De plus en plus, des médecins, des kinésithérapeutes, des infirmiers, des dentistes, des podologues…, mais aussi des pharmaciens se regroupent dans des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), notamment afin de répondre à la désertification médicale.
« On compte aujourd’hui près de 1 000 MSP en France, avance Brigitte Bouzige, vice-présidente de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS). Ces maisons réunissent en moyenne environ 5 médecins généralistes, deux pharmaciens et une dizaine d’autres professionnels de santé. »
La pharmacie oui, mais… à part
En 2011, le métier pharmacien a été reconnu dans la loi comme pouvant faire partie d’une maison de santé. Avec néanmoins quelques réserves. Tout d’abord, l'officine ne peut pas avoir des locaux et espaces communs à ceux de la MSP. Il faut que la pharmacie ait une entrée distincte et n’ait pas d’espaces communicants avec la MSP. On reste donc sur la seule possibilité qu'une pharmacie puisse être adossée à une MSP, pharmacie dont le bâti n'a pas vocation à être subventionné par des fonds publics. S’il n’y a qu’une officine sur la zone géographique de la MSP, son titulaire demande dans la plupart des cas un transfert et construit une nouvelle officine en même temps que la MSP. En revanche, s’il y a plusieurs pharmacies dans le secteur de la MSP, celle qui s’implante à côté de la MSP peut déstabiliser le maillage officinal et priver de proximité la population qui lui était attribuée. Des moyens intelligents permettent d’éviter cela : un regroupement des pharmacies en une seule structure rattachée à la MSP, ou encore une mutualisation des pharmacies pour conserver plusieurs points de dispensation (via des SEL croisées).
Pour François et Nathalie Miquey, co-titulaires à Valence, cette question a rondement été réglée. « Lorsque la mairie a informé les professionnels de santé qu’elle avait pour projet de créer une maison de santé dans la zone de Valence Europe, nous étions très motivés ! Nous sommes allés rencontrer les autres pharmaciens du quartier (deux co-titulaires) et nous leur avons proposé de se regrouper avec nous via des SEL croisées. Comme cela, personne ne sera pénalisé par le projet de maison de santé ! », sourit François Miquey. Le projet de MSP a abouti, épaulé par la mairie et la communauté de communes. Aujourd’hui les quatre co-titulaires ont chacun 25 % dans des SEL croisées. François et Nathalie Miquey se sont installés au voisinage immédiat de la MSP et l’autre pharmacie a été transférée en périphérie du quartier. « Avant, les deux officines étaient à 100 mètres l’une de l’autre ! », indique François Miquey, qui se félicite qu'avec ce partenariat, ils aient réussi « le pari d’améliorer de façon pérenne le service santé pour la population du quartier ».
Cependant, le dénouement n’est pas toujours aussi si rose. Parfois, les pharmaciens ne trouvent pas de terrain d’entente : ils restent alors isolés, concurrents, et ne participent pas au projet de santé publique. Ou encore, certains pharmaciens créent des maisons de santé, non labellisées par les ARS (qui ne sont en fait que des regroupements de professionnels de santé) pour y faire venir des professionnels de santé autour de leur officine, sans respecter l’offre de soins locale, et l’on peut se retrouver vers une désertification accentuée.
Le frein de la TVA
Un autre frein peut venir limiter l’implication des pharmaciens dans le pôle de santé. Il découle du fait que la profession soit soumise à la TVA. En effet, les MSP s’organisent souvent sous la forme de SISA (Société interprofessionnelle de soins ambulatoires), qui est la seule entité juridique sous laquelle elles peuvent percevoir les nouveaux modes de rémunération (NMR). Ces NMR sont une rémunération complémentaire, qui est octroyée par l’assurance-maladie à la MSP en fonction des projets qu’elle mène. « Une MSP de taille moyenne touche environ 40 000 euros par an avec ces NMR », avance Brigitte Bouzige. Cette somme permet la plupart du temps de rémunérer le coordinateur et les professionnels de santé qui participent à des actions (réunions de cas complexes, formations, etc.). Mais un problème se pose si la SISA veut acheter du matériel : ces achats sont exonérés de TVA, sauf si un pharmacien fait partie de la SISA, car la profession est soumise à la TVA, contrairement aux autres professionnels de santé. Pour cette raison, les pharmaciens sont souvent exclus de la SISA, ce qui a tendance à les mettre un peu en marge de l’équipe pluriprofessionnelle.
