DES PHARMACIENS réunis en cellule de crise, un avocat, des courriers et entrevues dans les ministères… Jamais la situation n’avait semblé aussi tendue entre les officinaux et les vétérinaires. Comment en est-on arrivé là ? Pour le comprendre, il faut se rappeler qu’un long conflit oppose depuis bien longtemps les deux professions ; les vétérinaires accusant les pharmaciens de délivrer des médicaments sans ordonnance, et les pharmaciens reprochant aux vétérinaires de capter leurs clients de façon déloyale. Un schéma certes un peu simpliste, mais qui sous-tend depuis des années les nombreuses tentatives de réconciliation.
Une accélération des contrôles.
Une réconciliation qui semblait justement toute proche après la rédaction d’une déclaration commune, cosignée le 30 octobre dernier par l’Ordre des vétérinaires et celui des pharmaciens. Ce rappel à la loi, fruit d’une longue gestation, mentionne ainsi clairement les obligations et les interdictions qui s’imposent aux pharmaciens comme aux vétérinaires en matière de prescription et de délivrance : l’ordonnance obligatoire à la délivrance et la remise de la prescription au détenteur de l’animal pour qu’il en dispose librement. À en croire ce texte, tout devrait donc aller mieux entre potards et vétos… C’est pourtant bien une situation de crise qu’affrontent aujourd’hui les pharmaciens.
Depuis 2008, les officines spécialisées dans la délivrance de médicaments vétérinaires étaient certes déjà régulièrement l’objet de contrôles administratifs conjoints (ministère de la Santé et ministère de l’Agriculture). Mais « à la fin de l’année 2012, ces « visites » - des enquêtes préliminaires - sont devenues de plus en plus musclées et fréquentes, rapporte Jacky Maillet, président de l’ANPVO (1). Depuis le début janvier, presque chaque jour une officine spécialisée est visitée par les fonctionnaires de la BNEV (2) ».
Soupçon de compérage.
C’est une plainte contre X, à l’origine de laquelle seraient les organisations professionnelles de vétérinaires qui, fin 2011, a mis le feu aux poudres. « Jusque-là, explique Me François Honnorat, avocat des pharmaciens, les inspections menées dans les pharmacies visaient à vérifier que les délivrances de médicaments listés étaient réalisées sur la foi d’ordonnances bien réelles. Depuis novembre 2011, les inspections obéissent à une autre logique : il s’agit désormais de contrôles réalisés après recoupement de listing de gros fournisseurs (NDLR, des officines dispensatrices) avec ceux de vétérinaires prescripteurs. » En clair, si elle retrouve des prescriptions à l’officine, l’administration estime qu’il y a compérage, résume l’avocat. Autrement dit, si les vétérinaires prescrivent, c’est qu’il existe une contrepartie illicite de la part des pharmaciens. Le soupçon est grave. Il soulève l’indignation des officinaux. « Les inspecteurs critiquent les prescriptions en invoquant des motifs formels et futiles : absence du nom du cheval sur l’ordonnance, par exemple. Ils font une relecture du décret d’avril 2007 (3) qui leur permet d’invalider la prescription du vétérinaire et de rendre fautive la délivrance du médicament par le pharmacien », déplore Guy Barral, président de l’UNPVO (4). « Derrière ces enquêtes à la méthodologie souvent douteuse, il y a un fond de mauvaise foi déroutant », estime Me Honnorat, qui n’exclue pas quelques jugements en nullité à venir.
Pour les pharmaciens de l’ANPVO, la chose est entendue : « les vétérinaires fonctionnaires du ministère de l’Agriculture abusent de leurs pouvoirs en solidarité avec leurs confrères libéraux pour discréditer les pharmaciens vétérinaires. » « On peut se demander sur la base de quels critères les inspecteurs de la BNEV choisissent leurs cibles ? », interroge Jacky Maillet, qui note par ailleurs que les responsables de l’UNPVO et de l’ANPVO sont particulièrement visés par les enquêtes de la DGAL. Il s’agit d’intimider les leaders syndicaux pharmaciens vétérinaires, qui ne représentent pourtant que 5 % des ventes de médicaments vétérinaires en France (voir encadré).
Conflit d’intérêt.
