En 2020, 25,5 % des Français déclaraient fumer tous les jours selon un sondage de Santé publique France mené en métropole. En 2019, ce pourcentage s'élevait à seulement 24 %. Si le nombre de fumeurs quotidiens a baissé continuellement durant plusieurs années (il atteignait encore 28,5 % en 2014), cette diminution a donc été stoppée l'an dernier. Malgré ce léger repli, l'augmentation graduelle du prix des cigarettes et la prévention ont tout de même porté leurs fruits. À lui seul, le programme Mois sans tabac a déclenché 1,8 million de tentatives d'arrêt depuis son lancement en 2016.
Néanmoins les chiffres observés en 2020 incitent à trouver d'autres pistes pour limiter encore davantage le nombre de fumeurs en France. C'est en tout cas l'ambition du député (LREM) du Rhône, Jean-Louis Touraine, qui a déposé un amendement au projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022. Son but : offrir au pharmacien un rôle bien plus important dans l'accompagnement des patients pour le sevrage tabagique.
Substituts nicotiniques : le pharmacien bientôt prescripteur ?
Adopté par l'Assemblée nationale le 22 octobre, cet amendement entend précisément donner la possibilité à l'État « d'autoriser, pour une durée de deux ans et à titre expérimental, dans trois régions, la prise en charge par l’assurance maladie des traitements du sevrage tabagique par des substituts nicotiniques lorsqu’ils sont dispensés par les pharmaciens d’officine sans ordonnance ». Une proposition qui s'est longtemps heurtée à des refus, comme l'a rappelé Jean-Louis Touraine au sein même de l'hémicycle. « Nous soutenons cette proposition depuis une dizaine d’années. Elle a été repoussée lors de chaque PLFSS, au motif que le pharmacien ne pouvait être un prescripteur. » Les temps ont donc changé comme l'élu, par ailleurs professeur de médecine, s'en félicite. « Les substituts nicotiniques ne présentent aucun risque de dérive ou de mésusage. Il semblait donc intéressant de permettre aux pharmaciens de les délivrer, afin d’éviter aux fumeurs de devoir obtenir un rendez-vous préalable chez un médecin et une ordonnance, un parcours décourageant. » L'objectif de ces expérimentations est en effet celui-ci : « Analyser l’impact d’un parcours simplifié pour les patients et d’une prise en charge facilitée en officine sur la diminution du nombre de fumeurs et sur les conséquences en termes de dépenses remboursées. »
Les syndicats de médecins vent debout
Tout juste adopté par l'Assemblée nationale, l'amendement a vite été repéré par les syndicats de médecins libéraux qui se sont empressés de contester le projet. Cette délégation de tâche met notamment en colère Jacques Battistoni, président du syndicat MG France. « Les médecins n'ont pas besoin d'être "soulagés" de cette tâche qui fait pleinement partie de nos missions. Les généralistes sont très bien formés à la prise en charge des addictions. On ne nie pas le fait que les pharmaciens puissent avoir un rôle à jouer mais il est hors de question de mettre les généralistes sur la touche. » Ulcéré par cet amendement (et tous les autres prévus dans le PLFSS 2022 qui visent à déléguer des tâches assumées par les généralistes à d'autres professions de santé), Jacques Battistoni ne compte pas en rester là. Dans un communiqué, il appelle ses adhérents à « suspendre leur participation aux expérimentations en cours sur le nouveau Service d'accès aux soins (SAS) » pour protester contre des « transferts de tâches incohérents qui désorganisent le parcours de soins sans améliorer le suivi des patients », selon lui.
