Décembre 2017, publicité interdite pour tout vasoconstricteur par voie orale y compris dans l’officine. Janvier 2020, communication renforcée via le pharmacien pour éviter l’utilisation de la pseudoéphédrine. Octobre 2020, opération de communication reconduite en pharmacie. Octobre 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) déconseille formellement l’utilisation de ces vasoconstricteurs en cas de rhume. Une communication signée par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) et le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP), ainsi que par le Collège de médecine générale (CMG) et le Conseil national professionnel d’ORL (CNP-ORL).
L’agence n’en démord pas, il convient de limiter toujours davantage l’usage de la pseudoéphédrine. C’est pourquoi elle a fait valoir son analyse auprès de l’Agence européenne du médicament (EMA) qui a décidé à son tour, en février dernier, de mener une réévaluation du bénéfice-risque par le biais de son comité de pharmacovigilance (PRAC). Les conclusions sont attendues fin novembre ou début décembre. En cause ? « Des infarctus du myocarde et des accidents vasculaires cérébraux [qui] peuvent se produire après utilisation de médicaments vasoconstricteurs », explique l’ANSM dans sa communication du 22 octobre. Des accidents rares mais graves, et surtout qui persistent « en dépit des actions déjà mises en place ».
Pas d’AVC pour un nez bouché
En mai dernier, le médecin pharmacologue du CHU de Toulouse, François Montastruc énumérait pour « Le Quotidien du pharmacien » les effets indésirables connus de longue date de la pseudoéphédrine : insomnies, céphalées, convulsions, hallucinations et effets cardiovasculaires. Mais aussi d’autres événements plus récemment documentés, « des syndromes d'encéphalopathie réversible postérieure (PRES) ou de vasoconstriction cérébrale réversible (RCVS) ». Ces deux syndromes sont dus à une réduction de l'apport sanguin au cerveau, ils se manifestent par des céphalées, nausées et convulsions, ils peuvent entraîner des complications majeures pouvant aller jusqu'au décès.
Or, si les vasoconstricteurs par voie orale sont efficaces pour décongestionner et stopper l’écoulement nasal, ils ne sont pas indispensables. « On ne risque pas un AVC pour un nez bouché », lâche, plus prosaïquement, la directrice générale de l’ANSM, Christelle Ratignier-Carbonneil. C’est exactement le message que passait François Couchouron, titulaire à Bordeaux, en 2017, lorsqu’il a retiré tous les médicaments à base de pseudoéphédrine de son rayon conseil et signalé son choix par une affichette : « Un rhume ne vaut pas un AVC. » Son initiative avait reçu nombre de félicitations de ses confrères. De fait, en mars dernier, un sondage du « Quotidien du pharmacien » a confirmé que pour 66 % des pharmaciens, un retrait du marché de la pseudoéphoédrine serait vécu comme « une bonne nouvelle ». Et sept mois plus tard, la tendance s’accentue. À la question « déconseillez-vous la pseudoéphédrine orale ? », 76 % répondent oui (sondage en ligne du 23 au 29 octobre).
Ni retrait, ni relistage
Cependant, le spectre d’un relistage, évoqué plus tôt cette année, semble exclu. Peut-être un effet du travail interprofessionnel mis en place par l’ANSM et incluant des représentants de médecins et de pharmaciens. Ainsi, souligne Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO et partie prenante du comité d’interface de l’ANSM sur le sujet, un relistage serait une mauvaise solution puisqu’il ne permet ni d’éviter des effets indésirables imprévisibles, ni de garantir le bon usage. Pour lui, soit la pseudoéphédrine n’est pas dangereuse et doit continuer à être disponible sans ordonnance, soit elle est dangereuse et doit alors être retirée du marché. Et dans ce cas, charge aux autorités sanitaires de « recréer un arsenal à la main du pharmacien ». Une demande que Pierre-Oliver Variot a transmise à l’ANSM avec le sentiment d’avoir été entendu.
Quant à un retrait du marché, réclamé à intervalle régulier depuis au moins 2007 par la revue « Prescrire », l’éventualité n’est pas à l’ordre du jour de l’agence du médicament française, encore échaudée par l’expérience faite en 2013 avec Diane 35. Cette année-là, en février, alors qu’elle se rachète une virginité sous un nouveau nom après le scandale du Médiator et qu’elle est bousculée par l’affaire des pilules de 3e et 4e générations, l’ANSM suspend l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’antiacnéique, trop souvent utilisé comme contraceptif. Cette décision, s’appuyant sur plusieurs études et sur les données de pharmacovigilance, conclut à un bénéfice-risque défavorable et entre en application trois mois plus tard. Au moment même où le comité de pharmacovigilance (PRAC) de l’Agence européenne du médicament (EMA) estime que Diane 35 et ses génériques conservent un bénéfice-risque favorable mais doivent faire l’objet de nouvelles restrictions de prescription pour minimiser le risque thromboembolique. Dont acte de la Commission européenne. Puis de l’ANSM, contrainte de lever la suspension d’AMM en janvier 2014.
