Souvent évoquée pour dénoncer la désertion du service public, la diagonale du vide existe, aussi, dans l'accès aux soins. Les pharmaciens connaissent bien la géographie de ces territoires dépourvus de prescripteurs, qui se vident de leur population et dont le maillage officinal se relâche chaque année davantage. Les maires assistent, eux aussi aux premiers rangs, à cette débâcle, souvent impuissants à juguler le recul des services de santé sur leurs territoires. « Un véritable dilemme pour eux puisqu’ils sont garants de l’organisation des soins sur le " dernier kilomètre " », comme le rappelle Frédéric Chéreau, maire de Douai (Nord), ajoutant qu’il revient pourtant à l’État de solvabiliser le système.
Sur la ligne de crête
L’avancée de la désertification médicale, qui entraîne avec elle un inexorable vacillement du réseau officinal, est aujourd’hui un état de fait que les élus s’épuisent à dénoncer. La densité médicale a reculé de deux points entre 2019 et 2022 (trois points en médecine générale), alors qu’elle se réduisait jusqu’alors au rythme de 0,2 point par an. Une dérive qui a pour corollaire un accroissement des disparités entre zones rurales et zones urbaines : un médecin couvre 30 km2 dans les premières contre 5 km2 dans les secondes.
Lors de la table ronde « Accès aux soins : l'organisation locale au secours de la défaillance nationale » organisée le 22 novembre à Paris à l'occasion du 103e Congrès des maires de France, les élus locaux ne se sont pas privés de rappeler à Aurélien Rousseau la réalité des chiffres et plus encore les drames sanitaires qui se nouent dans leurs territoires désertés. Absence de centre hospitalier universitaire dans leur département, trajet d'une heure et demie pour relier la prochaine maternité, territoires de montagne coupés de tout accès aux soins en hiver, sous-dotation en médecins généralistes et spécialistes… Un à un, les maires se succèdent à la tribune pour raconter un système de santé constamment « sur la ligne de crête ».
4 000 MSP d'ici à 2027
Mais alors qu’il y a encore quelques années ils rivalisaient d’inventivité pour attirer des médecins dans leur commune, les maires semblent aujourd'hui baisser les bras. Le ministre s’est d’ailleurs déclaré opposé à toute forme de coercition à l'encontre des jeunes médecins. Désormais, le débat s’oriente bien davantage vers des palliatifs à cette désertion médicale. Des modèles, salués par Aurélien Rousseau, émergent, dont les pharmaciens sont parfois les fers de lance.
Résolument décidé à privilégier une vision optimiste et « ce qui bouge dans les territoires », le ministre ne tarit pas d’exemples, évoquant tour à tour centres de santé, maisons de santé pluridisciplinaires et équipes de soins primaires coordonnées localement autour du patient (ESP-Clap). Il cite aussi ces pharmaciens ou ces infirmiers devenus président de CPTS. Ces professionnels de santé de proximité pragmatiques gagnent sa reconnaissance. « Ils ont eu la niaque pour se battre et sortir de leur silo respectif afin de maintenir l'offre de soins. » L’éloge n’est pas gratuit. Car ce sera avec le concours de ces mêmes professionnels que le ministre entend colmater, voire bâtir l’organisation des soins de demain. « Nous allons atteindre d'ici à 2027 le nombre de 4 000 maisons de santé pluriprofessionnelles avec des médecins, des infirmières, des kinés, des orthophonistes, des orthoptistes », affirme Aurélien Rousseau, promettant par ailleurs que l’ensemble du territoire français sera couvert par les CPTS d’ici à la fin de l’année.
Susciter l'envie et accompagner les professionnels dans leur implantation
Mais alors qu’il prône la concertation entre les acteurs de terrain - élus et professionnels de santé -, le ministre enjoint les maires à ne pas construire les murs pour ensuite attendre les professionnels de santé, mais bien à susciter l'envie et à les accompagner dans leur implantation sur le territoire. « Il faut qu'il y ait un projet porté par les professionnels de santé eux-mêmes. J'en appelle aux coalitions, à ne pas se cantonner dans une activité, afin de redonner de l'attractivité aux professions de santé. Il faut qu'on invente une extension pour que chacun puisse aller au bout de ses compétences. Là-dessus, je n'ai pas de tabou. » Rétropédalage pour le ministre qui, il y a encore quelques semaines, déclarait « l'accès direct est un mirage ».
