Depuis la fin du mois de mars, le gouvernement évoque des « masques alternatifs » qui ne sont ni des FFP2, ni des masques chirurgicaux - ceux-là étant réservés aux professionnels de santé en première ligne - pouvant être produits massivement pour les professionnels de deuxième ligne, comme les employés de caisse dans les supermarchés. Une manière d’ouvrir la voie à un changement de doctrine ? On a d’abord répété aux Français qu’il ne fallait pas porter de masque à moins de s'occuper d'une personne fragile. Puis que le risque de mésusage du masque pouvait être une porte d’entrée à la maladie, il valait donc mieux s'en passer. Ensuite que l’utilisation d’autres masques était une mauvaise idée parce qu’ils n’ont aucune validation quant à leur efficacité.
Volte-face. Désormais, le masque est recommandé en population générale pour réduire la diffusion du virus par les voies aériennes. Même si les autorités le reconnaissent du bout des lèvres. Lors d'un point presse lundi soir, le ministre de la Santé Olivier Véran répond au " Quotidien " que « la réflexion sur le port du masque en population générale » est à nouveau en train d'être étudiée par « les autorités scientifiques de ce pays » pour « déterminer si notre doctrine doit évoluer ». Quant à admettre que l'usage généralisé du masque dans l'Asie du Sud-Est - durement touchée par le passé par les épidémies de SRAS et de Mers-CoV - a sa raison d'être, il continue à mettre en garde : « Attention encore une fois, il y a de la vigilance sur cette question fondamentale. » Il réfute tout « changement radical de la doctrine ». L'examen se fait « avec humilité face à un risque inconnu et face à l'évolution des données tant au niveau national que depuis l'étranger ». Et de citer l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui prévient que « le port du masque ne doit surtout pas pénaliser les gestes barrières qui sont encore plus protecteurs ».
Vers un masque grand public ?
Le 3 avril, Mike Ryan, expert en situations d’urgence a l'OMS, a néanmoins admis que « l’idée d’utiliser des masques recouvrant les voies respiratoires ou la bouche pour empêcher que la toux ou le reniflement projette la maladie dans l’environnement et vers les autres n’est pas mauvaise ». Un premier pas. Suivi le jour même par le directeur de santé publique (DGS) Jérôme Salomon lors de son point presse quotidien sur l’évolution de l’épidémie en France. « La notion d'accès de l'ensemble du public à un masque grand public ou alternatif peut être encouragée. » Trois semaines plus tôt pourtant, lors de ce même point presse quotidien, il appelait les Français à ne pas porter de masque inutilement et à faire preuve de solidarité pour les réserver aux soignants. Toujours le 3 avril, l’Académie nationale de médecine a diffusé un avis pris la veille sur les « mesures barrières renforcées ». Elle y recommande le port d’un masque dit grand public « pendant et en phase de sortie de confinement », de façon à continuer de réserver les FFP2 et les masques chirurgicaux aux soignants.
Comme un clin d'œil à ces revirements, la revue scientifique « Nature » publiait elle aussi le 3 avril les résultats d’une étude menée sur 246 patients à Hong Kong de mars 2013 à mai 2016, confirmant l’efficacité des masques chirurgicaux portés par des patients pour limiter la circulation des coronavirus, des rhinovirus et des virus de la grippe.
Des prescriptions illicites
Les effets de ces annonces ne se sont pas fait attendre. Dès la fin de la semaine dernière, des patients munis de prescription assaillaient les officines. « C'est reparti de plus belle ! », s'exaspère Jocelyne Wittevrongel, titulaire dans l'Indre et secrétaire générale de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), rappelant qu'au début de l'épidémie les pharmaciens avaient déjà fait face à un certain nombre de prescriptions de masques, le plus souvent en provenance des services hospitaliers. « Un chef de service hospitalier m'a même adressé une prescription d'une boîte de 60 masques pour une infirmière… hospitalière ! », s'indigne-t-elle.
