de leurs professionnels de santé, avec un exemple parfait de l’apport en faveur du bon usage du médicament. Le principal outil est déjà sur pied depuis le 3 dernier : « Mon espace santé », créé de manière automatique, sauf si le patient s’y oppose, et qui peut être partagé avec les professionnels de santé de son choix. Cet « espace de confiance garanti par la puissance publique » réunira à terme le dossier médical du patient (résultats d’examen, prescriptions, traitements, compte rendu d’hospitalisation…), soit le dossier médical partagé (DMP) amélioré, associé au profil patient (antécédents, allergies, etc.). Il comprendra aussi une messagerie de santé sécurisée (MSS) pour échanger en toute confidentialité avec ses professionnels de santé, un agenda santé pour gérer les rendez-vous médicaux et un catalogue d’applications référencées par l’État.
Sécurité versus simplicité
C’est dans ce cadre que le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP), par la voix de sa présidente, Carine Wolf-Thal, appelle à l’intégration du dossier pharmaceutique (DP) au DMP. Créé en 2008 et financé par les pharmaciens eux-mêmes, il permet d’accéder à l’historique des dispensations en temps réel, « d’où l’intérêt de le raccorder au DMP qui ne permet pas cette information instantanée, en plus du fait qu’il peut aussi contenir les traitements non prescrits et que d’autres outils sont venus sécuriser la dispensation au fil des années, notamment les informations de rappels de lots et les alertes sanitaires du ministère de la Santé. » Sans compter que plus de 48 millions de DP ont été créés quand le DMP plafonne à 20 millions.
Ce sont quelques centaines de milliers de personnes qui contribuent à la construction de cette architecture pour parvenir à une fluidité dans les échanges de données, donc une interopérabilité entre les outils utilisés par les différents professionnels et une intégration dans les logiciels métier, tout en assurant la sécurité de l’information. « La grosse difficulté c’est la sécurisation pour faire face au risque de fraudes. C’est vrai que ça rend l’usage plus compliqué mais c’est essentiel. Il suffit de regarder le nombre de fraudes sur la e-CPS », souligne Carine Wolf-Thal. Une difficulté que n’élude pas Xavier Vitry. Malgré les appels à simplifier autant que possible l’accès à l’ensemble des outils numériques pour une meilleure acceptation, il insiste sur l’importance de changer les comportements pour « ne pas laisser sa session ouverte à tout vent ou avoir un mot de passe à deux caractères, par exemple avec ses initiales ». Comme lorsqu’on se connecte à sa banque, une authentification robuste doit être demandée pour accéder à des données de santé.
C’est aussi dans ce cadre que la e-prescription est appelée à se développer, sa généralisation étant inscrite dans la loi pour le 31 décembre 2024 au plus tard. « Son développement va s’accélérer en parallèle de la première vague du Ségur du numérique, les logiciels de cabinet seront compatibles au plus tard en octobre 2022 et les logiciels de gestion de l’officine en mars 2023 », rappelle Jean-Baptiste Milone, également directeur de projets à la délégation ministérielle au numérique en santé. Une arme anti-fraude que les pharmaciens appellent de leurs vœux depuis bien longtemps et davantage encore depuis le développement de la télémédecine pendant l’épidémie de Covid-19.
Courroie de transmission
Reste encore une ombre au tableau : la communication autour de ces outils. « Il faut absolument développer un volet communication en direction des professionnels de santé qui, pour l’instant, ne sont pas informés », lance Xavier Cnockaert, vice-président de l’Association du bon usage du médicament (ABUM) et chef du pôle de gérontologie du Centre hospitalier de Beauvais. Une demande reprise en filigrane par Bernard Denis, président de l’Union francophone des patients partenaires, « car ça ne sert à rien d’offrir une Ferrari au patient si on ne lui apprend pas à la conduire ». Au-delà des outils numériques, il prône donc le développement de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) et tout ce qui permet de mieux comprendre sa pathologie et ses traitements. Une méthode qui a fait ses preuves pour faire reculer les mauvais usages du médicament. Le pharmacien pourra, naturellement, devenir la courroie de transmission des informations relatives à « Mon espace santé ». En octobre dernier, la délégation ministérielle au numérique en santé soulignait déjà que les pharmaciens ont été les seuls, parmi l’ensemble des professionnels de santé rencontrés, à s’inquiéter de la façon dont ils pourront accompagner les patients dans les nouveaux usages du numérique en santé.
Nul doute que les questions vont affluer au comptoir avec le lancement, le 19 mai, de l’appli mobile, venant compléter l’accès au site monespacesante.fr. « Nous ne voulons pas du numérique à tous crins, il doit rester au service de l’humain », prévient Xavier Vitry qui tient à imager son propos. « Le numérique ne doit pas être le dragueur lourdaud et envahissant, il doit être un ami, donc simple, discret, à l’écoute, disponible et facilitant. Le numérique doit savoir se faire oublier dans cette relation humaine de personnes qui vont interagir. Car la santé, c’est d’abord de la relation humaine et l’outil numérique doit rester un outil. »
* D'après les débats du Forum du bon usage du médicament qui s'est tenu le 18 mai dernier au ministère de la Santé.
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