En dépit des arguments présentés par les syndicats de médecins, il semble pourtant que les patients privilégient déjà d'autres moyens que la consultation chez le généraliste pour réussir à arrêter de fumer. Si l'aide d'un professionnel de santé « augmente de 70 % les chances de réussir son sevrage », rappelle Santé publique France, la méthode la plus utilisée pour le sevrage tabagique aujourd'hui se nomme… la cigarette électronique, bien qu'elle ne soit pas recommandée dans cette indication, « son efficacité et son innocuité n'ayant pas été suffisamment évaluées », souligne la Haute Autorité de santé (HAS). L'utilisation de substituts nicotiniques (patchs et gommes) est ensuite la deuxième solution la plus fréquemment choisie devant les consultations chez un médecin, qui n'arrivent, elles, qu'en troisième position.
Pas avant l'automne 2022, dans le meilleur des cas
Si un grand pas semble avoir été franchi avec cet amendement, la route est encore longue avant de voir les premiers pharmaciens se lancer dans ces expérimentations, comme veut le rappeler Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Cet amendement (comme l'ensemble du PLFSS) est actuellement débattu au Sénat, il reviendra ensuite à l'Assemblée nationale. » Le PLFSS 2022 doit être adopté avant le 30 novembre pour une entrée en vigueur le 1er janvier. Sous la pression du lobbying des médecins, « il n'est pas impossible que le Sénat modifie le texte », estime le président de la FSPF. Son homologue de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), lui, se montre un peu plus optimiste sur ce point. « Les kinés, les dentistes, les sages-femmes, pour ne citer qu'eux, peuvent déjà prescrire des substituts nicotiniques, rappelle Pierre-Olivier Variot. Politiquement, cette mesure embête les médecins, c'est certain, mais il y a d'autres sujets bien plus importants pour eux. Je pense que le Sénat aura mieux à faire que de modifier cet amendement. »
Une fois le PLFSS définitivement voté, l'amendement, s'il a survécu d'ici là, ne se traduira pas tout de suite dans la réalité, quoi qu'il arrive. « Ces expérimentations devront ensuite être encadrées par décret. La date à laquelle elles pourront démarrer sera également conditionnée aux négociations sur la convention pharmaceutique. Quand ces dernières auront abouti, il y aura un délai de 6 mois à respecter. Concrètement, si ces expérimentations peuvent avoir lieu, ce ne sera pas avant l'automne 2022 dans le meilleur des cas », résume Philippe Besset.
Quels traitements et quels honoraires ?
Le décret en question, lui, fera l'objet d'âpres négociations, notamment au sujet des traitements qui seront concernés. Si pour Philippe Besset, l'intégration des médicaments tels que la varénicline ou le bupropion n'est pas envisagée, Pierre-Olivier Variot, lui, ne s'interdit rien. « Pourquoi pas à l'avenir, confirme-t-il, il faudra en discuter. » La principale question à régler reste cependant le montant des honoraires pour le pharmacien. « Ce qui est sûr, c'est que la prise en charge ne s'appliquera pas pour la vente seule de substituts nicotiniques, ce n'est pas ça l'idée. Ce qui sera surtout important c'est l'entretien, souligne Philippe Besset. Nous n'avons pas encore commencé les travaux mais il y a déjà des questions qui se posent. Est-ce que l'entretien et la prescription de substituts nicotiniques devront être faits de façon concomitante ? Le pharmacien pourra-t-il renouveler des traitements commencés dans une autre officine ou le patient devra-t-il absolument choisir une pharmacie référente ? », s'interroge le président de la FSPF. S'il affiche encore une certaine prudence et attend de voir la suite des événements, Philippe Besset est tout de même très heureux d'avoir réussi à faire aboutir (ou presque) un dossier sur lequel son syndicat travaille « depuis plusieurs années ».
Un sentiment de satisfaction que partage Pierre-Olivier Variot. « Cela fait 4 ans que l'on est dessus, c'est un travail de longue haleine. C'est justement parce que le dossier était bloqué depuis longtemps que l'on a proposé de passer par le stade des expérimentations. La stratégie de lutte contre les cancers 2021-2030, (dévoilée en début d'année par le président de la République), et le fait que le nombre de fumeurs quotidiens a arrêté de diminuer en 2020, nous ont sûrement aidés à mener ce dossier à bien », analyse le président de l'USPO.
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