DANS l’accès aux soins, les Français ne sont pas égaux. Cependant, ces inégalités sont plus d’ordre géographique qu’économique. Selon l’enquête IPSOS réalisée pour la FHF*, 69 % des personnes interrogées déclarent avoir déjà eu des difficultés à trouver des professionnels de santé disponibles à proximité dans un délai raisonnable. Soit un point de plus qu’en 2014. Et 21 % affirment avoir même dû renoncer à des soins en raison de l’éloignement géographique.
Pour résoudre ces problèmes, 71 % des sondés prônent la coercition. C’est-à-dire encouragent les pouvoirs publics à réformer pour une répartition équitable des médecins sur le territoire, quitte à leur imposer un lieu d’exercice. Les sympathisants de droite y sont plus favorables que ceux de gauche. François Hollande avait d’ailleurs fait de la préservation de la liberté d’installation une promesse de campagne.
Pour autant, la position des Français n’étonne pas Catherine Lemorton, députée PS de Haute-Garonne et présidente de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale : « Dès lors que la santé publique est du domaine régalien de l’État et que le citoyen solvabilise le système par ses cotisations sociales et la CSG, il est normal qu’il exige de ce même État la présence d’un médecin et d’un pharmacien. » Elle prédit d’ailleurs aux médecins qui durcissent leur position, « un jour l’opinion publique se retournera contre eux ».
Pour l’heure, c’est le soutien de leurs patients que sollicitent les médecins, à l’instar des généralistes roannais. Dans un élan de grève massif de trois jours consécutifs, ils ont manifesté leur angoisse face à l’évolution catastrophique de la démographie médicale, évoquant « épuisement » et « burn out ».
La diagonale du vide.
Une installation réglementée pourrait-elle venir aux secours des prescripteurs ? Devraient-ils être soumis aux mêmes obligations que les pharmaciens pour ravauder un réseau de soins de proximité déjà bien effiloché ?
Jean de Kervasdoué, économiste de la Santé, en doute. Selon lui, aucune mesure ne pourra gommer ce qu’il appelle « la diagonale du vide » - un axe partant du Luxembourg pour gagner le Pays Basque tracé par la désertification médicale. « Forcer les professionnels dans ce domaine ne sert à rien. S’ils n’ont pas envie de s’installer dans une région, ils attendront le moment propice », affirme-t-il. Il en veut pour exemple l’Allemagne où l’assurance-maladie contingente les installations en restreignant les conventionnements.
Pourquoi dans ce cas avoir soumis les pharmaciens à un régime plus coercitif ? Jean de Kervasdoué répond que ses travaux ont démontré que, en dépit du système planifié mis en place en 1941, une importante variation de densité Nord/Sud existe. De son côté, Philippe Gaertner, en tant que président du Centre national des professions libérales de santé (CNPS), estime lui aussi qu’une implantation réglementée des cabinets médicaux aurait un effet néfaste en terme d’attractivité de la profession. Autre difficulté : « Comment régler un changement de régime et équilibrer entre anciens installés et nouveaux entrants ? », s’interroge-t-il.
Pour Albin Dumas, président de l’association de pharmacie rurale (APR), cette régulation ne pourrait avoir qu’un effet inverse : « L’assurance-maladie se focalisera sur les zones périurbaines et cette régulation se fera au détriment des zones rurales plus qu’on ne le pense. » Une meilleure répartition des forces médicales par une réglementation est d’autant plus une fausse bonne idée qu’un « désert médical en Creuse n’a rien à voir avec un désert médical en Seine-Saint-Denis ou même à Paris, où la municipalité subventionne l’installation des médecins », remarque Jean de Kervasdoué.
Délégations et transferts.
Dans ces conditions, quelle alternative proposer pour assurer un accès aux soins équitable ? Pour l’économiste de la santé, une solution serait d’introduire une capitation comme socle de rémunération principale, complétée par une rémunération à l’acte. Des exemples étrangers prouvent que cette option est la plus apte à assurer la permanence des soins. Tout en garantissant l’adhésion des médecins. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Aucun maillage du territoire ne peut s’effectuer sans l’implication des professionnels de santé. C’est ainsi que Philippe Gaertner prône le comblement des déserts médicaux par des conventions, comme cela a été le cas pour les infirmières, et, avant son invalidation par le Conseil d’État, pour les kinés. « Chaque profession libérale doit trouver une solution tout en se préoccupant de la prise en charge de patients », préconise-t-il. Par le jeu de l’interprofessionnalité, la permanence des soins peut être assurée selon les territoires par différents moyens, comme les maisons et pôles de santé ou encore les délégations de tâches et les transferts de compétence. « Ce qui permettrait aux médecins des zones de sous-densité de se concentrer sur leur métier, le diagnostic, la prise en charge générale, tandis que la prévention serait partagée avec d’autres acteurs, tel le pharmacien », explique Philippe Gaertner.
Les Français semblent avoir déjà assimilé cette fonction. Toujours selon le même sondage, ils sont en effet 42 % à rechercher le conseil de leur pharmacien en cas de « souci peu grave mais préoccupant » et même 77 % à se rendre à l’officine en l’absence de leur généraliste. Pour les actes médicaux mineurs, 57 % pensent qu’il faut donner plus de responsabilité aux pharmaciens. Et placent ainsi la profession en seconde position, juste après les infirmiers.
Un enjeu électoral.
C’est dire si les pharmaciens sont très attendus des citoyens. « Nous sommes prêts à répondre à cette attente », affirme Albin Dumas qui, depuis trente ans, dans son officine de Lavelade en Ardèche, arrache tiques et échardes et pose en urgence des pansements.
Mais pour préserver ce capital, encore faut-il veiller à ne pas altérer le maillage des pharmacies. « Si elles disparaissent de certaines zones rurales, il y aura encore moins de médecins », met en garde Catherine Lemorton. La parlementaire est formelle. Ce n’est que par loyauté envers le chef de l’État que les députés socialistes ne se prononcent pas en faveur d’une réglementation sur l’installation des médecins. Mais cela ne saurait être qu’une question de temps. Car, comme l’affirme Catherine Lemorton, « cette question est capable de faire gagner une élection présidentielle ».
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