Les adjoints la pratiquent au quotidien. C’est une question d’attitude, de posture, affirment-ils. Car l’interprofessionnalité ne se vit pas seulement au sein des maisons de santé ou des réseaux de soins, elle s’invite chaque jour à l’officine dans les contacts quasi permanents avec les autres professionnels de santé.
Cette interprofessionnalité « officieuse » se cultive de manière informelle et incontournable dans le suivi des patients. L’évolution des liens ville hôpital a entraîné les adjoints dans cette démarche. « Les soins palliatifs et les hospitalisations à domicile font qu’aujourd’hui les différents professionnels de santé sont amenés à communiquer et à échanger de manière plus intense autour du patient », remarque une jeune adjointe de Loire-Atlantique.
Un état d’esprit
Aussi, sans être nécessairement engagés dans des réseaux, les adjoints s’impliquent au détour des multiples taches officinales. « La PDA, par exemple, nous amène très souvent à communiquer avec le médecin généraliste et avec l’infirmière. Celle-ci nous enverra l’ordonnance grâce à l’application mapharmaciemobile, ce qui nous permettra de livrer le patient à son domicile ou à son foyer logement », décrit Audrey Freulon, adjointe à la pharmacie Loubrieu d’Avrillé, dans le Maine-et-Loire. Elle en est certaine, ces liens tissés au quotidien avec les autres professionnels de santé permettront, l’heure venue, de faciliter le passage à la vitesse supérieure : l’interprofessionnalité telle qu’elle est définie dans les textes.
Cette évolution est inéluctable pour Denis Cassaing. Adjoint à la pharmacie Anturnes de Fleurance (Gers) et coordonnateur d’Eduphar, un programme d’éducation thérapeutique du diabétique type 2 qui vient de se voir reconduire pour quatre ans par l’ARS d’Occitanie, il estime que l’avenir de l’officine est dans l’interprofessionnalité. « La désertification va nous obliger à collaborer différemment. Il faut que tous les professionnels de santé interagissent autour du patient », expose-t-il.
Une dynamique nouvelle
Les adjoints, particulièrement les plus jeunes, semblent prêts à relever ce défi. Pour ces générations, travailler en bonne intelligence avec les autres professionnels de santé est, en effet, une évidence. Bien qu’ils ne soient pas – encore – issus des générations PACES, nombre d’entre eux ont suivi des cours communs avec les étudiants en médecine, notamment des TP d’analyse d’ordonnances.
Ils ont puisé dans cette expérience la conviction qu’il est nécessaire de travailler de concert avec les autres acteurs de santé. « Nous sommes, pharmaciens et médecins, engagés dans la même logique. Nous savons que nous ne pourrons jamais plus travailler de manière segmentée comme ceux qui nous ont précédés. Nous sommes dans une dynamique commune aux jeunes praticiens », s'enthousiasme Denis Cassaing. « Cette compréhension mutuelle est indispensable pour que le parcours de soins soit le mieux adapté aux besoins du patient », renchérit Pierre-Yves Desplanques, adjoint à Châtenay-Malabry. Cet inconditionnel de l’interprofessionnalité, qu’il décrit « comme un enrichissement intellectuel », est très engagé dans le réseau Epco, dédié à la pharmacie clinique, où il a « la satisfaction de rencontrer des professionnels de santé qui partagent les mêmes points de vue et qui souhaitent aussi faire le maximum au service du patient ».
Ce n’est pas un hasard si les adjoints sont souvent les fers de lance de l’interprofessionnalité. Jeunes diplômés, ils conservent encore le souvenir de leur stage hospitalier. Une expérience qui les a amenés à favoriser le dialogue et leur a donné « l’habitude d’échanger sur le cas des patients ». Bien que ces relations ne soient pas toujours matérialisées par un réseau, ils continuent de les entretenir. « Je suis toujours en contact avec le médecin hospitalier, notamment lors de la sortie hospitalière du patient qui est le moment propice à ces échanges. Il est vrai que cette sensibilité particulière à l’interprofessionnalité m’a permis de partager ma démarche avec les autres membres de l’équipe à l’officine », décrit une adjointe auteure d’une thèse sur le sujet en 2011.