Néanmoins, même sans faire partie de la SISA, les pharmaciens gagnent grandement à intégrer un pôle de santé. Tout d’abord, en cas de transfert et de construction d'une pharmacie neuve, cela permet d’avoir un local plus spacieux et plus moderne : « Je suis passé de 35 m2 à 100 m2, d’une pharmacie à l’ancienne à une officine ultramoderne : aux normes accès handicapé, avec des espaces de confidentialité, un espace orthopédie…, indique François Nadaud, pharmacien dans la MSP de Payrac (Lot). Grâce à cette nouvelle configuration moderne, nous offrons de meilleurs services aux patients. Par exemple, nous utilisons fréquemment l’espace de confidentialité lorsqu’une personne a besoin de nous parler, ou pour expliquer le fonctionnement d’un appareil d’auto-mesure diabétique. Nous organisons des journées de dépistage du diabète, de l'hypertension. » De plus, financièrement, le chiffre d’affaires de la pharmacie est logiquement tiré vers le haut.
Des relations améliorées
Ensuite, le travail dans une MSP améliore grandement les relations entre professionnels de santé. « Avant le projet, il n’y avait aucun contact entre les pharmaciens, les médecins, les infirmières etc., se souvient François Miquey. Aujourd’hui, tout a changé : nous communiquons sur les projets, partageons nos idées, nous déjeunons ensemble… On gagne beaucoup en confiance réciproque. »
Enfin, avec les projets de santé menés, le travail de pharmacien prend une tout autre dimension. « À la MSP de Valence Europe, opérationnelle depuis 2 ans, nous organisons des cafés santé tous les jeudis matin sur un thème précis (mémoire, diététique…), nous avons établi un protocole diabète, etc. On travaille aussi pour mettre en place le partage des données informatiques. De plus, j’envisage de mettre en place des ateliers patients pour mieux appréhender ses médicaments », poursuit le pharmacien. Concevoir et organiser toutes ces tâches est très chronophage : « C’est un travail passionnant, enrichissant, mais phénoménal ! », souffle-t-il. Pour cette raison, une coordinatrice a été recrutée en novembre, ce qui a permis de recentrer les projets et d’avoir des objectifs clairs.
Quand la motivation manque
Cependant, certains pharmaciens de MSP regrettent parfois le manque de motivation de l'ensemble des professionnels de santé pour mener à bien des projets de santé. « C’est souvent le cas des MSP qui ne résultent pas au départ de la motivation de tous les professionnels de santé, mais seulement d’un petit nombre, voire de la seule volonté des élus : ces projets de santé là sont voués à l’échec », analyse Brigitte Bouzige. Par exemple, Laurent Bildstein, co-titulaire à côté d'une MSP à Andelnans (Territoire de Belfort) a conçu le projet immobilier de la maison de santé et il a recruté les professionnels pour l’occuper. Un projet clé en main qu’il ne restait plus qu’à faire vivre, en créant un projet de santé, en s’organisant en SISA, et en faisant une demande de NMR à l’ARS. « Nous nous sommes beaucoup investis au départ pour créer cette MSP, mais maintenant que le pôle est opérationnel, que les carnets de rendez-vous sont bien remplis, plus personne ne bouge », confie-t-il. Comme l'ambiance est bonne entre les professionnels de santé, le pharmacien n'hésite pas à aborder le sujet lors de déjeuners pris dans la salle de réunion de la MSP, mais sans véritable écho.
À Payrac, François Nadaud exprime les mêmes déceptions. « Après avoir été moteur pour la création de la MSP, je suis un peu démotivé. » Le titulaire, qui ne fait pas partie de la SISA pour des raisons de TVA, ne peut que constater l’inertie de ses membres. « Les généralistes ne sont pas intéressés pour mener des projets de santé, pour devenir maître de stage, pour faire de l’éducation thérapeutique. Pourtant, je les sollicite ! De mon côté, je me suis formé à l’éducation thérapeutique et je suis prêt… De même, la MSP est pré-équipée pour faire de la télémédecine, mais personne ne s’en préoccupe. C’est dommage », déplore-t-il, en reconnaissant que tout pourrait changer le jour où « un médecin dynamique et leader intégrera la MSP ». Dans cette attente, le pharmacien qui n’est pas en manque d’idée a trouvé un autre cheval de bataille. « Je suis devenu adjoint au maire et je m’occupe des écoles », avance-t-il. C’est une autre façon de s’investir pour la population de son village.
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