Ce ne sont pas des comptes d’apothicaires… Loin d'une gestion incompréhensible, celle exercée par Sophie B., ancienne pharmacienne du village de Remoulins (Gard) de 2001 à 2009, était au contraire limpide. Jugée vendredi 20 octobre, au côté de son mari préparateur au sein de l’officine, devant le tribunal correctionnel de Nîmes, elle a détaillé comment le couple a grugé les caisses d’assurance maladie (à hauteur d’environ 80 000 euros) et les impôts (pour environ 500 000 euros) durant plusieurs années.
Pour la partie concernant la sécurité sociale, Sophie B. blanchissait des ordonnances en y portant le nom de son mari en lieu et place de celui des patients. Ainsi, ce dernier percevait des remboursements indus au détriment de la CPAM. Concernant les impôts, il était reproché aux époux de prélever de l'argent liquide dans la caisse et de s'être ainsi soustrait à l'impôt sur le revenu et la TVA.
« Nous voulons être jugés »
Ces faits, les époux B. les ont reconnus dès les débuts de l’enquête en 2008. En outre, ils ont d’ores et déjà majoritairement remboursé les administrations concernées. Lors de l’audience, le couple a témoigné, près de 10 ans après les faits, sur sa volonté de « passer à autre chose. » Manager dans un supermarché d’Aquitaine, l’ancienne pharmacienne ne peut plus exercer sa profession de formation, la procédure pénale à son encontre étant toujours en cours. « Nous avons tout avoué depuis longtemps. Nous voulons simplement être jugés », a-t-elle lâché à la barre en renouvelant ses aveux.
Ainsi, les époux B. prélevaient dans la caisse 3 à 4 % du chiffre d’affaires, soit environ 9 000 euros par mois. Cet argent était uniquement issu du fruit de la vente de produits parapharmaceutiques payés en liquide. Dans un cahier saisi par les gendarmes où il était inscrit « Noir » sur la couverture, le couple a consciencieusement consigné les opérations dans la seule perspective de la revente de l’officine. « C’est une pratique courante. À l’époque, les officines se revendaient à 110 % du chiffre d’affaires black compris », a justifié Sophie B. à la barre. Ainsi a-t-elle affirmé que « de nombreuses officines agissent ainsi. Nous-mêmes avons racheté l’officine dans ces mêmes conditions », a précisé le couple.
Importante, cette affaire est à l’origine de « l’opération Caducée » menée par l'administration et la justice. Dans ce cadre, de nombreuses pharmacies hexagonales ont été condamnées. L’affaire nîmoise est unique dans le sens où, lors de cette audience, la société Alliadis, éditrice du logiciel Alliance+, a dû répondre de « complicité d’exécution d’un travail dissimulé » et « fraude ou fausse déclaration pour l’obtention de prestation ou allocation familiale indue. » La raison ? Elle fournissait, sur demande du pharmacien, un mot de passe permettant d’accéder à une fonction d’effacement des données de vente en espèces… Un procédé bien compris par les anciens pharmaciens de Remoulins.
Des données stockées dans un fichier trace
Si les enquêteurs ont pu établir que certains collaborateurs d’Alliadis appelaient entre eux cette fonctionnalité « Black is black », Christian Armando, dirigeant de l’entreprise, a nié toute volonté de fournir sciemment un outil permettant une fraude. « Nous n’avons jamais donné de consigne en ce sens. Les témoignages d’anciens collaborateurs en attestent. Il s’agit d’une utilisation non prévue du logiciel. Du reste, les données restent stockées quelque part dans un fichier trace », a-t-il défendu. Son avocat a quant à lui comparé le rapport de la pharmacienne de Remoulins à Alliance+, avec celui d’un chauffard vis-à-vis d’un constructeur auto (lire également ci-dessous). « Attaque-t-on Renault quand quelqu’un commet un excès de vitesse ou Smith & Wesson quand un terroriste commet un attentat ? »
Le procureur de la République a requis 2 millions d'euros d'amende à l'encontre de l'éditeur. Concernant les époux B. le parquet a requis 3 ans de prison avec sursis, 20 000 euros d'amende, et l'interdiction d'exercer la pharmacie.
Le tribunal correctionnel de Nîmes a mis sa décision en délibéré au 24 novembre.
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