Dans un focus consacré aux marchés de la vente libre, IQVIA nous amène à croire que contrairement au reste de l’activité officinale ces marchés seraient en croissance, dopés par la crise, sur les 4 premiers mois de l’année.
Ces chiffres, non confirmés par le GERS pour la médication familiale, ne sont que des estimations obtenues avec des extrapolations réalisées sur des bases géomarketings à partir d’un modèle économique dont les ratios individuels sont le plus souvent différents des ratios nationaux à cause d’une distribution non linéaire du chiffre d’affaires dont il n’est jamais tenu compte.
Réalisé avec un peu moins de 40 % des actes sur les 1 milliard effectués annuellement dans le réseau, le CA des ventes libres (ou ventes comptoirs) ne représente que 15 % du CA national global. Il n’en est pas de même au niveau d’une officine où la part des ventes libres dans le CA peut varier de moins de 10 % à largement plus de 50 %.
Forte concentration des parts de marché
En analysant les chiffres fournis par les groupements de grosses officines, comme Pharmabest, Pharmavie ou encore le réseau Lafayette, on constate que plus de 80 % des parts de marché des ventes libres sont détenues par moins de 10 % des officines.
La crise sanitaire que nous traversons a eu pour premier effet des transferts de fréquentation entre les plus grosses officines situées généralement dans les zones de grande consommation et les pharmacies de proximité qui ont vu ainsi la part de ventes libres de leur CA augmenter.
En utilisant pour ses extrapolations une méthodologie statistique qui ne tient pas compte de cette forte concentration des parts de marché, l’équipe Consumer Health d’IQVIA France interprète, à tort, les résultats du transfert exceptionnel du chiffre d’affaires des ventes libres entre les officines de son panel comme une augmentation de l’activité ce marché.
Dans un modèle économique où le CA généré par une dispensation d’ordonnance correspond à celui généré par près de 4 ventes libres, la perte de CA occasionnée par une baisse des dispensations d’ordonnances ne peut pas être ou est très peu compensée par le développement des ventes libres.
Ce constat montre que le postulat selon lequel les ventes libres seraient le moteur de l’économie officinale est totalement erroné et qu’il contribue au maintien d’un modèle économique commercial devenu obsolète avec une distribution du chiffre d’affaires global de moins en moins linéaire.
La bonne résistance des pharmacies de proximité
Le principal enseignement de cette crise sanitaire a été la confirmation du rôle prépondérant tenu par les pharmacies de proximité dans notre système de soin avec leur modèle reposant prioritairement sur la prise en charge des malades qui leur a permis de mieux résister à l’impact économique du confinement.
La prise en compte du marché global (prescription + vente libre) permet de différencier par leur modèle économique les pharmacies de proximité de celles situées dans les zones de grande consommation (ou de celles axant leur développement sur les ventes comptoirs).
La bonne résistance économique des pharmacies de proximité face à la crise ne peut pas s’expliquer par la simple captation de parts de marché des ventes simples venant compenser en partie la perte des dispensations de traitements des petites épidémies (angines, rhume, gastro, etc.) provoquée par l’amélioration de l’hygiène due à l’application des mesures barrières.
Stabilité du CA des traitements chroniques
Les études EPIPHARE publiées conjointement par l’ANSM et la CNAM ont montré que les volumes de dispensations des médicaments pour traitements chroniques n’ont pas été affectés tout au long de la période de confinement, à l’inverse de ceux pour les petites épidémies qui se sont effondrés, comme les antibiotiques pour enfants (- 75 %).
Le constat de ces études est donc que le chiffre d’affaires apporté par les traitements chroniques n’a pas été touché par la crise du Covid-19 et en corroborant entre eux les chiffres publiés régulièrement par les différents organismes officiels comme le LEEM, l’ANSM, la CNAM, le CEPS, la DGFIP, l’INSEE, IQVIA Pharmastat ou CEGEDIM Santestat, on arrive à la conclusion que les 18 millions de patients chroniques, accueillis majoritairement par les pharmacies de proximité, apportent 90 % du chiffre d’affaires global du réseau avec seulement 1/3 des actes (prescriptions + ventes comptoir).
