Les fraudes augmentent-elles réellement ou l'assurance-maladie resserre-t-elle les mailles de son filet ? Chaque année, à la présentation des chiffres par l'assurance-maladie, la question se pose. Mais les résultats sont là. Les fraudes détectées et stoppées entre janvier et juin ont augmenté de 31 %, comparé à la même période de 2022 pour atteindre un volume de 146,6 millions d'euros. Près 70 % de ce préjudice financier ont été causés par des professionnels de santé de ville, soit 19 % de plus qu'au premier semestre 2022.
Des centres sous haute surveillance
Comme le précise Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), il ne s'agit pas d'erreurs malencontreuses, mais bien d'actes frauduleux commis avec intention et de manière répétitive. Deux caractéristiques qui conduisent les radars de la CNAM à repérer ces « atypies » : actes fictifs, surfacturations en soins et en médicaments. Bien que les fraudes revenant aux établissements constituent moins de 1 % des sommes illégalement perçues auprès de l'assurance-maladie (voir tableau ci-dessous), leur explosion au premier semestre (+ 138 %) amène la CNAM à intensifier sa vigilance. Les centres de santé, notamment ceux avec des activités dentaires et/ou ophtalmologiques, sont placés sous haute surveillance.
Enfin, le volume de fraudes du fait des assurés est en hausse de 45 %, à 39,2 millions d'euros, et représente 26,7 % des préjudices financiers subis par l'assurance-maladie au cours du premier semestre. « Ce n'est pas trahir un secret que de dire que juillet et août suivent cette tendance », précise Thomas Fatôme, satisfait de ce bilan d'étape. Ses services sont en bonne voie de réaliser leur prévisionnel de 380 millions d'euros de fraudes stoppées au cours de cette année, contre 316 millions en 2022. Et d'atteindre leur objectif de 500 millions d'euros en 2024. Les efforts lancés il y a une dizaine d'années, consistant à renforcer les évaluations de certains secteurs du système de santé, finissent par payer. La lutte devrait même s'intensifier si l'on en croit les prévisions d'embauches de cyberenquêteurs (voir encadré). Parallèlement, les sanctions se durcissent. Ainsi, un professionnel de santé libéral fraudeur peut subir une procédure de déconventionnement, combinée à une plainte ordinale et une plainte pénale. Des menaces mises à exécution puisqu'au cours des six premiers mois de l'année, 3 700 suites contentieuses ont ainsi été enclenchées, dont 1 600 procédures pénales. Soit 15 % de plus qu'en 2022. « Plus de 1 000 pénalités financières pour un montant de près de 6 millions d'euros ont, par ailleurs, été prononcées pour sanctionner des actes fautifs ou frauduleux », indique la CNAM.
Des fraudes polymorphes
L'assurance-maladie fait preuve de la même détermination pour lutter contre les pratiques de sociétés peu scrupuleuses. Après avoir procédé, fin août, au déconventionnement pour une durée de cinq ans d'un réseau de treize centres de santé répartis dans dix départements, les services de la CNAM ont désormais les audioprothésistes dans le viseur. 130 sociétés d'audioprothèses sur les 6 700 exerçant en France vont faire l'objet de contrôles resserrés. Leurs pratiques vont être vérifiées après que dans certains départements, comme en Seine-Saint-Denis, des « atypies » ont été relevées. Âge moyen des patients équipés de 24 ans, patients domiciliés hors du département, ordonnances provenant d'un seul et unique centre de santé, patients appareillés à une seule oreille bien que deux prothèses aient été facturées… Les margoulins de l'audioprothèse ne reculent devant aucun paradoxe. Mais ils ne sont pas les seuls.
« La fraude recouvre des phénomènes multiples qui se déplacent en fonction des évolutions des prises en charge, de l'accès aux soins et, élément majeur, de la transformation numérique », relève Thomas Fâtome, précisant que si ces pratiques restent marginales, les montants fraudés sont en hausse constante. Déclarations fraudeuses de ressources, falsification d'arrêt de travail via des réseaux sociaux tels que Snapchat, fraudes aux RIB, sont les spécialités des assurés, à l'origine de 56 % des fraudes détectées par l'assurance-maladie et 21 % du préjudice financier. En revanche, les professionnels de santé, responsables de 18 % des fraudes identifiées, arrivent en tête en termes de volume. Sur les 315,9 millions d'euros soustraits illégalement en 2022 à l'assurance-maladie, soit 44 % de plus qu'en 2021 et 10 % plus qu'en 2019, 68 % ont ainsi atterri sur le compte d'un professionnel de santé, principalement à travers des facturations de soins fictifs, des dépenses et des prescriptions hors norme.
Mais alors qu'en 2022, les infirmiers, médecins, kinés et transporteurs sont parvenus à contenir leurs larcins, les pharmaciens se sont illustrés pour être la seule catégorie de professionnels de santé à avoir augmenté ses activités frauduleuses entre 2021 et 2022. On doit sans aucun doute ce préjudice de 119 millions d'euros à l'encontre de l'assurance-maladie (19 millions d'euros en 2021) à des TAG et vaccins surnuméraires.
Un trafic de 5 millions d'euros
La montée en puissance de dispositifs numériques, tels que mon espace santé ou la prescription électronique, devrait endiguer les dérives. Ainsi, l'e-prescrition, déjà adoptée par 10 000 médecins et généralisée dans les deux ans à venir, sera selon Thomas Fatôme, « un levier structurel pour améliorer de manière transversale le système et pour minimiser le phénomène des fausses ordonnances ». En 2022, le trafic de médicaments a atteint 8,2 millions d'euros et il est déjà chiffré à 5 millions d'euros pour les six premiers mois de cette année. Le mésusage de l'antidiabétique, Ozempic (sémaglutide), prôné par les influenceurs pour ses propriétés sur l'appétit, est emblématique de ces détournements de médicaments, encouragés par les réseaux sociaux. L’assurance-maladie et l’ANSM ont renforcé leur surveillance des flux de la demande. Début mars, le mésusage potentiel a été estimé à environ 1 % selon l’assurance-maladie.
Autre nouveau filon, un gisement de fausses ordonnances semble provenir de la téléconsultation. Comme l'a indiqué Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) lors d'un point presse, le 6 octobre, « nous sommes régulièrement confrontés à des patients munis de prescriptions d'antidouleurs faxées. Des discussions ont actuellement lieu avec la directrice déléguée à l'assurance-maladie pour mettre fin à ces pratiques qui visent également les médicaments chers. Il se pourrait que ces pourparlers débouchent sur une solution : dans un proche avenir, peut être début janvier, une ordonnance originale sera exigée ».