Est-il besoin de le rappeler à des titulaires et des équipes épuisés par deux ans et demi de crise sanitaire ? L'activité de la pharmacie tourne à plein régime et les résultats sont exceptionnels. De mémoire de pharmaciens, jamais le chiffre d'affaires n'avait bondi de 6 %, voire de 7 %, en l'espace d'un exercice pour atteindre en moyenne 1,8 million d'euros, voire 2,07 millions d’euros. Mais une fois ce constat fait, quelles conclusions en tirer ? La tâche n’est pas aisée puisque la moitié de cette croissance doit être attribuée au « réglementaire ». En un mot, la gestion de la crise sanitaire (tests antigéniques et vaccination) a largement contribué au succès de l'année 2021.
Effets réglementaires et psychologiques
Il ne fait aucun doute que cette performance a un prix. « La mise en place de ces dispositifs a réclamé une nouvelle organisation dans l'officine », rappelle Philippe Becker, consultant pharmacie pour Fiducial. Pour autant, les craintes émises par l'expert-comptable au début des opérations de dépistage et de vaccination sur les frais induits par cette nouvelle organisation ont été rapidement balayées par les comptes de résultats de l'année 2021. La marge officinale tire également son épingle du jeu (voir page 20). Et encore, souligne-t-il, les chiffres dont font état les experts-comptables, ne reflètent qu'à la marge l'effet « grande vague » de la fin d'année 2021 qui s'est poursuivie jusqu'en février de cette année ! « Cette croissance n'a rien de naturel. Elle est clairement liée à des activités réglementaires, les tests, et à la pression psychologique, la vaccination… Vous supprimez le réglementaire et le psychologique, vous n'avez pas les mêmes chiffres », affirme Emmanuel Leroy, responsable national du réseau professions de santé chez KPMG.
Mais la lecture de ces résultats 2021 sous le prisme du Covid ne doit pas occulter d'autres facteurs de croissance du chiffre d'affaires. Les experts-comptables le répètent d'année en année la fermeture de centaines d'officines (220 en 2021) à un effet mécanique sur le chiffre d'affaires du réseau. « Cette incidence sur la croissance de l'activité est estimée à 0,7 %, voire 0,8 %, les années où nous avions 2 à 3 % de croissance de chiffre d'affaires », rappelle Philippe Becker. En dix ans, les 1 740 pharmacies qui ont fermé leur porte, soit chaque année environ 1 % du réseau, ont donc contribué à l'accroissement du résultat des officines restant.
Chercher de la croissance dans les nouvelles missions
Autre phénomène récurrent, la part croissante prise par les médicaments chers (plus de 150 euros, soit les deux dernières tranches de la MDL) qui promet de s'emballer. Ils constituent aujourd'hui 23 % du chiffre d'affaires global (toutes activités confondues) et 32 % de l'activité en TVA à 2,1 % en 2021. Au premier semestre de cette année, cette part est passée à 38 %, annonce Joël Lecoeur, président du réseau CGP. « C'est six points de plus, donc une évolution de 20 %, qui démontrent que le phénomène s'ancre dans l'économie officinale, s'accélère et contribue significativement à la croissance du chiffre d'affaires », poursuit-il.
Cette montée en puissance des médicaments chers peut être considérée comme un lot de consolation face à l'érosion continue du médicament remboursable. Car bien que peu prometteur de marge, notamment dans sa tranche haute (prix supérieur à 1930 euros), ce segment de médicament permet de compenser un effritement continu du chiffre d'affaires provenant des produits de TVA à 2,1 %. La part du remboursable au sein du chiffre d'affaires global est passée de 72,40 % en 2019 à 70,60 % dans les pharmacies du réseau KPMG et elle se réduit sur la même période d'un point et demi, à 74 % dans les officines suivies par Fiducial. Bien que flat chez CGP, elle se situe au niveau le plus bas, 70,67 %. « Nous sommes sur un palier, il n'y a eu aucun événement majeur en 2021 qui soit venu modifier ce marché », note Emmanuel Leroy. Un pan entier de l'activité officinale est cependant à surveiller de près, car le « remboursable » reste le socle économique de la majorité des officines.
