Un laboratoire condamné pour avoir accordé pendant plus de cinq ans des cadeaux à plusieurs milliers de pharmaciens prêts à renoncer à leurs remises commerciales. L'article 30 du dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 projetant d’instaurer des appels d’offres sur les médicaments, notamment sur les génériques, heureusement abandonné in extremis. Et enfin, le projet de loi Descrozaille, examiné cette semaine par le Sénat, propose à son article 3 que toute négociation commerciale qui n'aura abouti au 30 mars de l'année en cours, soit au bénéfice du fournisseur… Ces trois récents coups de projecteur ont mis à nouveau en lumière la complexité des relations entre officines et laboratoires.
Si indiscutablement les premières pratiques sont condamnables, les deux tentatives législatives de mainmise sur les relations commerciales entre pharmaciens et laboratoires se révèlent inquiétantes, tant l'étau semble se resserrer sur les officinaux. « Le phénomène n'est pas nouveau mais il s'est accentué ces derniers temps. Au gré des fusions-acquisitions, les laboratoires sont aujourd'hui de plus en plus puissants et exercent ainsi davantage de pressions pour nous imposer des conditions de plus en plus dures. Par exemple, pour obtenir des conditions intéressantes, nous devons suivre toutes leurs gammes ! », dénonce Laurent Filoche, président de l'Union des groupements de pharmacies d'officine (UDGPO). Face à ces pratiques, les groupements n'ont d'autre choix que de renchérir dans le bras de fer qui les oppose aux industriels. « Depuis deux ou trois ans, le marché des groupements connaît lui aussi une consolidation pour obtenir plus de poids », observe Laurent Filoche.
« Alliés de MEL, malgré nous »
Cette année, un argument supplémentaire s'est invité à la table des négociations, côté fournisseurs. « L'inflation sert désormais d'alibi à de nombreux laboratoires qui nous imposent des hausses de tarifs tout à fait injustifiées, de l'ordre de 12 %, alors que nous notons uniquement un point de hausse des coûts sur les produits de nos marques propres ! », pointe Laurent Filoche.
À l'avenir, ce rapport de force risque de se tendre encore davantage. Examinée actuellement par les sénateurs, la loi Descrozaille, et tout particulièrement son article 3 (adoptés le 18 janvier en première lecture par les députés), veut introduire une nouvelle règle du jeu dans les relations commerciales. Toute négociation annuelle qui n'aura pas abouti fin février sera portée devant un médiateur. En cas d'échec, le fournisseur aura le dernier mot et pourra par conséquent imposer ses tarifs un mois plus tard. En l'absence d'accord, le contrat commercial sera rompu.
Pour Alain Grollaud, président de la Chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacie (Federgy), il s'agit ni plus, ni moins « d'annihiler les principes de la loi Egalim, qui a été mise en place fin 2018 et assure un équilibre dans les relations entre les détaillants et les fournisseurs ». Et de poursuivre « Il faut proposer des alternatives aux marques si ces dernières vendent leurs produits trop chers. Il existe d'autres produits moins chers et tout aussi bons. Beaucoup de laboratoires pensent qu'ils sont incontournables, que les pharmaciens sont dépendants d'eux. Certes, le pharmacien doit répondre à la demande, les clients sont habitués à acheter certains produits et certaines marques, mais aujourd'hui, avec des prix qui flambent, il est de temps de changer de paradigme. Les officinaux doivent prendre conscience qu'il est important pour eux de ne plus être dépendants de ces marques qui ne cessent d'augmenter leur prix. Une solution que nous conseillons à nos adhérents, ce sont les produits à la marque. Il faut vraiment penser à cette alternative. »
Pour autant, obligés de référencer certains produits incontournables, les pharmaciens n'auront, dans ce cas, d'autre choix « que d'accepter et appliquer ces hausses, ou alors de ne pas les répercuter, mais au détriment de notre marge », comme l'envisage le président de l'UDGPO. Ironie de l'histoire, cette loi destinée en premier lieu à contrer les pratiques de la grande distribution pour protéger les producteurs, se retourne contre les pharmaciens ! Et comme le résume Laurent Filoche « Nous nous retrouvons aujourd'hui dans le camp de MEL, à nous défendre contre cette loi ! ».
Dans ce contexte, de quelle latitude les pharmaciens disposent-ils encore dans leurs relations avec les industriels ? Car, du résultat de leurs négociations commerciales dépend le niveau de leur propre marge déjà bien rognée par la prépondérance des médicaments chers qui contribuent chaque année pour près de 30 % à la croissance du chiffre d'affaires. Une marge commerciale qui ne représente plus d'ailleurs aujourd'hui que 25 % de la rémunération officinale sur le médicament remboursable, contre 34 % en 2019 et même 49 % en 2018, selon l'étude d'IQVIA (voir page 10).
Comme le rappellent les textes encadrant les avantages commerciaux* les remises, rabais et ristournes, mais aussi les prestations de coopération commerciale ou encore les unités gratuites, doivent être conformes aux obligations fixées à l’article L. 138-9 du code de la Sécurité sociale. Les contraintes pèsent le plus fortement sur le médicament remboursable puisque, pour les princeps, les avantages sont plafonnés à 2,5 % du prix fabricant HT par ligne de produit. Ce seuil se situe à 40 % pour les génériques.
Jusqu'à un point de marge en moins
Dans les rayons de l'OTC et de la para, les pharmaciens détiennent – en théorie — une plus grande amplitude. La pratique des « gratuits » permet ainsi à certains laboratoires d'accorder des remises supplémentaires à celles octroyées en euros sonnants et trébuchants. Les industriels sont par ailleurs nombreux à opérer des remises par le biais des bons de remise immédiate (BRI), une pratique qui gomme les hausses de prix, stimule les ventes et anime le point de vente. Dans ce domaine, les pharmaciens détiennent également encore un atout majeur, celui des opérations commerciales. Les titulaires sont en général amateurs de ces animations promotionnelles qui permettent de retrouver de la marge par la mise en avant de produits. « Si ces conditions particulières de vente (CPV) venaient à disparaître sous le coup de la loi Descrozaille, les pharmaciens dont les prix seraient alignés exclusivement aux conditions générales de vente (CGV) subiraient une hausse de prix d'au moins 30 % qu'ils devraient répercuter sur le client. Dans le cas contraire, leur marge en subirait les contrecoups », estime Laurent Filoche.
De fait, pieds et mains liés dans ses relations avec les fournisseurs, le pharmacien risque de perdre gros si l'impact de ces opérations commerciales venait à faiblir. Nicolas Baldo, expert-comptable du cabinet Infini-Expertise, estime ainsi que les prestations commerciales réalisées par les pharmacies pour le compte des laboratoires représentent jusqu'à 1 point de marge pour une officine d'un chiffre d'affaires de 4 millions d’euros. L’expert-comptable, qui suit une soixantaine d'officines dans le sud de la France, n'a d'ailleurs pas attendu les effets des négociations de ce début d'année pour observer un certain tassement de la marge – hors Covid et hors variations des produits chers - depuis quelque temps.
Est-ce déjà le résultat d'un durcissement général des relations avec les fournisseurs ? Ou, comme il l'analyse, les conséquences des efforts consentis par les officinaux dans la gestion de la crise sanitaire conjugués à la pénurie de personnel. Davantage au comptoir ou dans l'espace de confidentialité à réaliser TAG et vaccination, les titulaires auraient-ils été moins présents – ou moins incisifs — dans leurs négociations avec les labos ?
*Avantages commerciaux offerts dans le cadre des conventions régies par les articles L. 441-3 et L. 441-9 du Code de commerce.
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