Diphtérie, Tétanos, Poliomyélite : trois vaccinations obligatoires, mais pas de vaccin correspondant disponible. Le Conseil d’État, qui avait été saisi par une association anti-vacccin, l’Institut pour la protection de la santé naturelle (IPSN), sur cette incohérence, a tranché : cet état de fait n’est pas acceptable juridiquement. « La loi, qui n’impose que trois obligations de vaccinations, implique nécessairement qu’il soit possible de s’y conformer », indique la juridiction. Le gouvernement a donc 6 mois pour mettre à disposition un vaccin DTP seul.
Augustin de Livois, président de l’IPSN, se félicite de ce jugement : « Le Conseil d’État constate l’incohérence entre l’obligation vaccinale et ce qui existe sur le marché. » En revanche, il est important de rappeler que le Conseil d’État n’a pas repris l’argumentaire des plaignants qui invoquaient les risques associés à la présence d’adjuvants aluminiques et de formaldéhyde dans les vaccins non obligatoires. « Aucun élément sérieux n'est apporté sur l'existence d'un risque d'atteinte à l'intégrité de la personne et de mise en danger d'autrui », a conclu le Conseil d’État.
La ministre de la Santé indique avoir « saisi immédiatement les services du ministère et de l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour que l’État puisse mettre en œuvre cette décision dans le délai imparti ». Ce « travail s’inscrira dans la réflexion engagée sur la politique vaccinale qui pourrait faire évoluer le cadre législatif », poursuit Marisol Touraine.
Mais en pratique, quels scénarios sont envisageables ? Obliger les laboratoires à produire des vaccins avec uniquement les valences DTP ? Autoriser d’autres fabricants à exploiter les brevets des vaccins DTP via une licence d’office ? « Pour cela, il faudrait établir et déposer un dossier d’AMM, ce qui prendrait des années, fait remarquer Daniel Floret, ancien président du Comité technique des vaccinations. De plus, les firmes refuseront de produire des vaccins pour un très faible nombre de doses. » Et surtout, développer un vaccin DTP seul n’a plus de raison d’être. « Vacciner les enfants uniquement contre le DTP est une aberration aujourd’hui », affirme Alain Fischer, professeur d’immunologie pédiatrique et président du Comité d'orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination. « Il existe d’autres vaccins tout aussi importants qu'il est indispensable d'administrer à nos enfants pour assurer leur protection : contre la coqueluche, les infections invasives à Hæmophilus influenzae de type b et l’hépatite B », explique-t-il. D’ailleurs, aujourd’hui, le calendrier vaccinal recommande la vaccination des enfants contre toutes ces pathologies, et aucun pays ne réalise la vaccination avec le vaccin DTP seul. C’est aussi pour cette raison qu’ont été mis sur le marché des vaccins hexavalents, qui confèrent une protection contre l’ensemble de ces maladies en évitant la multiplication des injections.
Miser sur le kit DT Polio
Le gouvernement pourrait aussi entamer des discussions avec les laboratoires fabricants de vaccins, notamment Sanofi Pasteur qui met déjà à disposition, depuis 2008, des kits spéciaux ne contenant que les vaccins obligatoires (vaccin Diphtérique et Tétanique adsorbé + vaccin Imovax polio) aux enfants présentant des contre-indications et à ceux dont les parents ne veulent qu'une vaccination contre le DTP. Ce kit est envoyé gratuitement par le laboratoire, sur demande du médecin prescripteur. En 2016, 2 362 demandes de ce kit ont été satisfaites, ce qui correspond à une vaccination complète (3 doses) pour 780 enfants. « Depuis 2008, toutes les demandes ont été honorées », précise Christelle Chave, responsable de la communication chez Sanofi Pasteur. Mais on ne sait pas si le laboratoire pourrait répondre à une forte demande. Et on ignore aussi dans quelle mesure la demande pourrait augmenter. Néanmoins, le laboratoire « se tient à la disposition des pouvoirs publics pour discuter des scénarios pouvant être mis en place », indique Christelle Chave. En revanche, le vaccin DTPolio, dont la commercialisation a cessé en 2008 suite à la notification de complications allergiques, ne réapparaîtra pas sur le marché, confirme le laboratoire.
Les deux options
Le gouvernement pourrait opter pour une autre solution, celle de lever totalement l’obligation vaccinale : « Ainsi, il n’y aurait plus de nécessité d’avoir des vaccins uniquement DTP, qui ne sont utilisés que par 2 ou 3 % de population. Et pour lever l’obligation vaccinale, il suffit d’un décret », déclare Daniel Floret, qui estime qu’une telle décision n’aurait pas plus de conséquences que cela : « Je ne suis pas sûr qu’on lève la défiance en rendant tout obligatoire, déclare-t-il. Quant aux anti-vaccins, leurs enfants ne sont de toute façon pas vaccinés : les parents ont recours à des faux certificats, ou font vacciner leurs enfants avec des vaccins DTP adultes, qui ne sont pas adaptés » (le Revaxis, N.D.L.R.). D’autre part, Daniel Floret est convaincu qu’il faudra se mettre à niveau des pays européens tels que la Grande Bretagne ou l’Allemagne, qui n’ont pas d’obligations vaccinales, mais uniquement des recommandations. « Il va falloir arrêter les exceptions culturelles françaises », déclare-t-il.
Cependant, pour Alain Fisher, une levée de l’obligation vaccinale serait prématurée en France : « Elle comporterait un risque de faire chuter la couverture vaccinale, étant donné la défiance des Français vis-à-vis de la vaccination. » Le professeur propose une solution diamétralement opposée. À savoir celle d’étendre, transitoirement, l’obligation vaccinale aux 11 vaccins pédiatriques (diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche, Hæmophilus influenzae b, hépatite B, pneumocoque, méningocoque C, rougeole, oreillons et rubéole). C’est d’ailleurs la recommandation du Comité d’orientation de la concertation citoyenne, qui propose de compléter cette extension par une clause d'exemption pour les parents qui resteraient hostiles à la vaccination, et qui devraient engager leur responsabilité par écrit. « La décision du Conseil d’État, purement juridique, est une occasion pour tout remettre à plat », estime Alain Fischer.
Toutefois, toute mesure prise devra s’accompagner d’une grande campagne d’information, avec des données scientifiques claires, des formations pour les professionnels de santé et les élèves à l’école. « Ces actions viendront améliorer la confiance en la vaccination et, à terme, on devrait rejoindre nos voisins européens chez lesquels il n’y a pas d’obligation vaccinale, car la confiance est excellente, souligne Alain Fischer. Dans cette attente, il est impératif de faire en sorte que les enfants soient vaccinés correctement et ne pas risquer que se déclare une épidémie, comme ce fut le cas en France avec la rougeole. Si la maladie est souvent bénigne, elle peut aussi avoir des complications graves. L'épidémie de rougeole, qui a surtout sévi en 2011, a entraîné 1 500 pneumopathies graves, 34 complications neurologiques et 10 décès. »
Cependant, une modification de l’obligation vaccinale devra passer par une loi, alors qu’une levée de l’obligation vaccinale ne nécessiterait qu’un décret. « Modifier la loi paraît difficile d’ici à la présidentielle », souligne Marisol Touraine.
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