LE TERME, lancé outre-Atlantique (« inverse anorexia »), prête à confusion et mérite une petite explication. Selon le Dr Harrison Pope, psychiatre à l’hôpital McLean de Belmont (Massachusetts), coauteur de deux livres sur le complexe d’Adonis*, autre nom donné à ce syndrome par référence au personnage de la mythologie grecque, mi-homme mi-dieu, considéré comme le summum de la beauté masculine, « dans les deux cas il y a un trouble de l’image de son corps, les préoccupations vont simplement dans des directions opposées ». À l’inverse des anorexiques qui se perçoivent trop gros et ne se trouvent jamais assez minces, les hommes qui souffrent d’anorexie inversée ne trouvent jamais leurs muscles suffisamment gros. « La musculation à outrance est un peu l’équivalent de l’anorexie chez les hommes », pense aussi le Dr Howard Steiger, directeur du Programme des troubles de l’alimentation à l’Institut Douglas (Université McGill, Québec).
La bigorexie.
Cette obsession du corps parfait et musclé, également appelée dysmorphie musculaire, se traduit notamment par un surentraînement physique. Pour augmenter leur masse musculaire, ces hommes passent plusieurs heures par jour à soulever des poids et haltères dans un club de gym, un centre de fitness ou une salle de musculation, au point parfois de se couper de leur réseau social et de leur famille et de mettre en péril leur activité professionnelle. Leur vie finit par tourner uniquement autour du sport, ils ne peuvent plus s’en passer et se sentent mal quand ils se trouvent empêchés de pratiquer. D’où le terme de bigorexie (de l’anglais big + suffixe -orexie), imaginé par les Américains, jamais en reste pour qualifier des nouvelles « tendances » d’ordre psychiatrique…
Un mécanisme biochimique peut expliquer cette conduite compulsive : le sport entraînant une libération d’endorphines, source de bien-être physique et mental, peut déclencher une addiction. Mais les psychiatres pointent avant tout l’origine psychologique de la bigorexie : la pratique compulsive du sport servirait à augmenter l’estime de soi. Au départ, les adeptes du culturisme à outrance ont une piètre image esthétique d’eux-mêmes et sont angoissés à l’idée d’un jugement négatif de leur entourage. Ils cherchent ainsi à modifier leur apparence corporelle, prennent peu à peu conscience de leurs capacités physiques et de leur endurance mais sans être jamais satisfaits. Ce comportement addictif pourrait aussi combler un vide affectif.
Pression sociale.
Dans la plupart des cas, à l’entraînement intensif s’ajoutent des régimes très stricts et la consommation de substances potentiellement dangereuses, visant à « brûler du gras » et à se muscler plus vite et davantage encore (voir encadré). Si les athlètes de haut niveau peuvent avoir ce type de comportement pour améliorer leurs performances et finir par devenir dépendants au sport et aux stéroïdes, l’anorexie inversée se rencontre surtout chez les sportifs amateurs, généralement culturistes, de plus en plus jeunes. La pression sociale, couplée aux corps sans défauts et musclés du cinéma (Stallone, Schwarzenegger…), des pubs et des magazines (avec l’aide de Photoshop !), est sans doute pour quelque chose dans cette quête des « six packs » abdominaux et des biceps hypertrophiés. Un signe : ces dernières décades, alors que la poupée Barbie a maigri, GI Jo est devenu plus musclé…
Faut-il traiter (par psychothérapie) cette « maladie » ? Oui dans la mesure où le surentraînement et les anabolisants peuvent causer des pépins de santé et où la conduite compulsive peut retentir sur la vie personnelle et professionnelle. Mais peut-être pas si la pratique intensive d’un sport bloque des douleurs psychiques. Cette addiction risque aussi, comme on le voit chez les bodybuilders obligés de s’arrêter, d’être remplacée par une autre plus grave (toxicomanie, alcoolisme)…
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