Aide à la dispensation
Or, d’après le sentiment général des différents acteurs concernés par le sort de la pseudoéphédrine, contrairement à ce qu’il s’est passé pour la pholcodine, l’avis du PRAC ne devrait pas aboutir à un retrait d’AMM, tout au plus à des restrictions d’usage. Ce que l’ANSM s’est déjà employée à mettre en œuvre ces six dernières années, avec des résultats probants : « Entre l’hiver 2016-2017 et l’hiver 2019-2020, les ventes des spécialités indiquées dans le rhume par voie orale avec vasoconstricteur ont chuté de 46 %, passant de 7,5 millions de boîtes vendues à 4 millions. Si on s’attache aux ventes de l’hiver 2016-2017 et à celles de l’hiver dernier (hiver 2020-2021) la diminution est encore plus importante, avec une chute de 80 % pour les vasoconstricteurs oraux et de 72 % pour ceux de la voie nasale (sur prescription médicale obligatoire - N.D.L.R.). »
La méthode d’encadrement progressive, par série d’actions ciblées, porte donc ses fruits. Pour une adhésion large des professionnels de santé concernés, l’ANSM a privilégié la concertation interprofessionnelle qui a permis d’aboutir, le 22 octobre dernier, à cette recommandation formelle de déconseiller les vasoconstricteurs par voie orale signée notamment avec les syndicats et l’Ordre des pharmaciens. Pour soutenir les officinaux dans leurs efforts, l’ANSM met à leur disposition depuis 2020 un document destiné aux patients et actualisé l’hiver dernier : « Vous avez un rhume, que faire ? ». Le but : rappeler les mesures d’hygiène à adopter en première intention en cas de rhume, présenter les effets indésirables qui peuvent être associés aux vasoconstricteurs et les guider dans la conduite à tenir en cas de signes évocateurs. Une fiche d’aide à la dispensation est également proposée aux confrères, présentant une check-list des questions à poser avant toute dispensation de vasoconstricteurs par voie orale, et insistant sur les conditions de bon usage de ces spécialités à rappeler au patient.
Sept jours de patience
Mais alors, par quoi remplacer la pseudoéphédrine au comptoir ? Par les conseils d’hygiène habituels : nettoyer le nez avec des solutions de lavage tels que les sprays d’eau de mer, boire suffisamment, dormir la tête surélevée, aérer le logement et maintenir une atmosphère entre 18 °C et 20 °C. Et en cas de douleurs musculaires ou/et de fièvre : du paracétamol. Pour la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT), qui dénonce depuis de nombreuses années la banalisation des vasoconstricteurs par voie orale, « ces médicaments anciens n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité » et « n’ont aucune place dans la prise en charge des symptômes du rhume ». Tout comme la plupart des produits et autres remèdes communément utilisés. Une étude parue en 2018 dans le « British Medical Journal » (BMJ), intitulée « What treatments are effective for common cold in adults and children ? », écarte ainsi pour absence d'efficacité antiviraux, plantes médicinales chinoises, échinacée, huile d’eucalyptus, ail, ginseng, miel, corticoïdes par voie nasale, probiotiques, vitamine C, zinc, humidificateur d’air… Quant aux huiles essentielles, l’UFC-Que Choisir rappelle dans son plaidoyer anti-pseudoéphédrine qu’elles sont « à éviter : elles aussi sont responsables d'effets secondaires et certaines irritent les voies respiratoires ».
Pour résumer, l’arsenal thérapeutique à la main du pharmacien continue à se réduire. Sauf à imaginer que la délivrance par les confrères de médicaments jusqu’alors à prescription médicale obligatoire (PMO) se développe dans le cadre de protocoles nationaux dans certaines pathologies, comme c’est le cas dans l’angine et la cystite simple. Actuellement, dans le rhume, le conseil doit se limiter aux gestes d’hygiène et au paracétamol, et appeler à la patience des malades. Car, insiste la SFPT qui a fait sien cet « adage populaire » : « Un rhume non soigné dure 7 jours, soigné il dure une semaine. »
EXERGUE : Des infarctus du myocarde et des accidents vasculaires cérébraux peuvent se produire après utilisation de médicaments vasoconstricteurs
Dispensation du médicament
Tramadol et codéine sur ordonnance sécurisée : mesure reportée !
Formation continue
Transmission automatique des actions de DPC : les démarches à faire avant le 30 novembre
Relocalisation industrielle
Gel des prix sur le paracétamol pendant 2 ans : pourquoi, pour qui ?
Salon des maires
Trois axes d’action pour lutter contre les violences à l’officine