Ajoutées à cette confusion, les annonces malencontreuses des médias grand public, et il n'en fallait pas davantage pour que les pharmaciens soient à nouveau confrontés aux pressions de la population. « J'entends le message de l'Académie de médecine et de l'Académie de pharmacie qui incitent à porter un masque. C'est une bonne idée sauf que des masques, il n'y en a pas en officine. Ils sont réservés aux soignants », déclare Philippe Besset, président de la FSPF, sur les chaînes de télévision. Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP), met en garde la profession : « A ce stade, les pharmaciens d'officine ne peuvent honorer la prescription médicale de masques. Ils sont chargés de distribuer les dotations reçues aux professionnels de santé. » Elle est catégorique : « Les pharmaciens doivent refuser de dispenser des masques. Ils sont passibles de sanctions s'ils le font. » Une nouvelle fois, les pharmaciens français, respectueux de la doctrine, se trouvent pris en étau par des annonces intempestives.
Mesure barrière supplémentaire
Cette volte-face opérée en France intervient alors que de nombreux pays se sont déjà positionnés pour l’obligation du masque en population générale. En Europe centrale, la République Tchèque a fait ce choix dès le 19 mars, suivie le 25 mars par la Slovaquie et le 30 mars par la Slovénie. Un choix parfois critiqué au sein même de ces pays en référence à la position de l’OMS de l’époque. Réponse : en plaquant un masque ou un foulard sur sa bouche et son nez, on ne produit pas d’aérosol, on ne disperse donc pas le virus. Une réponse dont d’autres pays s’emparent progressivement. Depuis dimanche, deux régions italiennes – la Lombardie et la Toscane – exigent que les habitants se couvrent le nez et la bouche dès qu’ils sortent de chez eux. Depuis lundi, l’Autriche impose le port du masque au supermarché. Point commun à toutes ces décisions : chacun rappelle qu’il s’agit d’une mesure barrière supplémentaire qui ne doit aucunement remplacer les autres et n’autorise pas à contrevenir aux règles de confinement.
Dans la perspective d'un déconfinement « à la française », la stratégie du port obligatoire d'un masque en tissu – dit alternatif — semble désormais la plus probable, les tests de dépistage en nombre suffisant étant hypothétiques. Sans parler du tracking qui resterait facultatif au regard de la réglementation de la protection des données (RGPD). L'Association française de normalisation (AFNOR) a anticipé cette sortie de crise en publiant un référentiel de masques barrières, selon des critères validés par près de 150 experts. Ces masques destinés à toute personne saine, en complément des gestes barrières et de la mesure de distanciation, peuvent être produits de manière artisanale ou en série par des entreprises textiles ou de la plasturgie. À l'appui de ce guide, les fabricants de dispositifs médicaux, tels que Gibaud, Innothéra, Sigvaris ou encore Thuasne, ont déjà mobilisé une partie de leur outil industriel.
Pour une délivrance à l'officine
Mais alors même que ces entreprises font partie des fournisseurs historiques de l'officine, les pharmaciens ne sont pas autorisés, pour l'heure, à vendre ces produits qui ne sont pas des masques médico-chirurgicaux. Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), incite la profession à la plus grande prudence. « Pour l'instant abstenez-vous ! Si la doctrine change, il faudra alors définir les masques que les pharmaciens peuvent vendre et à quelle catégorie de personnes », met-il en garde. Reste donc à lever un dernier verrou pour que ce nouveau marché s'ouvre à l'officine. Une étape que la profession, unie, est bien décidée à franchir. Dans un communiqué commun, le CNOP, la FSPF et l'USPO ont demandé instamment, lundi 6 avril, au ministre de la Santé que les officines puissent vendre ces masques non sanitaires. Il suffirait pour cela de les inclure aux équipements de protection individuelle respiratoire (EPI) déjà dispensés en officine. Ou bien de faire évoluer la liste des marchandises pouvant être commercialisées en officine. Comme le relèvent les représentants de la profession, l'officine doit pouvoir répondre aux attentes légitimes des patients.
Ceci est d'autant plus indispensable que certaines municipalités imposent le port du masque par arrêté. C'est le cas de Sceaux (Hauts-de-Seine), dont le maire oblige depuis mercredi ses administrés dès l'âge de 10 ans à se couvrir le visage lorsqu'ils sortent de chez eux. Dans le Sud, les villes de Nice, Cannes et Mandelieu-la-Napoule vont distribuer gratuitement des masques en tissu aux habitants à porter dans l'espace public sous peine d'amende. Le mot d'ordre se généralise : Sortez couverts !
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