ON L’AIME brut ou doux, blanc ou rosé. On ne s’en lasse pas. Il orne aujourd’hui toutes les tables, bourgeoises ou populaires. Le champagne a eu tant de succès qu’il est entré dans notre patrimoine. Chaque année, environ quatre cent mille bouteilles de champagne sortent des grands vignobles de la région rémoise. Une « exception à la française » comme disent les défenseurs de la culture, vraisemblablement inventée par un moine bénédictin au XVIIe siècle et perfectionnée grâce à la science et la patience d’un pharmacien au XIXe siècle.
De dom Pérignon à Jean-Baptiste François.
L’alcool et le vin ont toujours participé à soigner les maladies, mais aussi les maux de l’âme. Dans son monastère de Hautvillers, où il était cellérier, dom Pérignon le savait bien. Il était fier des hectares de vignes dont il devait s’occuper et, à force d’assemblages de cépages, en particulier avec le pinot noir, il finit par trouver le secret d’un vin mousseux issu d’une deuxième fermentation, au printemps. Pour le conserver au mieux, il utilisa des bouteilles en verre et eut l’idée de les fermer avec un bouchon en liège et non plus en bois. De plus, il pensa à rajouter du sucre de canne. Toutes ces recherches aboutirent, en 1698, à la mise en vente du premier grand cru de champagne. Dès lors, les ventes ne cessèrent jamais, s’amplifieront même considérablement. Mais, il restait quand même à peaufiner le travail du moine. Qui aurait cru que, un siècle plus tard, un pharmacien se pencherait sur la question du divin breuvage et finirait finalement les travaux du moine ?
Jean-Baptiste François est né le 6 février 1792, à Saint-Mihiel, dans la Meuse. Après ses études en pharmacie, il entre comme élève-pharmacien dans un hôpital militaire, puis, en 1815, chez Monsieur Tisset, pharmacien à Châlons-sur-Marne, place du Marché. Un an plus tard, il se marie avec la nièce de son employeur et reprend la pharmacie. Désormais bien installé, il décide de consacrer la majorité de son temps à la recherche scientifique, avec la volonté de mettre en valeur la région de Champagne. Ses excellentes qualités de chimiste-pharmacien lui serviront, bien sûr, dans son métier, mais elles vont être également mises à profit dans des domaines autres que thérapeutiques. Il va d’abord s’intéresser aux eaux de la Marne, puis il se donne comme mission d’effectuer des relevés météorologiques réguliers. Ses travaux se révèlent si précis et intelligents qu’il devient rapidement membre de la Société d’agriculture de la Marne, qui voit en lui un atout précieux. Mais, en 1821, il doit faire face à un malheur personnel, celui de la mort de sa femme. Il épouse en secondes noces Appoline Ancel, nièce du général Charles Lochet. À partir de ce moment, son cheval de bataille devient le soin du vin de champagne qu’il veut guérir de la maladie de la graisse.
Un remède pour le champagne.
La maladie de la graisse posait problème depuis de nombreuses années déjà, et un autre pharmacien, M. Mandel, doyen du collège de pharmacie de Nancy, ainsi que le scientifique M. Herpin, s’étaient essayé à trouver un remède contre ce mal qui rendait le vin visqueux et filandreux, mais sans résultat. Jean-Baptiste François, lui, y arriva. Il commença par isoler une substance dans le vin, la gliadine (connue depuis dix ans car découverte par le chimiste italien Taddey) qui serait la cause de la maladie. Le but était donc de la précipiter. C’est alors que M. Jacquesson, chef de la Maison de Champagne de Châlons, lui notifia qu’il avait remarqué que ses vins colorés en rose n’étaient pas malades. Jean-Baptiste François découvrit ainsi que la teinte de Fismes, produite à base de baie de sureau, contenait du tanin. Le voilà son remède. Il préconisa donc l’emploi du tanin - pour précipiter la gliadine - présent dans un extrait alcoolique de noix de galle, cette fois incolore, pour les vins blancs. La maladie de la graisse était définitivement vaincue. À la suite de cette découverte, Jean-Baptiste François devint célèbre dans sa région et souhaita améliorer ses découvertes. Il publia plusieurs mémoires sur ses recherches, tant et si bien qu’il finit par abandonner son officine pour ne se consacrer qu’à l’étude et à l’amélioration des vins de Champagne. Ce sont surtout les industriels du vin qui se réjouirent. En effet, leur chiffre d’affaires ne subirait plus les effets néfastes de la maladie de la graisse. Mais ils ne savaient pas encore que Jean-Baptiste François allait leur enlever une autre épine du pied.
La « Réduction François ».
En effet, restait le problème de la casse des bouteilles dont le bouchon sautait inopinément, pour cause de surpression. On savait que c’était dû au dosage du sucre dans l’alcool mais impossible de le calculer correctement. C’est encore notre pharmacien qui eut l’idée d’utiliser le gleuco-oenomètre (un flotteur de verre inventé par le pharmacien Cadet de Vaux) et de faire évaporer un volume donné d’alcool pour mesurer la dose de sucre nécessaire dans le vin pour ne pas qu’il mousse dans la bouteille. Grâce à ce moyen ingénieux, appelée « Réduction François », le commerce du vin fut totalement satisfait et se rendit compte de tout ce qu’il devait au modeste pharmacien de Châlons. Eugène Perrier dira en 1868 : « Ce que les recherches patientes et assurément fort désintéressées de ce modeste et infatigable savant ont sauvé de pertes cette industrie, se compte en millions. »
À l’époque de la Veuve Cliquot et de Jean-Rémy Moët, Jean-Baptiste François s’évertua donc à soigner son client favori : le champagne. Aujourd’hui presque oublié, probablement du fait de sa mort précoce en 1838, cet ingénieux pharmacien, de bon goût, mérite qu’on prenne le temps d’avoir une petite pensée pour lui lors de notre prochaine coupe de champagne. À sa santé ! Et bonne année !
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