« Il n’y a pas de ciblage particulier de certaines pharmacies, les vétérinaires sont aussi l’objet de contrôles », assure-t-on au contraire au ministère de l’Agriculture. De même, lorsqu’il s’agit de qualifier la nature des fautes reprochées aux pharmaciens, « c’est au procureur qui mène l’enquête qu’il revient de déterminer le niveau de responsabilité du pharmacien impliqué dans l’affaire. Il n’y a pas de schéma a priori », affirment les conseillers du ministre Stéphane Le Foll. « Quant à la responsabilité des éleveurs, il peut y avoir plusieurs cas de figures : certains ne sont pas à même de juger du caractère frauduleux d’une prescription. C’est à chaque fois au juge d’établir la responsabilité de chacun des acteurs. » De fait, si les éleveurs sont souvent convoqués par les services de l’État, ils ne sont clairement pas dans le collimateur du ministère de l’Agriculture. « Plus que les inspections de nos officines, ce sont les ennuis causés à nos clients éleveurs au décours des enquêtes qui nous révoltent. Au terme des procédures, c’est tout simplement la perte de notre clientèle d’éleveurs qui est à déplorer », insiste Jacky Maillet.
Dans ce contexte, où, plus que jamais, semblent réunis dans une même main les intérêts de la prescription et ceux de la délivrance, les syndicats de pharmaciens vétérinaires en appellent au bon sens et à la justice. « Nous demandons à la ministre de la Santé d’obtenir du ministre de l’Agriculture une justification des contrôles en cours et l’arrêt du recours abusif aux enquêtes préliminaires et des instructions à charge », déclare Guy Barral. Au-delà, c’est véritablement la théorie du complot que dénoncent les officinaux. « Les syndicats de vétérinaires libéraux (SNVEL) et les inspecteurs vétérinaires (SNISPV) résident à la même adresse. Une promiscuité pour le moins troublante. On peut légitimement s’interroger sur l’objectivité des inspecteurs vétérinaires contrôlant une officine », fait remarquer Philippe Lépée, vice-président de l’USPO et de l’ANPVO. « Ce sont des agents du ministère, des vétos, répondent les services de Stéphane Le Foll, ils ont une vocation d’expert, et sont requis dans le cadre d’une commission rogatoire par le procureur. Lorsqu’ils enquêtent, ils changent de casquette et ne sont plus sous l’autorité de la DGAL mais sous celle du procureur. » Par-dessus tout, c’est le manque d’équité de ces contrôles que les pharmaciens veulent pointer : « Les vétérinaires ne sont pratiquement jamais contrôlés, alors qu’ils ne sont pas rares à délivrer sans ordonnance ou à tenir officine ouverte. »
Une contre-attaque des pharmaciens ?
Pour l’heure, souligne l’UNPVO, « chaque jour les brigades vétérinaires mobilisent de puissants moyens du pouvoir régalien et instrumentalisent gendarmerie, police, parquets et tribunaux. Et, pour éviter tout débat contradictoire, l’inspection de la pharmacie n’est pas même sollicitée ».
À défaut de parvenir à mettre un terme, par la voie du moratoire, à ce qu’ils qualifient de campagne de décrédibilisation du réseau officinal, les syndicats de pharmaciens vétérinaires pensent déjà à une contre-attaque. « Ce sera peut-être bientôt notre tour de déposer une plainte contre X », envisage avec gravité le président de l’ANPVO. La hache de guerre entre vétérinaires et pharmaciens est bel et bien déterrée. Retrouver l’équilibre et la paix entre les deux professions ne sera pas facile. Surtout si l’on se rappelle les mots prononcés en décembre 2011 par Bruno Lemaire, alors ministre de l’Agriculture : « Nous comptons préserver le système de prescription délivrance des médicaments vétérinaires (...) parce que nous avons besoin d’un maillage vétérinaire économiquement solide (...) et parce que nous considérons qu’il est possible de maintenir un système où la seule motivation du vétérinaire à prescrire est l’intérêt sanitaire, en dehors de toute autre considération. » Aujourd’hui, 50 % des revenus des vétérinaires sont liés à la vente du médicament.
2) Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires.
3) Le décret d’avril 2007 permet aux vétérinaires conseils, dans certaines conditions, de délivrer des ordonnances dans le cadre des Bilans Sanitaires d’Élevage (BSE) sans voir nécessairement les animaux.
4) Union nationale pour la pharmacie vétérinaire d’officine.
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