Plus connue pour assurer la sécurité et la qualité de la délivrance des médicaments et des autres activités de l'officine, la « démarche qualité » pourrait bien servir d'autres objectifs. Tandis que le réseau fait face à une cruelle pénurie de personnel, serait-elle par exemple capable d'aider les titulaires à recruter et à manager leurs équipes ? Telle était l'hypothèse abordée lors du récent colloque, « La pharmacie de demain : une équipe, un projet », organisé par l'association Pharma Système Qualité, qui réunissait plusieurs intervenants du monde officinal.
Une crise durable
Car nul ne l'ignore, la situation est critique. Ainsi, 90,4 % des pharmaciens déclaraient manquer de personnel en 2022*. Une situation compliquée au point que, selon une enquête publiée le 5 avril par Pôle emploi, la pharmacie est le 3e secteur qui a le plus de mal à recruter (83 % des recrutements y sont jugés difficiles), derrière les couvreurs et les aides à domicile/aides ménagères.
Les causes sont nombreuses et connues : vieillissement de la population officinale, manque de visibilité du métier et de ses activités, faibles perspectives d'évolution, horaires exigeants… des difficultés de recrutement qui sont parties pour durer puisqu'un tiers des places en deuxième année de pharmacie sont restées vacantes à la rentrée 2022. La faute à une réforme des études de santé mal dirigée et du manque de visibilité de la profession sur Parcoursup, un problème heureusement corrigé depuis.
Répondre aux attentes
Pour résoudre cette crise, les pharmaciens doivent répondre aux attentes des adjoints et préparateurs. Des attentes qui ont évolué et diffèrent d'une génération à l'autre.
Ainsi, pour Benjamin Moutel, pharmacien adjoint, fondateur du Collectif des Pharmaciens Adjoints d'Officine de France (CPAOF) et participant au colloque de Pharma Système Qualité, « c’est le facteur humain qui compte aujourd’hui. Une bonne relation avec le reste de l’équipe et le titulaire est ce qui crée l’envie de travailler. Les salariés ne cherchent pas qu’une bonne situation, mais aussi une reconnaissance de leurs efforts, et veulent évoluer dans un climat serein ».
Car le stress, qui résulte souvent d’une mauvaise ambiance au travail ou d’une médiocre organisation de l’officine, est la principale cause de départ des salariés. Et ce, bien plus que l’intérêt des missions, les perspectives d’évolutions ou le manque de responsabilités.
Structurer une ambiance de travail sereine
Dans sa thèse « Officine et bien-être au travail », l'universitaire Théo Boisier affirme que le bien-être au travail impacte considérablement la sécurisation des actes (lire page 5). Ainsi, une équipe qui évolue dans une bonne ambiance est également bien plus efficace dans les soins apportés aux patients.
Pour cette raison, les titulaires éprouvant des difficultés à recruter, mais aussi à garder leurs employés, doivent impérativement travailler sur cet aspect. Pour négocier ce virage managérial, qui passe forcément par un engagement dans la « démarche qualité », des pistes existent.
« Dans notre pharmacie, nous avons élaboré une matrice des tâches "ingrates", que l’on répartit équitablement entre tous, afin qu’il n’y ait pas de sentiment d’injustice », déclare par exemple Pierre-Edouard Poiré, pharmacien titulaire engagé dans la démarche qualité au sein de son officine. « Si une organisation rigoureuse est indispensable pour assurer le bon fonctionnement de la pharmacie, il faut savoir lâcher du lest. Ne pas profiter des temps morts pour confier des activités aux salariés, mais leur laisser des moments de calme et des petites pauses. » Un engagement du titulaire jugé indispensable par Patrick Béguin, président de l'Association nationale de préparateurs en pharmacie d’officine (ANPPO) : « Le métier de pharmacien est avant tout un métier où on s’intéresse à l’autre. Les pharmaciens doivent appliquer ce credo à leur équipe. »
Qui dit bonne ambiance, dit entraide. Et des collègues qui s’apprécient seront prêts à s’engager plus, ce qui aidera la pharmacie à mieux affronter les situations de crises et autres imprévus. Une organisation du travail plus flexible, notamment avec des contrats sur 3 jours, est un autre facteur d'attraction des jeunes pharmaciens, pour qui l'équilibre vie professionnelle/vie personnelle est primordial.
