MÉCONNUE, encore assez peu utilisée, la médiation entre confrères est pourtant l’une des missions essentielles de l’Ordre des pharmaciens. Elle tient en deux phrases dans le Code de la santé publique, à l’article R.4235-40 : « Les pharmaciens qui ont entre eux un différend d’ordre professionnel doivent tenter de le résoudre. S’ils n’y parviennent pas, ils en avisent le président du conseil régional ou central compétent de l’Ordre. » Le texte n’en dit pas plus. Quels sont les termes précis de cette prérogative ordinale ? Comment s’organise cette médiation ? Ses conclusions peuvent-elles être reprises par les tribunaux ? Faute d’un mode d’emploi détaillé, toutes ces questions trouvent leurs réponses sur le terrain.
Rappelons d’abord que la médiation entre confrères, placée sous l’autorité de leur Ordre, s’applique également aux médecins, aux dentistes, aux avocats et autres professions libérales réglementées. Dans l’esprit du législateur, il s’agit de régler les conflits, autant que faire se peut, au sein de la profession. En évitant ainsi les déballages publics entre confrères et l’encombrement des tribunaux par des conflits fratricides. L’objectif de la médiation ordinale est de chercher une solution à l’amiable, de reprendre en main une situation souvent nouée et délicate entre pharmaciens. Il faut distinguer cette démarche de la procédure disciplinaire, qui statue sur une faute avérée et peut être un aboutissement de cette tentative de conciliation. Important : les points de désaccords doivent porter sur des questions professionnelles excluant le domaine social, comme le sujet de la rémunération, qui relève des syndicats officinaux.
Quelques centaines de rencontres sont organisées chaque année. « Le phénomène a pris de l’ampleur au cours de la dernière décennie, car notre image auprès des pharmaciens a changé. Peut-être sommes-nous aujourd’hui perçus comme plus proches et accessibles », souligne Michel Laspougeas, président du Conseil régional de l’Ordre en Midi-Pyrénées.
Se rencontrer au plus vite.
Adjoint ou titulaire, tout pharmacien peut bénéficier de cette tentative de conciliation. Le différend peut opposer deux titulaires (concurrents ou associés), deux adjoints d’une même officine ou encore un titulaire et son adjoint. Lorsque deux confrères installés à proximité ne s’entendent pas, c’est par exemple au sujet de la communication de l’un d’eux, une concurrence dans la fourniture de médicaments aux maisons de retraite ou encore la délivrance de cartes de fidélité. Dans sa région, Michel Laspougeas constate de plus en plus de conflits entre titulaires associés, qui représentent l’essentiel de la quarantaine de demandes de conciliation qui lui parviennent tous les ans. Les adjoints ne sont impliqués que dans quelques cas. Entre eux, il peut être question de rivalité ou de dénigrement. Le constat du peu de demandes formulées est identique à la section D. C’est vers elle que l’adjoint doit se tourner en cas de besoin.
En pratique, un titulaire fait une démarche auprès d’un membre de la section A, qui siège souvent au Conseil régional de l’Ordre dont il dépend. Une fois saisi, l’Ordre désigne un représentant, qui entre en contact avec le ressortissant de sa section. Si les deux appartiennent à la même catégorie professionnelle, le médiateur s’adresse à chacun, l’un après l’autre. Souvent, la perspective de l’intervention d’un tiers met fin au différend. « La moitié des conflits sont réglés à ce niveau », témoigne Michel Laspougeas. C’est le cas lorsque le désaccord repose sur une simple incompréhension réciproque. Sinon, il faut aller plus loin et organiser la rencontre sous l’égide de deux médiateurs, représentants des ressortissants des sections concernées. Dès réception de la demande, qui doit évoquer précisément le sujet du désaccord, le médiateur est nommé et une convocation est adressée par courrier recommandé aux protagonistes du conflit. Une fois les emplois du temps accordés, la rencontre doit se tenir au plus vite. « Elle a lieu dans un délai de deux semaines au maximum », précise le président en Midi-Pyrénées. Il faut absolument éviter l’enlisement du litige. « Nous sommes sollicités lorsque la situation n’avance plus, avant qu’elle ne devienne totalement inextricable », rapporte Jérôme Paresys-Barbier, président du Conseil central D. « En général, lorsque le désaccord parvient jusqu’à nous, c’est que cela traîne depuis un moment et qu’une goutte d’eau a fait déborder le vase », confirme Michel Laspougeas.
