La profession retient son souffle. De l’issue des négociations conventionnelles avec l’assurance maladie, dépendra l’économie officinale pour les quatre prochaines années. Ces discussions portant sur le dossier économique seront décisives dans un contexte où de plus en plus de titulaires voient leur rentabilité baisser. Avec parfois des conséquences désastreuses. Le maillage officinal n'a, d’ailleurs, pas tardé à en ressentir les effets. Comme s’en est inquiété Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), entre janvier et octobre, le réseau a subi 45 liquidations, 25 redressements et 15 sauvegardes. Contre respectivement, 34 liquidations, 10 redressements et 6 sauvegardes sur l’ensemble de l’année 2022.
Ces statistiques rendent tangibles ce que syndicats et experts-comptables prédisent depuis de nombreux mois. L'arrêt des missions Covid conjugué aux effets de l'inflation et la hausse des coûts salariaux ont fini de rogner les trésoreries reconstituées pendant les deux années de pandémie. Selon les projections des cabinets comptables, la situation se tend. Si les chiffres arrêtés pour 2022 font état d’un EBE compris entre 15,80 % (Fiducial) et 17,09 % (KPMG) du chiffre d’affaires, en 2023, cet excédent devrait tourner autour de 13 ou 14 % du chiffre d’affaires, soit « au niveau de 2019-2020 en euros, malgré une évolution de l’activité ». Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), est plus alarmiste. « Je n’y crois pas et je pense que l’EBE sera très inférieur. »
La raison de cette débâcle est simple. Le reflux des activités Covid agit directement sur la marge officinale en 2023. En un mot, une marge à 0 se substitue à une marge de 100 % puisque l’activité Covid est remplacée par les médicaments chers, dispensés sans rémunération lorsqu'ils coûtent plus de 1930 euros. C'est dire si dans ce contexte, le chiffre d’affaires n’est qu’un mirage. Les analystes ne peuvent en effet se fier à cette bonne santé illusoire qui bénéficie essentiellement de la croissance des médicaments chers.
Revaloriser l'honoraire
Il y a, par conséquent, urgence à décorréler la rémunération officinale du prix du médicament. Ce dernier exemple prouve une nouvelle fois la pertinence du changement de paradigme opéré avec l’avenant 11 en 2017. Reste aujourd’hui à négocier la revalorisation de ces honoraires et la rémunération des nouvelles missions. La liste est longue selon Philippe Besset : « Nous demandons une augmentation de notre rémunération à l’ordonnance, la création de nouveaux honoraires pour le renouvellement des prescriptions de trois mois ou plus périmées, la dispensation de certains médicaments dans le cadre de protocoles, ainsi que pour nos interventions pharmaceutiques. » S'y ajoute une hausse des honoraires pour la prescription de vaccins et la sortie de l’imposition des indemnités de garde. Voire un forfait journalier pour les officines assurant leur mission de service public en territoires fragiles.
Tout l’enjeu des négociations se situe dans la capacité de la profession à faire entendre cette urgence économique. Rien n’est gagné tant les pouvoirs publics restent arc-boutés sur les gains réalisés par le réseau officinal au cours des deux années de crise sanitaire. Cette marge générée par les activités Covid en 2022 équivaut à 77 103 euros, soit bien davantage que la marge dégressive lissée (MDL) ! Mais il serait une illusion de croire que les pharmaciens ont thésaurisé, se défendent cependant les représentants de la profession. « Les pouvoirs publics s'en sont arrêtés à la manne Covid que nous avons perçue. Sans vouloir comprendre que ces réserves ont été siphonnées depuis longtemps par la hausse des salaires officinaux et l'inflation », s'impatiente Laurent Filoche, président de l'Union des groupements de pharmaciens d'officine (UDGPO). L’inflation est en effet passée par là, augmentant les charges et entamant la perte du pouvoir d’achat des titulaires.
Mobilisation
Cette érosion de la rémunération officinale, doublée de difficultés croissantes pour céder leur fonds, finit par avoir raison de l'attractivité d'une profession pourtant appréciée des Français et reconnue dans son rôle d'acteur de santé. Les quelque 1 500 places vacantes en deuxième année de pharmacie ces deux dernières années témoignent douloureusement de cette désaffection.
La journée de mobilisation du 21 novembre n'a fait que cristalliser ce mal-être et ces inquiétudes face à l'avenir. Son slogan « Se mobiliser aujourd'hui, pour continuer à exister demain », ne disait pas autre chose. La balle est désormais dans le camp des pouvoirs publics. Sauront-ils reconnaître à l'officine le droit d'assurer sa pérennité dans un environnement économique et sur un marché du médicament de plus en plus complexes ? L'avenir du système de santé et la garantie d'un accès aux soins pour tous les Français ne peuvent souffrir davantage de tergiversations.
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