FAUT-IL COMPTER avec l’aspirine pour la prévention les cancers, comme pour la prévention cardio-vasculaire ? Les arguments s’accumulent, avec trois nouvelles études d’une équipe d’Oxford, qui a déjà publié plusieurs fois sur le sujet sous la direction du Pr Peter Rothwell. En s’appuyant sur de très solides revues de la littérature, l’équipe apporte aujourd’hui de nouvelles données sur la prévention des cancers et des métastases. Notamment sur la prophylaxie à court terme, les cancers autres que colo-rectaux et la prévention des métastases en cas de cancer connu.
Dans leur première étude, l’équipe du Pr Rothwell s’est attachée à étudier l’effet préventif de l’aspirine sur le court terme, ce qui restait incertain. Elle a ajouté 43 essais randomisés de plus à l’analyse, qui s’appuyait au total sur plus 51 essais de prévention vasculaire primaire ou secondaire, soit plus de 77 540 participants. L’aspirine, quelle que soit la dose, a diminué significativement la mortalité non vasculaire de 12 % et celle par cancer de 15 %, avec un bénéfice dès trois ans à forte dose (≥ 300 mg/j) et après cinq ans à faible dose (< 300 mg/j). Le risque de saignement grave diminuait avec la durée du suivi, de telle sorte qu’il n’était plus significatif au-delà de trois ans. Les cas de décès par hémorragie extracérébrale étaient même plus faibles dans le groupe aspirine que chez les sujets contrôles. L’aspirine semble agir précocement dans la carcinogenèse, aux différentes étapes de l’initiation à la
dissémination.
Métastases.
La deuxième étude avait pour objectif d’examiner l’effet de l’aspirine sur les métastases. Rothwell et coll. ont fondé leur travail sur les données recueillies au cours de cinq grands essais randomisés sur la prise quotidienne d’aspirine (≥ 75 mg/j) en prévention cardio-vasculaire. Au cours d’un suivi de 6,5 ans, la prise d’aspirine a réduit le risque de métastases de 36 %, celui d’adénocarcinomes (prostate, côlon, poumon) de 46 % et d’autres cancers solides (rein, vessie) de 18 %. De plus, l’acide acétylsalicylique a diminué le risque d’adénocarcinomes d’emblée métastatiques de près d’un tiers et le risque de métastases chez ceux indemnes au départ (de 55 %), en particulier en cas d’adénocarcinomes (de 74 %). La mortalité totale par adénocarcinomes a été diminuée de 35 %. Selon les auteurs, l’effet antinéoplasique de l’aspirine pourrait être médié par l’inhibition des plaquettes, compte tenu que la thrombocytose, fréquente au cours des cancers, est un facteur de mauvais pronostic.
Dans la troisième étude, les chercheurs ont voulu obtenir des données sur l’effet de l’aspirine à long terme sur des cancers autres que colo-rectaux. Ils ont comparé des données issues d’études observationnelles à celles issues d’essais randomisés, ceux-ci n’ayant pas la puissance statistique suffisante pour ces cancers plus rares. Là, ils ont retrouvé une baisse des cancers colorectaux compatible à celle trouvée précédemment (38 versus 42 %). La prise quotidienne d’aspirine a diminué dans les mêmes proportions les risques de cancers de l’œsophage, de l’estomac, des voies biliaires et du sein.
Pour aussi rigoureuse que soit leur méthodologie, leurs résultats souffrent d’un gros handicap : les auteurs ont volontairement laissé de côté les deux plus importants essais conduits en prévention primaire pour l’aspirine, la Women’s Health Study (WHS) sur 39 876 femmes et le Physicians’ Health Study sur 22?071 hommes, pour la simple et bonne raison que si la prise d’aspirine était régulière, elle n’était pas quotidienne, mais un jour sur deux. Si leur choix se justifie, les effets pouvant ne pas être équivalents, il incite à la prudence, ce d’autant qu’aucune des deux après un suivi de dix à douze ans n’avait montré d’effet positif de l’aspirine sur la réduction du cancer colo-rectal, ni sur l’incidence des cancers ni sur la mortalité totale. Mais, comme le soulignent des gastro-entérologues de Harvard dans un éditorial, « les recommandations sur la prophylaxie par aspirine ne peuvent désormais se concevoir de manière isolée sans tenir compte de la prévention des cancers ».
en ligne le 21 mars 2012. (1)DOI:10.1016/S0140-6736(11)61720-0 (2)DOI10.1016/S0140-6736(12)60209-8 (3)DOI:10.1016/S1470-2045(12)70112-2
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