La formation, tremplin des perspectives d'évolution
Un des autres objectifs de la démarche est de donner à ses salariés un accès à des formations. « Un personnel qui peut être formé dans son officine sera très motivé », confirme Benjamin Moutel. Encourager la formation est profitable pour l'officine de deux manières : en augmentant la capacité du personnel à mener à bien les nouvelles missions, et en fidélisant ce dernier, motivé par des perspectives d'évolutions personnelles. « Les missions concrètes telles que les TROD et la vaccination sont très appréciées », illustre Benjamin Moutel.
Pour Jean-Philippe Naboulet, enseignant à l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et inspecteur pharmaceutique, d'autres pistes méritent aussi d'être explorées : « On parle beaucoup des pharmaciens qui quittent le secteur pour faire autre chose, mais l'inverse existe. Il faut laisser la porte ouverte aux quarantenaires, avec des DU et des stages, plutôt que tout cloisonner derrière de longues études. Il faut créer des passerelles ! La re-formation des pharmaciens industriels pour l’officine, notamment, est un vrai parcours du combattant. »
Titulaire, oui, manager, aussi
Les participants du colloque s'accordent sur la nécessité de cours de management en faculté. « Beaucoup de titulaires sont managers malgré eux, et ne sont pas compétents dans ce domaine. Or, c’est grâce à cette compétence que l’on arrive à motiver les pharmaciens à rester dans le secteur », commente Patrick Béguin. Les salariés attendent du titulaire qu'il soit un « chef d'orchestre », capable de composer avec des profils différents et de les synchroniser pour former une équipe harmonieuse et efficace.
« Il faut faire en sorte que les collaborateurs soient à l'aise avec leur mission. Un professionnel exerçant dans sa zone de confort sera bien plus efficace ! Les salariés veulent être reconnus pour ce qu’ils savent faire et ce qu'ils font, autant, voire plus, qu’être payés pour ça », rappelle Marie-Hélène Gauthey, fondatrice de l'organisme de formation Atoopharm.
« Cette reconnaissance passe par une bienveillance du titulaire, l'encouragement à se former, une répartition équitable des tâches, mais aussi un environnement de travail agréable. Certains aménagements qui peuvent sembler négligeables, comme une salle de repos dédiée, des toilettes propres, un éclairage lumineux, des chaises confortables derrière le comptoir peuvent faire la différence », pointe-t-elle. Savoir être arrangeant par rapport aux problèmes personnels des uns et des autres, en clair, faire preuve d'humanité, est aussi ce qui garantit à l'équipe sa solidité dans un esprit solidaire.
Solidaire, l'équipe le sera d'autant plus que son patron respecte le droit du travail de ses salariés et ne décale pas le paiement des primes et salaires… « Cela semble évident mais ça ne l’est pas pour tous, surtout dans l'urgence du moment ou après 20 ans de poste », remarque Jean-Philippe Naboulet.
Un problème de fond
Mais même si l'intégralité des pharmaciens français se transformait en managers infaillibles, la profession se doit aussi d'attirer les jeunes pour augmenter le nombre de praticiens. La faible visibilité de la profession et la méconnaissance de la diversité de ses aspects, notamment sur les forums métiers, ne sont pas un problème récent.
Cette crise de la vocation n'est pourtant pas inéluctable. Pourvu que les officinaux s'emparent du problème et s'emploient à créer une bonne ambiance, reconnaissent la valeur du travail effectué, offrent des formations, respectent leurs obligations, et organisent rigoureusement leur pharmacie. Ainsi pourrait-on résumer les réflexions issues du débat qui sont autant d'objectifs contenus dans la démarche qualité.
* Selon les résultats d'une enquête réalisée par l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) en mai 2022
D'après le colloque « La pharmacie de demain : une équipe, un projet », organisé par Pharma Système Qualité
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