Une rupture à l’amiable.
Il y a pourtant des raisons de rester optimiste. Pour Jérôme Paresys-Barbier, l’acceptation de la médiation par l’autre partie est déjà un pas franchi, un point encourageant, une promesse d’embellie dans la relation. Il arrive aussi que la demande de conciliation soit rejetée, nul n’étant tenu de l’accepter. Lorsque la rencontre se tient, des avancées sont envisagées par les participants. « C’est l’occasion de reconnaître que personne n’a totalement tort ou totalement raison. C’est rarement une rencontre qui voit sortir un vainqueur à 100 % », constate le président de la section D. Souvent, l’ambiance est tendue. Les pharmaciens se lâchent, vident leur sac. Et campent parfois sur leurs positions. La mission du médiateur est d’arrondir les angles, de parvenir à un compromis acceptable. Les ordinaux s’efforcent de faire respecter l’équité entre titulaires et adjoints. « On peut très bien ne pas être d’accord avec quelqu’un. Mais l’essentiel est de se respecter », insiste Jérôme Paresys-Barbier.
N’étant ni juge, ni partie, le médiateur ordinal doit garder sa neutralité. « J’essaie de faire comprendre que l’intérêt professionnel est un intérêt commun. Il faut rester ferme et, au besoin, rappeler que nous avons les moyens de faire respecter l’esprit de confraternité », avertit Michel Laspougeas. À noter que les acteurs du conflit peuvent, s’ils le souhaitent, se faire assister par un témoin, qui doit avoir une fonction représentative au sein de la profession, ordinale ou syndicale. Plus rarement, il arrive qu’on vienne accompagner d’un avocat. Selon le président de la section D, la médiation aboutit une fois sur deux à un règlement à l’amiable, par la signature d’une rupture conventionnelle ou la cession de parts entre associés. Ces issues sont considérées comme favorables, même si elles renvoient les confrères dos à dos. « Il faut tenter d’en sortir de façon propre et non conflictuelle, de se quitter sur une situation la plus saine possible, même s’il y a rupture de contrat », indique Jérôme Paresys-Barbier.
Pas d’instrumentalisation.
Dans un quart des cas qui remontent à la section D, la tentative de conciliation débouche sur une plainte ou sur divers recours judiciaires. En particulier, la médiation peut se muer en accusation, lorsque l’un des pharmaciens est finalement convoqué en chambre disciplinaire de l’Ordre. C’est le tout dernier degré, précise Michel Laspougeas. Pour lui, ce fut le cas à deux reprises ces dix dernières années, sur 4 à 6 affaires jugées par an en chambre disciplinaire régionale. « Une bonne médiation, c’est aussi d’éviter qu’on en arrive à cette étape », assure Michel Laspougeas, estimant que 90 % des conflits traités aboutissent favorablement. Mais le dossier peut aussi être pris en main par le tribunal des Prud’hommes. Depuis quelques années, ce dernier demande parfois à l’Ordre de lui transmettre le constat rédigé après la médiation, un document dont la rédaction n’est pas systématique. Il est cosigné par les pharmaciens, mais il arrive aussi que chacun fasse son propre rapport des faits. L’Ordre prend garde que la rencontre ne soit instrumentalisée par l’une ou l’autre partie, même si elle peut révéler la bonne foi d’un participant.
La conciliation ordinale est un noble dispositif, qui mériterait d’être rendu plus efficient. D’abord, elle est limitée dans la nature des conflits. Ces derniers portent souvent sur le droit du travail, qui n’est pas un domaine d’intervention de l’Ordre. Autre écueil, cette médiation ne prend pas en compte le différend avec un préparateur ou avec le personnel peu qualifié de l’officine, qui ne dépendent pas des instances ordinales.
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