Première plateforme à mettre « au premier plan le patient et son expérience avec des médicaments », Meamedica se présente comme un site Internet indépendant permettant de donner son avis et de lire ceux laissés par d’autres internautes pour pouvoir « comparer rapidement et facilement les médicaments d’une même catégorie ». Créée par la société néerlandaise Insight Pharma Services et fondée par une pharmacienne, Wendela Wessels, la plateforme est proposée dans 10 pays en 8 langues et supervisée par plusieurs professionnels de santé. Son but ? « Soutenir le patient dans ses propres choix médicamenteux. »
Malgré cette présentation rassurante sur le sérieux du site, Martial Fraysse, titulaire à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) et membre de l’Académie nationale de pharmacie, a repéré « 900 avis sur l’antidépresseur (sic) Tramadol ». Outre la confusion entre antidépresseur et antalgique opiacé, le pharmacien s’inquiète – dans une tribune publiée dans « Le Figaro Santé » et cosignée avec la stratège en influence digitale Caroline Faillet* – que des utilisateurs puissent ainsi « dénoncer publiquement les traitements qu’ils considèrent comme néfastes et qu’ils comptent bien contribuer à dégager du marché ». Et ce, alors même que ceux qui font cette démarche sont généralement « les plus mécontents ». Loin d’être représentatifs, ces internautes pharmacologues autoproclamés peuvent néanmoins influencer un patient. Parfois jusqu'à l’inciter « à arrêter brutalement son traitement, ne plus faire confiance à son prescripteur et se lancer dans un consumérisme médical jusqu’à céder aux sirènes moins contraignantes des gourous et autres charlatans », soulignent les signataires de la tribune.
Source de fakemed
Meamedica n’est pas la seule plateforme où il est possible de donner son avis sur un médicament. Ainsi, le réseau social Carenity, dédié aux patients et à leurs proches concernés par une maladie chronique, propose cette fonctionnalité. De la même façon, les avis formulés sont bien éloignés de ceux exprimés par des patients experts et des associations représentant des patients, formés pour intervenir de manière efficace dans les instances d’évaluation du médicament. Les auteurs de la tribune font la part des choses entre un « tripadvisor du médicament, nouvelle source de fakemed » et les communautés d’échange sur les maladies ou les forums de discussion « où le patient évoque son historique de traitement et où le médicament est évoqué dans un contexte thérapeutique bien identifié ».
Ce qu’ils souhaitent éviter à tout prix ? Que, derrière son écran, le patient devienne « addict à sa toute-puissance » et estime connaître le médicament « mieux que le médecin et le pharmacien ». Un danger d’autant plus grand, soulignent-ils, que « paradoxalement, les plateformes de notation de médicaments sont moins encadrées que les sites de notation des produits de consommation courante ». Ainsi, sur ces derniers, des entreprises diffusant des faux avis s'exposent à des sanctions et les notations doivent répondre à une norme AFNOR. De plus, des plateformes tierces telles que « Trust Pilot » ou « Avis vérifiés » s’assurent de la réalité de l’achat et offrent un canal de relation client pour régler directement les différends.
Rien de tout cela n’existe lorsqu’il s’agit de médicaments : pas de service après-vente, pas de réponse possible aux avis sur lesdites plateformes puisque la réglementation interdit aux laboratoires et aux professionnels de santé de le faire, ajoutent Martial Fraysse et Caroline Faillet. Résultat : le mécanisme vertueux des avis est biaisé car « l’avis d’un patient ne peut à lui seul constituer une ressource fiable pour les autres ». Les patients atteints de maladies chroniques, plus enclins à partager leur expérience avec des personnes rencontrant les mêmes difficultés qu'eux, pourraient être amenés à perdre de vue l’importance d’une prise en charge personnalisée notamment « garantie par le dossier pharmaceutique et surtout les entretiens pharmaceutiques ».
Savoir expérientiel valorisé
Il n’est pas question, pour autant, d’ignorer l’expérience patient et de le priver de parole. C’est en cela que le dialogue avec le médecin et le pharmacien est essentiel. Et c’est la raison pour laquelle les autorités sanitaires intègrent depuis plusieurs années, et de plus en plus, des représentants des usagers dans leurs instances. La Haute Autorité de santé (HAS) a été la première à lancer cette révolution. Désormais l’avis des patients est recherché et pris en compte lors de l’évaluation des médicaments et des dispositifs médicaux. Des universités de patients se sont développées en France depuis 2009, avec une formation diplômante à la clé qui mêle patients et soignants. L’Agence du médicament intègre elle aussi des représentants d’usagers depuis une dizaine d’années. Un comité d’interface avec les associations de patients assure la continuité du dialogue. Les associations de patients agréées sont représentées au conseil d’administration et dans plusieurs commissions consultatives. De même, des journées d’information et des appels à projet auprès des associations sont régulièrement proposés.
Ce qu’on appelle désormais le « savoir expérientiel » du patient est recherché et pris en compte. Même s’il y a toujours des améliorations à apporter, l’ensemble de ces initiatives aboutit à des échanges constructifs que jamais aucune plateforme de notation du médicament en ligne ne pourra offrir. Plus dangereux qu’utiles, ces sites de notation doivent laisser la place à des outils « sûrs et protecteurs des données de santé ». Martial Fraysse et Caroline Faillet rappellent ainsi l’existence de centres de pharmacovigilance (CRPV) dans toutes les régions françaises et citent l’appli VigiBIP développée par le CRPV de Toulouse, qui permet à l’utilisateur de déclarer des effets indésirables, d’envoyer des photos et de bénéficier d’une réponse personnalisée d’un pharmacologue. Des solutions sérieuses existent, reste à les faire connaître, reconnaître, et à leur donner une visibilité suffisante auprès des patients, à commencer dans les moteurs de recherche en ligne.
* Enseignante en stratégie digitale à HEC et au Celsa, Caroline Faillet dirige le cabinet conseil Bolero et est l’auteure de « L’Art de la guerre digitale. Survivre et dominer à l’ère du numérique ».
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