De l'aveu de tous, le DMP n'aura pas eu la réussite escomptée. Selon les chiffres de l'assurance-maladie, 20 millions de DMP étaient ouverts en 2020. L'objectif de 40 millions pour 2022, fixé il y a 3 ans par l'ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn, et l'ex-directeur général de la Caisse nationale d'assurance-maladie, Nicolas Revel, n'était pas vraiment en passe d'être atteint. Il fallait donc repartir sur un projet nouveau et c'est ce qui a conduit au lancement de l'espace numérique de santé (ENS), aussi appelé « Mon espace santé ». Une version augmentée, plus moderne et plus complète du DMP. Lequel, ne disparaît pas néanmoins.
Le stockage et le partage des données de santé (ordonnances, résultats d’examens, ou encore antécédents médicaux et allergies…), le principe du DMP donc, constitue en effet la première « brique » de « Mon espace santé ». Ce nouvel outil sera d'abord disponible sur un site Web puis, dans un second temps, via une application mobile. Il comprendra trois autres fonctionnalités : une messagerie sécurisée pour échanger avec les professionnels de santé, un agenda pour noter et retrouver ses rendez-vous médicaux et un store, soit un « magasin » virtuel, où seront référencées des entreprises en santé (proposant par exemple des services de télésanté ou de retour à domicile), avec lesquelles les utilisateurs pourront être mis en relation s'ils le souhaitent. Cette dernière fonctionnalité ne sera opérationnelle qu'après quelques semaines, le temps que les entreprises candidates, choisies sur des critères éthiques, soient référencées. L'ensemble des données contenues dans « Mon espace santé » sont « hébergées en France dans un environnement sécurisé » assure la délégation ministérielle au numérique en santé. Une centaine d'hébergeurs a déjà reçu la certification délivrée par l'Agence du numérique en santé.
Des expérimentations pas totalement convaincantes
C'est au cours de l'année 2021 que l'assurance-maladie avait annoncé la généralisation de « Mon espace santé », à compter du 1er janvier 2022. L'ensemble des assurés (« Mon espace santé » concerne également les mineurs) vont recevoir d'ici au mois de mars un courrier, ou un mail, qui les informera de l'existence du dispositif. À la réception du document, les assurés auront alors un délai de 6 semaines pour s'opposer à la création de leur profil, s'ils le souhaitent. Une démarche qu'il est possible d'effectuer en appelant le support téléphonique (au numéro 3422) ou directement sur le site « www.monespacesante.fr » en entrant un code provisoire (mentionné dans le courrier) et son numéro de Sécurité sociale.
Bien en amont de cette généralisation, qui fera l'objet d'une campagne de communication dans les prochaines semaines, des expérimentations ont eu lieu l'an dernier dans trois départements. Les assurés de la Haute-Garonne, de la Loire-Atlantique et de la Somme ont tous été informés de l'ouverture de leur profil « Mon espace santé » entre le 30 août et le 15 septembre 2021. Selon un document de l'assurance-maladie dont le site « TIC Santé » a pu avoir copie, un peu plus de 3,3 millions de profils ont été créés sur près de 3,4 millions de notifications envoyées. Ce qui signifie que moins de 100 000 personnes se sont formellement opposées à la création de leur espace personnel. « Le taux d'opposition a été beaucoup plus faible que ce que l'on attendait », observe David Sainati, coordinateur interministériel de la stratégie d'accélération santé numérique. Dès le mois de novembre, l'assurance-maladie se félicitait d'ailleurs du déroulé de cette phase d'expérimentation, qu'elle qualifiait de « réussite » Peut-être un peu vite car sur les 3,3 millions de profils ouverts, seulement 168 000 étaient réellement activés, soit à peine 5 % !
« Aucune action de terrain n'a été menée »
Aussi, la réussite future de « Mon espace santé » ne pourra se mesurer uniquement au nombre de profils ouverts. En effet, de nombreux assurés pourraient, par défaut, détenir un espace santé sans pour autant l'utiliser concrètement… Titulaire à Blagnac, en Haute-Garonne, l'un des départements pilotes, Laurent Filoche estime ne pas avoir été bien informé en tant que pharmacien lorsque l'expérimentation a démarré l'an dernier. « En tant qu'assuré social j'ai en effet reçu un courrier pour m'annoncer qu'un profil allait être ouvert à mon nom, mais il n'y a eu aucune communication en direction des professionnels de santé, rien n'a été fait au niveau du terrain, souligne Laurent Filoche, qui était pourtant bien au fait du projet, ayant participé au groupe pilote du Ségur du numérique. « Il y a eu un défaut d'information des patients, aucun d'entre eux ne m'a jamais posé la moindre question au sujet de « Mon espace santé ». Après, il faut bien dire que le contexte est particulier, ce qui préoccupe les patients aujourd'hui c'est le Covid et recevoir leur dose de rappel. »
Également accaparés par le Covid, les pharmaciens doivent aussi se concentrer sur d'autres enjeux, comme la sérialisation. « On a la tête dans le guidon, donc « Mon espace santé » pour l'instant c'est un non-sujet pour moi. Il y a un autre point bloquant ensuite, ce sont les LGO. S'ils ne sont pas reliés à ce nouvel espace numérique, cela ne va pas fonctionner. Or, aujourd'hui, ils ne sont pas prêts du tout », observe Laurent Filoche.
Les LGO à la traîne
Le frein que pourraient constituer les LGO quant à l'adhésion des pharmaciens pour l'outil « Mon espace santé », Laurent Filoche n'est pas le seul à l'évoquer. Porte-parole de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), Gilles Bonnefond alerte également sur ce problème. « On voit bien à quel point c'est compliqué pour certains éditeurs de logiciels de se mettre à la page. Pour le DMP, nous avons déjà été freinés par les LGO, qui n'étaient pas prêts. Il faut qu'ils repensent complètement leur architecture. Il faut mettre un énorme coup d'accélérateur et, pour l'instant, nous en sommes loin. » Le retard des LGO est tel que, selon Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), les pharmaciens ne pourront pas s'emparer pleinement du nouvel espace numérique de santé avant… 2023. « Il ne va pas apporter grand-chose aux pharmaciens en 2022. Il faudra en effet attendre que de nouveaux logiciels métier soient conçus pour intégrer les fonctionnalités de « Mon espace santé » », confirme-t-il.
Le pharmacien aura un rôle important à jouer
Autre question en attente de réponse du côté des pharmaciens : quelles incitations financières seront prévues pour les motiver à se servir de ce nouvel outil ? « Cela fera l'objet de négociations, précise Gilles Bonnefond. Il faudra en tout cas une révision complète de la ROSP Structures pour qu'elle devienne une réelle incitation au développement de l'e-santé. », estime-t-il. Le porte-parole de l'USPO en est toutefois convaincu, à terme, « Mon espace santé » sera un outil « parfaitement utile pour les pharmaciens ». Ces derniers auront un rôle crucial à jouer pour favoriser son appropriation par les patients. « Au début, le DMP ne s'est pas développé parce que l'on avait exclu les pharmaciens, ensuite cela a été rectifié et nous l'avons fait connaître autour de nous », rappelle Gilles Bonnefond. « Si ce n'est pas relayé par les pharmaciens au comptoir, cela ne prendra pas », confirme de son côté Laurent Filoche.
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