S’inscrire dans la collégialité
Les nombreuses thèses évoquant l’interprofessionnalité témoignent d’ailleurs de l’intérêt des jeunes pour le sujet. Parmi eux, Eugénie Martin qui a soutenu sa thèse en juin dernier. Elle s’est inspirée de son expérience de stage à l’officine. Sa titulaire est en effet membre du Gisapbn (groupement interprofessionnel de santé et d’autonomie du pays de Bourgogne nivernais) qui réunit les différents acteurs du champ sociomédical autour de l'élargissement de l'offre de soins sur le territoire.
L’implication de sa titulaire a été un déclencheur décisif dans son intérêt pour l’interprofessionnalité. Thésée, Eugénie Martin exerce toujours dans la même officine où elle tente de convaincre le reste de l’équipe des bienfaits des réseaux interprofessionnels.
L’adjoint a en effet de nombreux atouts pour être vecteur, sinon moteur de cette démarche au sein de l’officine. Son âge, son enthousiasme jouent en sa faveur. Mais aussi son statut de salarié qui l’éloigne des préoccupations économiques de l’officine. Dégagé de ces impératifs, il ne sera pas inhibé dans ses choix et agira exclusivement par motivation scientifique. En un mot, il pourra s’entretenir avec un médecin sans être soupçonné de poursuivre un intérêt financier. « Nous avons davantage de liberté de parole et de latitude dans nos propositions. Même si, au final, les décisions sont prises à titre collégial, les solutions émises par les adjoints permettent de faire avancer le débat », reconnaît Pierre-Yves Desplanques, qui a choisi sa titulaire pour ses visions de l’interprofessionnalité.
Selon lui, les jeunes n’ont toutefois pas l’apanage de cette dynamique dans les instances interprofessionnelles. Les anciens peuvent en effet se revendiquer de leur expérience et de leur maturité. Et d’un carnet d’adresses plus garni.
Agir en binôme
C’est un fait que l’appui du titulaire est essentiel à l’implication de l’adjoint dans une telle démarche. Car l’interprofessionnalité est avant tout un projet d’officine qui ne peut être porté sur les seules épaules des adjoints. Du reste, nombre d’entre eux restent réticents à s’engager de manière approfondie. L’interprofessionnalité demande en effet une grande disponibilité, les réunions en soirée (et non rémunérées) ne sont pas rares. Parfois même l’appartenance à un réseau, tel Epco, induit la participation à des congrès.
Pierre-Yves Desplanques affirme prendre sur son temps libre, mais il conçoit que ce qui relève pour lui d’une certaine éthique professionnelle, ne puisse être appliqué par tous les adjoints pour des raisons familiales.
Les formations demandent, elles aussi, une grande disponibilité. Denis Cassaing en sait quelque chose ; pour devenir coordonnateur d’Eduphar, il a dû suivre un DU et une formation de 40 heures. Passionné, il a su fédérer une équipe d’une vingtaine d’acteurs (médecins hospitaliers, diabétologues, diététiciennes, éducateurs sportifs, pharmaciens et infirmiers), dont son ancien titulaire, président de l’association.
L’engagement en tandem titulaire/adjoint n’est d’ailleurs pas rare. Car si le titulaire détient le pouvoir décisionnaire pour mettre en place l’interprofessionnalité du point de vue organisationnel, la présence de l’adjoint est, en retour, un soutien précieux. « J’espère intégrer mon futur adjoint dans mon réseau interprofessionnel. Les adjoints ont un peu plus de disponibilité, mais aussi une autre ouverture, une autre façon de voir les choses », déclare Alexandra Ayme, titulaire de la pharmacie Jean Moulin à Caluire. Comme elle, d’autres titulaires chercher un second pour tenter la traversée.
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