Il lui importe désormais de convaincre les médecins que le partage des compétences, plus encore que le partage des tâches, est essentiel pour faire face aux contraintes démographiques. Aurélien Rousseau exhorte à une créativité mêlée de résignation. « On n'aura plus accès aussi facilement qu'autrefois à un médecin à cinq minutes de chez soi. » Le ministre en appelle à des modèles où une infirmière de pratique avancée (IPA) ou tout autre professionnel de santé, assistera le patient lors d'une téléconsultation. Ce qui n'empêchera pas ces mêmes professionnels d'alerter au besoin un médecin. « Car il y a des choses que seul un médecin peut faire. »
Un exemple réussi de ce partage des tâches est, selon le ministre, la généralisation de l'expérimentation de la dispensation d'antibiotiques par le pharmacien pour l'angine ou la cystite après la réalisation d'un TROD. Ces deux mesures sont prévues au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. « Il y a un an, nous nous serions fait démantibuler pour une telle mesure. Aujourd'hui, on voit la satisfaction des pharmaciens qui ont participé à l'expérimentation, non pas parce qu'ils se prennent pour des médecins mais parce qu'ils ont les compétences pour réaliser cette mission. Cela s'appelle le progrès, l'attractivité des métiers, mais aussi l'attractivité des territoires. »
Rendre attractifs métiers et territoires
Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), se félicite, pour les territoires et leur population, que le PLFSS ait inscrit une amélioration de l'accès au médicament. Hormis la délivrance protocolisée d'antibiotique sans prescription médicale dans le cas de l'angine et de la cystite, il tient à souligner une autre avancée. Désormais, les pharmaciens pourront renouveler pour trois mois le traitement des patients chroniques dont l'ordonnance a expiré. « Une mesure particulièrement intéressante pour le parcours de soins dans un contexte d'économie du temps médical », conclut-il.
Mais le président de la FSPF ne saurait se satisfaire de ces deux évolutions. Il anticipe déjà une autre mesure qui pourrait contribuer à l’ancrage du réseau officinal dans les territoires. Le président de la FSPF a en effet tenu à interpeller le ministre sur le sort des 4 000 communes de moins de 2 500 habitants dont l’unique pharmacie risque de se trouver en difficulté. Selon le concept exposé par Philippe Besset, un assouplissement des règles d’installation « avec tact et mesure » permettrait d’assurer la continuité des soins dans certains territoires en proie à la désertification. Mais ce retour du système dérogatoire au cas par cas n’est pas la seule solution envisagée par le président de la FSPF. Il plaide en faveur de mesures visant à renforcer l'attractivité du métier auprès des jeunes et de l'exercice en territoires ruraux. « Aux côtés de la formation continue, essentielle à un accès aux soins de qualité, la formation initiale doit elle aussi évoluer », insiste Philippe Besset, en référence aux manifestations d'étudiants en pharmacie qui s’étaient déroulées la veille.
Cela ne fait pas moins de sept ans que les étudiants en pharmacie réclament la mise en œuvre de la réforme du troisième cycle (R3C). Cette évolution du cursus pharmacie d'officine est indispensable pour permettre aux étudiants d’ajuster leurs connaissances et leur savoir-être à la réalisation des nouvelles missions. Les négociations avec les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur portent également sur l’attribution d’une indemnisation forfaitaire d’hébergement et d’une rémunération. Dotés de ces moyens financiers, les étudiants pourraient alors envisager de réaliser le stage de douze mois de ce cycle court dans les territoires les plus éloignés de leur faculté d'origine. Cette résurgence des revendications étudiantes ne pouvait que faire mouche, tandis que de la Sarthe au Doubs, de la Haute-Savoie à la Seine-et-Marne, les élus locaux exprimaient au congrès des maires leurs plus vives inquiétudes quant à la prise en charge médicale de leurs administrés.
* À l'occasion du Congrès national des maires de France.
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