Par ailleurs au vu des pertes de CA constatées pour le réseau et comparées à l’augmentation de + 1,30 % des remboursements médicamenteux de la CNAM enregistrée pour le premier semestre 2020, malgré une baisse de près de 10 % de la fréquentation des cabinets médicaux, il se confirme que le confinement n’a pas modifié la fréquentation habituelle des officines de proximité par les patients chroniques.
Il est tout à fait dommageable pour la profession que nos responsables syndicaux, enfermés dans une lecture linéaire de l’économie, n’aient pas pris la mesure de l’importance du chiffre d’affaires apporté par les patients chroniques qui sont depuis des années le seul vecteur de la croissance économique des officines avec le vieillissement de la population.
Plus de 80 % des 800 000 patients chroniques pris en charge journellement par les officines, même durant la période de confinement, ont plus de 60 ans, ce qui se traduit par une double concentration, pour le CA et la rémunération globale, à la fois sur une typologie de patients et sur une catégorie d’âge.
Ce schéma est confirmé par les éléments fournis par IQVIA, qui montrent qu’avant la crise 57 % de la marge totale du réseau (64 % en comptant les remises génériques) étaient apportés par les plus de 60 ans (27 % de la population), les plus de 70 ans (15 % de la population) apportant à eux seuls 39 % de la rémunération totale (44 % avec les remises génériques).
Les leçons de la crise
Sous les effets conjugués de la crise et de la réévaluation des nouveaux honoraires à l’ordonnance, la part de marge totale apportée par les plus de 70 ans a augmenté d’une façon inédite de 4 points entre février et mai 2020, pour atteindre 48 % en tenant compte des remises génériques, montrant ainsi en accéléré l’évolution économique inéluctable du réseau, seulement prise en considération par la CNAM, qui motive depuis 2015 les modifications de notre rémunération.
À l’inverse de ce qu’il s’est passé dans les hôpitaux, où de nombreux soins ont été reportés pour prendre en charge les patients Covid-19, les pharmaciens de proximité ont assuré journellement à la fois des services supplémentaires et la continuité des soins pour 800 000 patients chroniques, qui apportaient avant la crise 90 % du CA réseau, dont au moins 350 000 sont porteurs d’ALD et ont plus de 65 ans.
La crise a donc mis en évidence la qualité de la prise en charge des populations les plus fragiles par les pharmaciens de proximité, ignorée par nos syndicats, mais pourtant à l’origine de l’échec des « nouveaux services » (moins de 0,003 % du CA, moins de 0,01 % de la rémunération brute, moins de 0,005 % des actes) parce que les patients ciblés effectuent annuellement entre 15 et 20 passages en officine se traduisant par plus de 5 heures de présence au comptoir (soit en moyenne entre 15 et 20 minutes de suivi à chaque visite).
La profession défend ardemment les trois piliers sur lesquels repose l’exercice officinal : le monopole, la propriété du capital et le maillage territorial, mais nos représentants syndicaux n’ont malheureusement pas communiqué sur la continuité de l’engagement des pharmaciens de proximité auprès des patients chroniques lors du confinement, qui a mis en lumière la réalité économique du réseau où l’essentiel du chiffre d’affaires et de la rémunération dépend du monopole.
Toutes les simulations effectuées dans le cadre des modifications de notre mode de rémunération ont montré que la solidité économique des pharmacies de proximité est acquise grâce à une typologie de dispensations comparable à la typologie nationale. Leur part de marge totale apportée par les plus de 60 ans dépasse les 80 % durant le confinement (contre une moyenne de 68 % pour le réseau).
Il est alors urgent que nos représentants syndicaux tirent les leçons de cette crise sanitaire en remettant en cause leurs schémas d’analyses pour redéfinir un nouveau modèle économique inspiré de celui des pharmacies de proximité plus proche de l’exercice d’un professionnel de santé, ainsi qu’un nouveau mode de rémunération détaché de la politique de remboursement et véritablement adapté à l’accompagnement des patients chroniques.