Quant aux activités de TVA à 5,5 % et à 10 %, les premières se portent bien grâce au respect des gestes barrières (gels hydroalcooliques et masques), les secondes restent stables. Ainsi selon CGP, la part des produits de TVA à 5,5 % passe de 10,43 % en 2019 à 11,16 % deux ans plus tard. Elle ne gagne toutefois que 0,72 point chez Fiducial. Quant aux produits de TVA à 10 %, ils continuent d'infléchir leur part dans le chiffre d'affaires de 5,49 % en 2019 à 4,66 % (Fiducial). Ces deux segments affichent, par conséquent, peu de promesses de croissance. Raison de plus, comme exhorte Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), « pour aller chercher de la croissance dans les nouvelles missions, comme la nouvelle convention nous y incite ». Le président de l'USPO en profite pour tacler les pouvoirs publics qui, ignorant le rôle du pharmacien, notamment dans la prévention, « considèrent l'officine uniquement sous le prisme de la dépense ».
L'effet inflation
C'est dire combien l'issue des négociations conventionnelles prévues fin 2023 sera décisive sur la structure de l'économie officinale. Difficile dans ce contexte de se hasarder dans des projections. Pour l'heure, Emmanuel Leroy met en garde contre « toutes exégèses sur les taux de TVA en 2021 car il y a eu tant de perturbations que les commentaires risqueraient d'être peu pertinents. »
Au rang des autres inconnues s'affiche également l'inflation qui s'est invitée dans l'économie officinale depuis le début de l’année. Si ses effets ne se ressentent pas sur les chiffres 2021, ils transparaîtront inévitablement dans l'exercice actuel. D'ailleurs, ce chapitre de l'inflation est l'occasion pour Emmanuel Leroy de tempérer l'analyse du chiffre d'affaires « car sa hausse n'est finalement pas aussi éloignée que ça de l'inflation, qui se situe entre 5 et 6 %. »
Reste désormais à savoir comment évolueront les officines qui ont manifestement saisi les différentes opportunités de la crise pour se développer. Sur les quelque 80 % de pharmacies qui enregistrent en 2021 un chiffre d'affaires en hausse (contre environ 67 % un an auparavant), certaines ont progressé de 9 %, voire de 10 %. Sauront-elles maintenir ce niveau d'activité ? Les premiers mois de cette année forcent à l'optimisme, comme le souligne Joël Lecoeur. « Alors que, tous circuits confondus, 80 millions de tests ont été effectués en 2021, 55 millions ont déjà été réalisés au cours des quatre premiers mois de cette année. Sans compter la tendance haussière des médicaments chers déjà citée. » Un début d'année sur les chapeaux de roues en attendant que la huitième vague de Covid déferle. Ou pas.
Article suivant
Pas de bonus « Covid » pour près d'un quart du réseau
Les nouvelles missions prendront-elles la relève du Covid ?
Pas de bonus « Covid » pour près d'un quart du réseau
Une marge dopée par les activités à TVA 0 %
La pénurie de personnels aura-t-elle raison de l'EBE ?
Imaginer de nouveaux modèles de management
Rémunération des gérants : + 10 %, mais pas pour tous
Cessions : la fin d'un cycle
C'est le moment d'investir dans les locaux
Ségur du numérique : les vrais enjeux et leurs impacts sur l’officine
Les premiers logiciels Ségur pour la mi-novembre
« Un progrès nécessaire » pour les pharmaciens
Les enjeux métier, pour quelle rémunération ?
Le numérique en soutien de l’interprofessionnalité et des nouvelles missions
De l’importance de l’identitovigilance
Où sont stockées les données patients ?
Ce que l'intelligence artificielle peut apporter aux grossistes-répartiteurs
Link, la plateforme digitale utilisée par 11 000 pharmacies
« Le numérique en santé n'est pas assez présent dans la formation »
« La révolution numérique est une occasion à saisir »
L'avenir de l'officine au cœur des débats
Dispensation du médicament
Tramadol et codéine sur ordonnance sécurisée : mesure reportée !
Formation continue
Transmission automatique des actions de DPC : les démarches à faire avant le 30 novembre
Relocalisation industrielle
Gel des prix sur le paracétamol pendant 2 ans : pourquoi, pour qui ?
Salon des maires
Trois axes d’action pour lutter contre les violences à l’officine